Alors que la France, avec l’initiative France IA, veut mettre les bouchées doubles pour devenir l’un des leaders mondiaux de l’intelligence artificielle, les géants du net, notamment américains, partent tout de même avec une nette longueur d’avance. Selon le cabinet d’études technologiques CB Insights, qui a compilé les fusions-acquisitions de startups dans ce domaine depuis cinq ans, les Google, Apple, Facebook, IBM, Twitter, Intel ou encore Salesforce, ne lésinent pas sur les moyens pour mettre la main sur les pépites qui leur permettront de dominer les nouveaux services intelligents de demain.
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Le marché des fusions-acquisitions dans l’IA en forte croissance
Le constat est sans appel. Il est double. Tout d’abord, l’attrait des startups de l’intelligence artificielle s’intensifie de manière spectaculaire. Depuis 2012, le marché des fusions/acquisitions dans ce domaine a concerné 260 pépites : 10 en 2012, 19 en 2013, 36 en 2014, 41 en 2015 et 66 en 2016. 2017 s’annonce déjà comme une année record : du 1er janvier au 24 mars, 34 nouvelles startups ont cédé aux sirènes du rachat. Soit plus de la moitié du total de l’année dernière. Le précédent record sur un trimestre était détenu par le troisième trimestre de 2016, avec 28 deals.
Le deuxième enseignement est que ce sont les géants du net américains qui tirent leur épingle du jeu. Le top 6 des plus gros acheteurs de startups dans l’IA se compose de Google (11 acquisitions en cinq ans), Apple (7), Facebook (5), Intel (5), puis Microsoft et Twitter (4). Les entreprises qui s’intéressent à cette nouvelle technologie qui promet de révolutionner la société et l’économie évoluent surtout dans le domaine technologique : on trouve aussi Amazon, Salesforce, Yahoo, IBM, Nokia, ebay, Oracle ou encore Uber.
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Google, Facebook et Apple, les plus agressifs
Le trio de tête, composé de Google, Apple et Facebook, place l’intelligence artificielle au cœur de la stratégie de croissance dans les décennies à venir. Avec un objectif clair : améliorer les services existants, étouffer la concurrence et dominer les nouveaux usages en reliant les nouvelles technologies à la principale plus-value de ces entreprises : leur capacité exceptionnelle à collecter et à traiter des données.
Ainsi, Google, spécialiste de la publicité qui s’immisce dans de nombreux autres domaines comme la santé connectée, le cloud, la voiture autonome ou encore l’accès à internet, ratisse très large. DNN Research, acquise en 2013 pour son expertise de l’apprentissage en profondeur et neuronal (deep learning et neural network), lui a permis d’améliorer son moteur de recherche d’images. Deepmind, acquise en 2014 pour 600 millions de dollars, est derrière les récents exploits d’une intelligence artificielle au jeu de go. Moodstock, achetée en 2016, va aider la firme à développer la « recherche visuelle », tandis que la plateforme Kaggle (2017, analyse prédictive) ou encore les bots de la startup Api.ai seront au cœur de nombreux nouveaux services.
De son côté, Apple, longtemps très secret sur sa recherche dans l’intelligence artificielle, a aussi décidé de muscler son jeu. Depuis début 2016, la marque à la Pomme, déjà pionnière de l’assistant virtuel avec Siri (développée via une startup rachetée en 2010), a mis la main sur pas moins de six pépites de l’IA : Perceptio, Turi et Tupplejump (machine learning), Vocalia (reconnaissance vocale), Emotient (reconnaissance faciale), et Realface (reconnaissance d’empreinte digitale). En janvier, l’entreprise dirigée par Tim Cook a publié son premier article de recherche sur le sujet, dans lequel elle indique se focaliser particulièrement sur l’apprentissage par les machines à partir d’images de synthèse.
Enfin, Facebook s’est lancée dans l’intelligence artificielle dès 2012. Sa première emplette fut face.com, un spécialiste de la reconnaissance faciale, puis JibbiGo en août 2013 (reconnaissance vocale), Wit.ai en janvier 2015 (traduction automatique à partir de la voix), Masquerade en mars 2016 (application permettant d’ajouter des filtres sur les selfies pour concurrencer Snapchat) et enfin, via Oculus, la startup suisse Zurich Eye en novembre dernier (vision par ordinateur). Très vocal sur l’intérêt de l’IA, le groupe a également ouvert en 2015, à Paris, son propre laboratoire, baptisé Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) et dirigé par le français Yann Le Cun, un expert mondialement reconnu. « L’intelligence artificielle doit permettre de trier toute l’information dont un utilisateur dispose afin d’améliorer les interactions sociales », expliquait le chercheur en 2015. Une conviction que partage aussi Twitter, qui mise sur le machine learning et l’intelligence artificielle pour rendre son réseau social plus attractif et trouver -enfin- le chemin de la croissance.
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Intel, Ford, General Electrics et Uber rejoignent la course
Ces derniers mois ont aussi vu de nouveaux acteurs se lancer dans la bataille de l’intelligence artificielle. C’est le cas, notamment, du constructeur automobile Ford, qui a réalisé l’une des plus grosses fusions/acquisitions dans ce domaine en investissant un milliard de dollars dans Argo AI, pour l’aider à mettre au point sa voiture autonome prévue pour 2021. Le constructeur avait déjà acheté l’israélien SAIPS (algorithmes de machine learning pour conduite automatisée) en août 2016. Mais la route avait déjà été tracée par General Motors, qui avait acquis en 2015 la startup Cruise Automation pour concurrencer Google dans la voiture autonome. Uber est aussi dans la course, qui a acquis la startup Geometric Intelligence en décembre 2016, quelques mois après avoir récupéré Otto. Toutes deux sont spécialisées dans les logiciels pour la voiture autonome.
Si les entreprises de la high tech -rejointes aujourd’hui par les acteurs intéressés par la voiture autonome- dominent les fusions/acquisitions dans l’IA, cette technologie intéresse aussi, de manière plus marginale, tous les autres secteurs, notamment pour développer de nouveaux relais de croissance. General Electric, par exemple, a acquis en novembre dernier deux startups : la canadienne Bit Stew Systems et l’américaine Wise.io. L’objectif : concurrencer la plateforme d’intelligence cognitive Watson, d’IBM, qui fait d’ailleurs partie, comme Intel, de ces ex-géants de l’informatique devenues des entreprises technologiques pour compenser le déclin de leur secteur d’activité historique.