L’entrée en scène de la Cour Constitutionnel du Gabon autorisant « le vice-président de la République à convoquer et à présider un Conseil des ministres qui portera exclusivement sur l’ordre du jour joint à la requête du Premier ministre », selon les propres termes de l’un de ses membres, le juge François de Paul Antony Adiwa, ne démontre qu’une seule chose : mort ou vivant, l’héritier et successeur de feu El Hadj Omar Bongo n’est plus qu’un pantin entre les mains des membres du sérail gabonais, à défaut de l’avoir toujours été. A moins qu’il leur ait servi de paravent sans s’en rendre compte, en attendant que l’un d’eux soit prêt à prendre les rennes du pays.
Le président gabonais dont les citoyens sont sans nouvelles depuis trois semaines est en passe de perdre le pouvoir, suite à ce qui a tout l’air d’une modification de la Constitution traduite par l’ajout d’un paragraphe à un article de la Loi fondamentale gabonaise.
Il va de soi que la présidence du Conseil des ministres est une prérogative du président de la République. Lequel peut, s’il l’estime nécessaire, déléguer temporairement cette tâche à l’un de ses collaborateurs, choisi discrétionnairement par lui, compte non tenu de son rang sur le plan protocolaire. Dans le cas contraire, le Premier ministre qui est chargé de la coordination de l’action gouvernementale peut continuer de diriger les Conseils de cabinet normalement, jusqu’à ce que le président de la République soit en mesure de convoquer et de présider les Conseils des ministres.
Pour qu’il en soit autrement, il faut que le président de la République soit dans l’incapacité définitive et constatée par les institutions compétentes d’assumer ses responsabilités : démission, maladie incapacitante (maladie mentale par exemple), décès, destitution…
Alors, pour que le Premier ministre gabonais Emmanuel Issoze Ndondet prenne l’initiative de saisir la Cour Constitutionnelle afin d’obtenir l’ajout d’un alinéa à l’article 13 de la Constitution, relativement à l’empêchement du président d’exercer ses fonctions, il faut qu’il soit clair que pour ses instigateurs aient la certitude que le retour à la présidence du président que l’on dit victime d’un accident vasculaire cérébral (Avc), alors qu’il y a trois semaines, au début de son hospitalisation, les membres du gouvernement qui se sont prononcés sur le sujet évoquaient une fatigue tantôt légère, tantôt grave.
“En cas d’indisponibilité temporaire du président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier peuvent être exercés selon le cas, soit par le Vice-président de la République, soit par le Premier ministre sur autorisation spéciale de la Cour Constitutionnelle.”.
On comprend que maintenu dans le flou sur la situation réelle du chef de l’Etat gabonais, l’opposant Gaspard Ntoutoume Ayi ait produit avant la décision de la Cour, un communiqué dans lequel il affirme que “Si le vice-président de la république présidait effectivement un Conseil des ministres (…) nous nous trouverions en face d’un coup d’Etat”.
Un coup d’Etat ? Et pourquoi ?
Pour plusieurs raisons.
La première, anodine à première vue, sans l’être tout à fait dans le fond, est que les officiels gabonais prétendent que le président est en vie, et jouit de la plénitude de ses moyens physiques, mentaux et intellectuels pour continuer d’exercer le pouvoir d’Etat, alors qu’en même temps, d’autres à sa place prennent des décisions qui lui incombent de manière générale
– La deuxième est qu’il ne faut pas être un féru de droit constitutionnel pour remarquer que le point de la Constitution du 26 mars 1991 (Modifiée par les lois N° 1/94 du 18 mars 1994, N° 18/95 du 29 septembre 1995, N° 1/97 du 22 avril 1997, N°14/2000 du 11 octobre 2000, N° 13/2003 du 19 août 2003 et N° 047/2010 du 12 janvier 2011 portant révision de la Constitution Gabonaise) qui aurait dû être retouché est l’article Article 16 portant sur la présidence du Conseil des ministres, qui stipule :
– « Le Président de la République convoque et préside le Conseil des ministres et en arrête l’ordre du jour.
