La pression ne cesse de monter crescendo dans le règlement de la crise post-électorale gambienne. Après la carotte diplomatique sanctionnée par l’échec du sommet d’Abuja, le 17 décembre dernier, c’est clairement le bâton militaire qui est désormais brandi face à l’entêtement de Yahya Jammeh. L’organisation sous régionale donne à l’homme au boubou blanc jusqu’au 19 janvier 2017 pour vider le State House sans quoi elle le délogera par la force armée. Mais la Cedeao a-t-elle les moyens d’une telle intervention ? La Tribune Afrique livre ici quelques pistes de réponses.
Au nom de la Cedeao, Muhammadu Buhari, le président nigérian, devrait entamer à nouveau une navette de bons offices entre Yahya Jammeh et Adama Barrow pour tenter de concilier les positions pour une sortie de crise post-électorale. Au même moment, le Béninois Marcel Alain de Souza, président de la commission de l’organisation sous régionale est monté au créneau pour brandir la menace d’une intervention militaire pour déloger Yahya Jammeh du palais présidentiel gambien après l’expiration de son bail constitutionnel prévu le 18 janvier 2017 à 23h59.
L’ultimatum fixé au 19 janvier
Joint au téléphone par La Tribune Afrique, le politologue burkinabé Nicolas Zémané a du mal pourtant à accorder un crédit à cette intimidation de la Cedeao.
« Cette menace s’inscrit dans une logique d’intervention de la CEDEAO dans la gestion de la crise gambienne ! Elle n’est pas sérieuse, parce qu’elle vise déjà à dissuader le président gambien, et elle ne peut aboutir à une intervention armée sans que d’autres voies soient utilisées, notamment les sanctions économiques et diplomatiques sur une certaine période (entre 3 et 6 mois) », souligne cet analyste prudent de la scène politique ouest-africaine. « Si la CEDEAO venait à intervenir les conséquences seraient fâcheuses car le cas gambien n’est pas singulier », tient-il toutefois à préciser.
Pourtant, sans langue de bois diplomatique, le ténébreux président de la commission africaine en visite à Bamako a adressé un ultimatum au maître de Banjul. « La date limite butoir que nous avons, c’est le 19 janvier, à laquelle le mandat du président Yahya Jammeh finit. S’il ne s’en va pas, nous avons les forces d’attente qui sont déjà mises en alerte. Ces forces d’attente doivent pouvoir intervenir ou faire rétablir la volonté du peuple », a menacé Marcel De Souza. Le pilotage du poste de commandement de cette armada ouest-africaine revient au Sénégal qui a été « désigné par ses pairs » de la Cedeao, selon les mots de Marcel De Souza. Mais au-delà des ultimatums, comment la Cedeao compte mener sur le terrain cette périlleuse intervention militaire en Gambie ?
Commandement sénégalais de la force d’intervention…
Depuis la dissolution du groupe de supervision du cessez-le feu de la Cedeao (ECOMOG) en 2000, l’organisation ouest-africaine dispose d’une force intérimaire prête à agir. Un contingent de cette force intérimaire ouest-africaine dénommée Ecomib est déployé en Guinée-Bissau depuis le coup d´Etat d’avril 2012 qui a renversé le président Raimundo Peireira. Véritable pomme de discorde financière entre les chefs d’Etat ouest-africains, l’Ecomib devrait être démantelée d’ici l’été 2017.
Le démantèlement pourrait s’accélérer au vu des derniers événements. Les 600 soldats originaires du Nigeria, du Burkina, du Sénégal, du Togo et du Niger qui composent l’Ecomib, pourraient être mobilisés en cas d’intervention militaire en Gambie. Ils viendraient s’ajouter à un contingent sénégalais pour constituer le groupe d’hommes qui prendraient d’assaut Banjul dans le but de renverser Yahya Jammeh pour installer Adama Barrow sur son fauteuil.
Une intervention militaire qui se heurterait au risque de conflit généralisé. Le pays de Macky Sall est en fait le seul voisin immédiat de la Gambie, territoire de près de 11.000 kilomètres carrés enclavé à l’intérieur du Sénégal. Le recours à la force armée entraînerait de fait la réaction des rebelles de la Casamance, région sud du Sénégal aux velléités sécessionnistes.
Ces rebelles ont souvent mené des attaques contre des civils ou militaires sénégalais et utilisé la Gambie de Yahya Jammeh comme base de repli si ce n’est comme lieu de ravitaillement en armes et vivres. Le chef des rebelles, en exil en France, a apporté tout son soutien au président gambien sortant dont des rumeurs persistantes indiquent qu’il aurait fait acheminé un arsenal d’armes lourdes à Banjul. Toutes les larves d’un conflit généralisé n’attendent que le déclenchement de l’intervention militaire gambienne pour éclore.
Le nerf de la guerre pèsera lourd sur la décision de l’intervention armée de la Cedeao. La lancinante question du financement d’une intervention en Gambie qui a valu à l’Ecomib son démantèlement devrait donc s’inviter dans les débats. Plusieurs Etats ouest-africains ne sont pas à jour dans leurs cotisations pour la marche de la Cedeao. On voit mal comment les convaincre de mettre la main à la poche pour financer une intervention.
« Avec la guerre contre le terrorisme qui secoue la région ouest-africaine, on est en droit de se demander s’il n’y aura pas une demande de secours auprès des forces occidentales ? », s’interroge notre politologue. Mais la réponse à tout de suite fusé. « J’ai du mal à croire à une intervention militaire de la CEDEAO sans remettre en cause la sécurité des gambiens, qu’elle cherche à préserver et la jurisprudence en la matière est assez éloquente ! En sus, nous assistons très souvent à l’intervention de forces occidentales dans ce genre de cas ! »
Une intervention militaire de la Cedeao appuyée par les Occidentaux
La Cedeao aurait alors recours dans ce cas à une intervention militaire avec l’appui de forces occidentales. Avec les réserves des Britanniques -à cran depuis le retrait de la Gambie du Commonwealth-, tous les yeux se tournent vers la France qui pilote la force Barkhane au Mali composée de 3500 hommes avec avions, drones et équipements militaires de pointe.
Du côté de l’Elysée, même si on prêche une installation rapide de Barrow à la place de Jammeh, on voit mal un François Hollande, qui a déjà engagé la France en Centrafrique et au Mali, se risquer à une intervention en Gambie qui sera inscrite dans son bilan de fin de mandat. Pire, l’impact de l’intervention française en Libye déclenchée sous l’ère Sarkozy est toujours dans les esprits.
En substitution, on peut penser au Commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom) qui fait des exercices conjoints avec l’armée sénégalaise à la frontière méridionale du pays. Pas sûr puisqu’il faudra convaincre Donald Trump dont l’investiture se fait le 20 janvier, soit un jour après l’expiration de l’ultimatum fixé par la Cedeao. Un timing qui écarte de facto toute intervention américaine à la date fixée.
L’écho des bruits de bottes ne mènent cependant pas forcément à l’affrontement armé. « Il y a encore d’autres voies qui n’ont pas été explorées avant une éventuelle intervention militaire », souligne Nicolas Zémané. En effet, le recours déposé par l’Alliance patriotique pour la construction et la réorientation (APRC), le parti de Yahya Jammeh pour contester les résultats de la présidentielle, sera examiné par le juge nigérian qui préside la cour suprême gambienne, le 10 janvier 2016. Neuf jours avant l’expiration du mandat constitutionnel de Jammeh, l’homme le plus puissant de Gambie sera alors le Nigérian Emmanuel Fagbenle !