Le président de la Commission de la Cemac, Daniel Ona Ondo (photo), a livré son sentiment sur plusieurs sujets d’intérêts communautaires. Programme des réformes économiques et financières, diversification de l’économie de la sous-région à l’aune de la conclusion d’accords sur la Facilité élargie de crédit avec le FMI, libre circulation, intégration régionale, etc., tout y passe, dans cet entretien réalisé par un hebdomadaire dédié à l’actualité sous-régionale.
Trois mois après avoir pris les rênes de la Commission de la Cemac, quelle est la situation de la sous-région aujourd’hui?
Vous savez que nos pays ont subi deux chocs, celui de la baisse du prix du pétrole qui est passé de 100 dollars le baril à moins de 40 dollars le baril. Le deuxième choc, c’est le choc sécuritaire. Compte tenu de cela, les chefs d’Etat de la sous-région se sont réunis au mois de décembre 2016 à Yaoundé ; ils ont pris des décisions importantes et la première décision était de faire un ajustement monétaire. Ils ont dit qu’ils ne vont pas dévaluer.
Ils ont demandé de faire des ajustements réels, c’est-à-dire qu’on touche au budget. Donc ce travail se poursuit. Aujourd’hui, je ne vais pas dire que nous sommes au bout du tunnel, mais les résultats sont probants. Nous avions un taux de croissance négatif l’année dernière, maintenant le taux de croissance est passé au-dessus de zéro. Il est relativement stable. Je pense qu’avec les mesures qui ont été prises, on sortira de la récession, c’est déjà un point positif. On a des réserves de change qui se sont améliorées. On est en train de prendre certaines mesures au niveau du PREF-Cemac, bref, dans l’ensemble, la zone se porte mieux, qu’il y a quelques années.
Plus d’un an après l’adoption du programme des réformes économiques et financières de la Cemac par les chefs d’Etat, comment se déroule sa mise en œuvre?
Je ne peux pas vous dire pays par pays parce qu’un pays est autonome et a sa souveraineté monétaire. Nous avons fait le point avec les membres des gouvernements et chacun a décliné ce que chaque pays est en train de faire. Mais ce que je peux vous dire, c’est que dans l’ensemble, le PREF-Cemac est constitué autour de cinq piliers : le pilier budgétaire, le pilier monétaire et financier, le pilier structurel, le pilier de l’intégration et le pilier de la coopération internationale, avec 25 actions à mener. Donc je peux vous dire que dans l’ensemble, tout se déroule à peu près correctement, parce qu’il y a d’abord la mise en place du PREF-Cemac qui vient de se terminer.
Maintenant, nous passons à la phase de réalisation des objectifs qui ont été fixés. Les décisions ont été prises par les Etats pour réajuster nos économies, je crois que c’est une bonne décision de faire en sorte que le PREF-Cemac soit mis en place, et le secrétaire permanent est en train de travailler dans ce sens.
Les retards qu’accusent La Guinée équatoriale et plus encore le Congo, dans la conclusion d’un accord avec le FMI, auront-ils un impact quelconque dans la sous-région ?
Je crois qu’il ne faut pas vite aller en besogne. Le Congo n’est pas le mouton noir de la zone, bien au contraire, parce que même avant d’aller au FMI, les pays ont pris des ajustements internes. Ceci pour vous dire que le Congo n’a pas attendu le FMI pour prendre des mesures immuables pour redresser sa situation économique, le paiement de la dette par exemple. Donc, le Congo ne peut pas être le pays qui tire les autres vers le bas. C’est vrai que quatre pays ont signé avec le FMI ; l’avantage de signer avec le FMI est qu’on a des financements qui sont sous-jacents à la signature du FMI ; il y a des revues des programmes, et au terme de ces revues on avance des financements.
Aujourd’hui, le Congo est en train de travailler pour aller en programme avec le FMI, pareil pour la Guinée équatoriale. Vous savez que le FMI a dit qu’il veut faire un programme de six mois qui ne soit pas un programme de référence, avec possibilité de renouvellement à chaque étape avec la Guinée équatoriale. Aujourd’hui, le Tchad a quelques soucis avec le FMI, des problèmes d’endettement notamment. Ça va se régler. Ensemble, les pays ont pris, avec la crise économique, des mesures qui dans l’ensemble, vont dans le bon sens.
Vous disiez que cette année, on peut espérer que la zone sorte de la récession, est-ce que la diversification des économies est effectivement mise en œuvre?
Vous savez que gérer un Etat n’est pas chose facile. Il faut une résilience de l’économie aux chocs extérieurs. Tous les hommes politiques le savent, il faut diversifier l’économie pour éviter que tout le pays ne dépende que d’un produit, ce qui nous est arrivé. Pourquoi le Cameroun a-t-il mieux résisté ? Parce que le Cameroun a eu une économie plus diversifiée que les autres pays. Il en est de même un peu du Gabon. Donc tous les chefs d’Etat, tous les pays, travaillent désormais à la diversification de l’économie. Il y a des projets en cours, des projets nationaux, et il y a aussi des projets qui sont des projets d’intégration qui permettent de faire en sorte que les économies ne dépendent pas trop d’un seul produit. Donc, dans l’ensemble, tous les pays sont conscients qu’il faut diversifier nos économies, je crois que c’est vraiment fondamental.
