Si la droite dénonce un acharnement “inutile et humiliant”, certains observateurs estiment que l’ancien président bénéficie d’un traitement VIP.
– Nicolas Sarkozy est-il un justiciable comme les autres? Alors que l’ancien président entame une seconde journée de garde à vue dans le cadre de l’enquête sur le financement libyen de sa campagne présidentielle, ses amis et soutiens comme ses détracteurs s’opposent sur le traitement de faveur ou de défaveur qu’il subirait de la part de la justice.
Une garde à vue abusive?
Ce mercredi, de nouvelles voix se sont élevées pour regretter le contexte judiciaire et médiatique de cet interrogatoire portant sur une affaire potentiellement gravissime. “Pourquoi tout ce spectacle ? Dans les affaires politiques, la justice apparaît nerveuse, et ça ce n’est pas bon pour la République”, a mis en garde l’ancien premier ministre LR Jean-Pierre Raffarin.
La veille, plusieurs cadres de la droite avaient dénoncé la garde à vue de près de douze heures imposée à Nicolas Sarkozy. Le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a ainsi jugé “humiliant(e) et inutile” cette garde à vue entamée à 8h.
Même le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, a marqué son étonnement face à cette procédure contraignante. “Je suis un peu surpris que Nicolas Sarkozy soit entendu sous le régime de la garde à vue. Je ne pense pas qu’il risquait de s’enfuir et je pense qu’il a parlé depuis longtemps aux autres acteurs du dossier s’il a voulu le faire. Que Nicolas Sarkozy s’explique devant les policiers et les juges c’est normal, mais la garde à vue ne doit être prononcée que lorsqu’elle s’impose”, a-t-il réagi.
Audition libre ou contrainte
L’ex-chef de l’État est entendu depuis mardi matin sous le régime de la garde à vue par les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), à Nanterre, à propos de soupçons d’un financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse de 2007. Cette mesure coercitive est possible dès lors qu’il existe “une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner” qu’une personne a commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement, selon les textes.
A l’issue de cette garde à vue susceptible de durer 48 heures, Nicolas Sarkozy peut être remis en liberté, présenté à un juge en vue d’une éventuelle mise en examen ou convoqué ultérieurement.
Techniquement, deux procédures existent pour auditionner une personne soupçonnée d’être mêlée à une enquête en cours.
- L’audition libre permet aux enquêteurs d’entendre une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, sans la mettre en garde à vue. C’est le régime dont a bénéficié l’ancien ministre Brice Hortefeux, entendu au même moment que Nicolas Sarkozy. Une personne entendue dans le cadre d’une audition libre a le droit de mettre fin à l’audition et de quitter les lieux à tout moment.
- La garde à vue est une mesure de contrainte pénale qui permet de retenir une personne ne souhaitant pas s’expliquer devant les enquêteurs, d’empêcher que cette personne ne détruise d’éventuelles preuves et/ou d’éviter qu’elle puisse s’entretenir avec d’éventuels complices.
Pourquoi Sarkozy et pas Hortefeux?
Faute de pouvoir accéder au dossier d’instruction, difficile de déterminer pourquoi la justice a estimé utile de placer l’ancien président de la République sous le régime de la garde à vue et non Brice Hortefeux. “On ne peut faire que des supputations. Le plus plausible est que les éléments contre Nicolas Sarkozy sont plus nombreux que ceux visant Brice Hortefeux qui, à la lecture des articles de presse, n’a visiblement qu’un rôle secondaire. Il a donc été considéré qu’il fallait prendre des mesures procédurales plus contraignantes. J’espère en tout cas que ce n’est pas du sadisme procédural”, a réagi au HuffPost Philippe Bilger, ancien avocat général à la cour d’assises de Paris.
Comme le relève à juste titre France Soir, Brice Hortefeux est encore député européen et ne peut faire l’objet d’une mesure contraignante sans que son immunité parlementaire soit levée au préalable. L’audition libre s’imposait donc le concernant. Cité par France Soir, l’avocat au barreau de Dijon Jean-Philippe Morel envisage une autre hypothèse: la garde à vue visant Nicolas Sarkozy aurait justement eu pour motif d’éviter qu’il ne se concerte avec son ancien ministre au regard des éléments qui leur ont été présentés.
Mais comme le rappelle une autre source judiciaire, seul l’accès au dossier permettra de comprendre ce qui a justifié ce choix procédural. Et s’il s’est avéré fructueux.
Sarkozy a pu rentrer dormir chez lui
Tandis que la droite ne décolère pas sur cette garde à vue à rallonge, certains observateurs du monde judiciaire se sont en revanche interrogés sur le fait que l’ancien président bénéficie d’une suspension lui ayant permis de rejoindre son domicile à minuit où il a passé la nuit. Nicolas Sarkozy a ensuite repris sa garde à vue ce mercredi matin. Le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, lui-même avocat, a semblé songeur vis à vis de cette permission de minuit dont la plupart des pénalistes s’accordent à dire qu’elle n’est pas la règle.
Figure bien connue des avocats présents sur Twitter, Maître Eolas a résumé le sentiment général en pointant du doigt le décalage entre la pratique usuelle et celle réservée à l’ancien président de la République.
Faut-il pour autant parler de traitement de faveur? Pas forcément à en croire Stéphane Babonneau, avocat pénaliste au barreau de Paris, cité par L’Obs. S’il relève que cette décision est “plutôt dérogatoire par rapport au traitement classique des gardés à vue”, la décision de laisser Nicolas Sarkozy rentrer à son domicile peut aussi montrer que la justice cherche à profiter au mieux des 48 heures de garde à vue à sa disposition. En effet, cette levée de la garde à vue entre mardi soir et ce mercredi matin devrait permettre aux enquêteurs de déduire le temps de repos accordé à l’ancien président des 48 heures d’interrogatoire que la loi leur autorise. Et de profiter d’un gardé à vue reposé et potentiellement mieux disposé à répondre à leurs questions.
Là encore, seul l’accès au dossier d’instruction permettra de déterminer ce qui a pu motiver le choix des juges et sa pertinence.
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