– Le Vice- Président de la République en est membre de droit. Il supplée, le cas échéant, le Président de la République sur une habilitation expresse et un ordre du jour déterminé (L. 1/97 du 22 avril 1997). »
Or c’est plutôt l’article 13 qui traite de la vacance du pouvoir qui a été amendé sans que l’on voie exactement le lien juridique entre la suppléance du président de la République qui peut être rendue nécessaire par une surcharge du calendrier présidentiel.
Cet article qui n’évoque même pas les réunions du Conseil des ministres dispose en effet :
« En cas de vacance de la présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement définitif de son titulaire constaté s par la Cour constitutionnelle saisie par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, ou à défaut, par les bureaux des deux chambres du Parlement statuant ensemble à la majorité de leurs membres, les fonctions du Président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 18,19 et 116, alinéa 1er , sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ou, en cas d’empêchement de celui-ci dûment constaté par la Cour constitutionnelle saisie dans les mêmes conditions que ci-dessus, par le premier Vice-Président du Sénat (L. 1/97 du 22 avril 1997) ;
– L’autorité qui assure l’intérim du Président de la République, dans les conditions du présent article, ne peut se porter candidat à l’élection présidentielle.
– En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour constitutionnelle, le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeure constatée par la Cour constitutionnelle, trente jours au moins et quarante cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou de la déclaration du caractère définitif de l’empêchement. »
.
Alors, si ce n’est pas un coup d’Etat, qu’est-ce que c’est, si le président de la République encore en vie et jouissant de la capacité de diriger l’Etat, même depuis un lit d’hôpital, doit assister impuissant à la désignation par la Cour Constitutionnelle, en ses lieu et place de celui qui préside le Conseil des ministres ?
Si ce n’est un coup d’Etat, qu’est-ce que c’est donc, si l’incapacité de décider du président qui entraine la vacance du pouvoir est résolue non pas par l’exercice provisoire du pouvoir par le président du Sénat comme le prévoit la Constitution mentionnée supra, mais par le transfert de ses compétences de président du Conseil des ministres au vice-président, dont la fonction est essentiellement nominative au Gabon, qui plus est ?
En fait, il n’ya que dans les cas de coups d’Etat que l’on entretient le flou autour de la Constitution, soit en la mettant entre parenthèses, soit en y apportant des modifications ad hoc qui servent les intérêts des auteurs du coup de force. La preuve, selon TV5 Monde, «C’est en pleine nuit que la Cour constitutionnelle a convoqué la presse. A sa tête, la présidente de la Cour, Marie-Madeleine MBorantsuo, une proche de la famille présidentielle, notamment d’Omar Bongo dont elle a eu deux enfants. Devant les caméras, les juges sont en tenue civile. Traits tirés, visages fermés. Ils viennent de modifier la Constitution gabonaise, pour ajouter un alinéa à l’article 13 qui, selon eux, comportait “une lacune”».
Bertrand Noël Boundzanga, porte parole de la société civile gabonaise a détecté le manège: «La Cour constitutionnelle a mis à terre la Constitution de la République gabonaise, et ça a tout l’air à ce moment-là d’un coup d’Etat et nous disons non à cela.».
Pour la Coalition pour la nouvelle République (CNR), qui a soutenu la candidature de l’opposant Jean Pingà la présidentielle de 2016, “l’acte (de la Cour) prouve une fois de plus, une fois de trop, la violation flagrante de notre loi fondamentale, par la Cour constitutionnelle garante de celle-ci”.
Voilà pourquoi il serait difficile de convaincre le monde que ce qui est en train de se passer au Gabon n’est pas un coup de force politique. De la même façon qu’on n’avait convaincu personne qu’après avoir reçu une balle dans la nuque, le Capitaine Moussa Dadis Camara pouvait, après sa sortie d’hôpital, reprendre la direction des affaires de la Guinée là où il les avait laissées, à la suite de l’intérim assuré par le Général Sékouba Konaté. Mais qui se plaindra du sort d’Ali Bongo dont on sait qu’il n’est encore présent à la tête de l’Etat gabonais que par le fait d’un autre coup de force constitué par sa reconduction alors qu’il avait été proprement battu à l’issue du scrutin de novembre 2016 par l’ancien Premier ministre Jean Ping ?