Qu’en est-il de la libre circulation des personnes et des biens?
C’est vraiment un débat d’intégration pour que les personnes et les biens circulent, c’est fondamental. Deux pays faisaient obstacle à cela : c’est mon pays d’origine, le Gabon, et la Guinée équatoriale qui ont levé cet obstacle. Au sommet d’Ibo, ils ont accepté d’acter la libre circulation ; au sommet de Malabo et de Ndjamena, cela a été encore acté. Sur les faits, la libre circulation est réelle, mais seulement il y a un problème, il faut la sécurité.
Mais avec les récents évènements survenus en Guinée équatoriale, l’on craint que les choses ne retournent au statu quo ante ?
Mettez-vous à la place d’un pays qui vient d’être attaqué, il se replie sur lui. Maintenant, c’est à nous de donner des garanties pour faire en sorte, qu’aux frontières, il y ait la sécurité. C’est le rôle de la Cemac, faire en sorte que dans les frontières, on puisse avoir des couloirs sécurisés.
La nécessité d’un passeport biométrique, pour qu’on puisse savoir qui circule, c’est tout à fait normal dans un pays ; même en Europe, vous pouvez circuler, mais on contrôle qui circule. Donc, aujourd’hui, nous sommes en train de faire que tous les pays aient un passeport Cemac biométrique. Nous avions une petite dette vis-à-vis d’Interpol, parce que c’est Interpol qui est habilité à le faire. Nous sommes en train de payer cette dette. Le gouverneur de la BEAC et le président de la BDEAC ont réussi à trouver 1,7 milliard FCFA pour pouvoir payer cette dette pour qu’Interpol donne les spécificités du passeport biométrique.
Les choses sont en cours. La libre circulation n’est pas remise en cause, c’est la sécurité qui est remise en cause. Quand vous êtes attaqués, vous êtes obligés de vous replier sur vous-même et je crois qu’il faut comprendre la Guinée équatoriale; nous faisons tout aujourd’hui pour que ces mesures ne soient que des mesures transitoires.
Quelles sont vos ambitions pour la cemac ?
Vous savez, la Cemac est très mal connue. Quand j’ai été nommé, les gens se sont demandé, c’est quoi la Cemac? Mon objectif, aujourd’hui, c’est de relever le niveau de la Cemac, faire en sorte qu’il ait une visibilité ; les gens sont habitués à voir d’autres se balader de conférence en conférence. Nos populations n’ont pas besoin de conférence, elles ont besoin d’actes d’intégration. Le problème que vous avez souligné au niveau de la Guinée équatoriale, c’est de mettre au niveau des postes frontaliers des fonctionnaires aguerris, que les gens circulent. Il faut qu’un individu qui part de Ndjamena, qui passe par le Cameroun et qui arrive au Gabon ou au Congo se sente libre.
Moi, je suis du nord du Gabon, mais j’habite Libreville. Chez moi, vous ne pouvez pas savoir le nombre de postes de police qu’il y a, les tracasseries que subissent les commerçants du Cameroun, du Tchad, qui viennent vendre des bœufs. Quelqu’un qui arrive avec un camion de bananes, est interpellé cinq fois et les bananes arrivent à Libreville, complètement pourries. Il faudrait rationaliser. C’est un dossier important. Beaucoup de gens disent qu’on va nous envahir ; personne ne va nous envahir, personne ne va envahir personne ; on a ouvert en Europe, est-ce que les Allemands ont envahi les Français ? Est-ce que les Français ont envahi les Suisses ? Je crois que cette idée doit sortir de la tête des gens. Ce n’est pas un envahissement.
L’engouement observé, ces derniers temps, est-il un engouement de circonstance du fait de la décision portant ouverture des frontières?
J’ai des hommes d’affaires, que j’allais chercher à l’aéroport quand j’étais ministre dans mon pays, parce qu’ils n’avaient pas de visas. Un homme d’affaires qui est milliardaire, qu’est-ce qu’il va venir faire dans mon pays, sinon faire ses affaires ? Donc, c’est complètement sûr, il ne vient pas pour rester, on n’est pas pour la libre installation, les gens confondent. Quand vous avez un passeport biométrique et puisque vous êtes contrôlé à la frontière, vous avez le droit de rester 90 jours, ensuite vous êtes tenu de retourner chez vous.
Maintenant, si vous voulez vous installer, vous faites des démarches pour vous installer dans le pays ; si le pays demande qu’il y ait une carte de séjour, vous payez une carte de séjour. C’est comme en France. Vous êtes obligé de la payer. Je suis gabonais et j’ai un passeport diplomatique, je reste en France sans visa, mais si je veux m’installer en France, je fais les formalités pour être installé en France. Les gens confondent les deux choses.
Avec lenouveaugabon