Les start-up, ce n’est pas qu’à Paris. C’est le discours de Macron et Axelle Lemaire qui célèbrent les succès de la French Tech. Tout n’est cependant pas rose dans ce petit monde bouillonnant des jeunes pousses. La secrétaire d’Etat au Numérique a répondu à nos questions.
Il y avait la French touch, le French kiss et la French manucure. Il y a depuis bientôt trois ans la French Tech : une initiative lancée par Fleur Pellerin en novembre 2013 pour donner de la visibilité aux start-up françaises, en particulier à l’international et auprès des investisseurs. Vous savez, c’est ce petit coq rouge stylisé qu’Emmanuel Macron, le ministre de l’Economie, arbore souvent à la boutonnière. Pour lui :
« La French Tech est le symbole d’une France qui réussit, qui innove, qui croit à l’avenir, qui voit loin, qui se projette à l’international. »
Une mission French Tech a été créée à Bercy et treize métropoles ont obtenu le label censé garantir le caractère dynamique et innovant de leur vivier de jeunes pousses et les faire bénéficier de ce coup de projecteur. Il n’y en aura pas d’autres pour l’instant même si certains territoires tambourinent à la porte pour en être. Il y aura en revanche des « réseaux thématiques » d’entrepreneurs, sur l’e-santé, l’Internet des objets, etc, auxquels vont s’associer des « écosystèmes plus petits » comme Besançon, Dijon, Limoges et Laval.
Inversion de la courbe
C’est dans le chef lieu de la Mayenne, qui organise un festival international annuel sur la réalité virtuelle, Laval Virtual, qu’Emmanuel Macron et Axelle Lemaire, la secrétaire d’Etat au Numérique ont fait ces annonces ce lundi après-midi – François Hollande devait initialement faire aussi le déplacement. L’occasion pour les ministres d’affirmer que, oui, en matière de start-up, il y a bien eu une inversion de la courbe. Un bilan, forcément positif, de cette initiative, tout en chiffres :
- 13 métropoles labellisées (Paris est hors concours comme « capitale incontestée des start-up en France », avec environ la moitié des 10 000 jeunes pousses françaises) : Aix-Marseille, Bordeaux, Brest-Lannion, Côte d’Azur, Digital Grenoble (devenu French Tech in the Alps), Lille, LorNTech, Lyon, Montpellier, Nantes, Normandy, Rennes, Toulouse.
- 66 entreprises en « hypercroissance » bénéficiaires du Pass French Tech (accompagnement VIP).
- 23 start-up étrangères attirées en France grâce au French Tech Ticket (70 d’ici janvier prochain).
- 655 Bourses French Tech, des subventions de 10 000 à 30 000 euros, accordées en 2015 soit 26 millions d’euros en deux ans.
- 5 investissements dans des accélérateurs pour 30 millions d’euros en tout (Axeleo à Lyon, West Web Valley à Brest, usine I/O à Paris…).
- 12 « hubs » à l’étranger pour aider à l’internationalisation (20 en fin d’année).
- 9 réseaux thématiques (tous en anglais du fait du « caractère international de la portée de ces thématiques ») : Health (médical, santé connectée, biotech), « IoT » pour internet des objets (impression 3D, robots, drones), EdTech (éducation et culture), Cleantech (mobilité, véhicule autonome, smart city, etc), FinTech, Sécurité-vie privée, Distribution, FoodTech (de l’agriculture à la restauration), Sports.
Le prochain Google (c’était l’ambition initiale de la French Tech) viendra-t-il d’Amiens ou de Chalon-sur-Saône ? Cette mission gouvernementale fonctionne-t-elle en mode « l’école des fans, tout le monde a gagné » ? La French Tech n’est-elle qu’une belle vitrine destinée au shopping des multinationales ? On a posé toutes ces questions à Axelle Lemaire.
Rue89 : Quel bilan dressez-vous de cette initiative lancée il y a presque trois ans ?
Axelle Lemaire : La dynamique de la French Tech est non seulement enclenchée mais elle s’est amplifiée. Elle suscite énormément d’enthousiasme chez les entrepreneurs et les investisseurs. Elle se traduit par des résultats très concrets en termes de levées de fonds : le volume des investissements dans les start-up françaises a doublé en 2015 par rapport à 2014, et au premier trimestre 2016 par rapport à l’an passé. La France est devenue, au premier trimestre 2016, le premier pays d’Europe en nombre d’opérations d’investissement en capital-risque.
Deux des start-up les plus prometteuses et emblématiques de la French Tech, Medtech (robot chirurgical) et Withings (objets connectés) viennent d’être rachetées par des entreprises étrangères : c’est à ça que sert la French Tech ?
Les start-up françaises ne sont pas plus rachetées qu’auparavant. Et il arrive aussi que des entreprises françaises rachètent des start-up étrangères. Il ne faut pas en conclure que la France n’est pas un terreau fertile pour la création d’entreprise. Un rachat est une des issues possibles pour une start-up, ça fait partie de l’alimentation d’un écosystème innovant.
On ne peut pas nier la dimension internationale de ces entreprises qui souhaitent se développer bien au-delà de nos frontières. L’important c’est que les entrepreneurs souhaitent se réinvestir en France, que le siège reste en France ainsi qu’une partie des emplois. Il n’y a aucun tabou de ma part.
Il y a toute une nouvelle génération d’entrepreneurs emblématiques qui émergent, comme Xavier Niel et Marc Simoncini, qui réinvestissent dans l’écosystème. C’est une des clés du succès. On n’est qu’au début de l’histoire. Cet essor se fait sur des bases beaucoup plus solides et durables que lors de la première bulle internet : il nourrit le tissu entrepreneurial dans la totalité des territoires.
Vous n’annoncez pas de nouvelles métropoles French Tech mais des réseaux thématiques, intégrant des territoires aux écosystèmes à peine émergents, plus petits et moins structurés. C’est une façon de ne pas décevoir les recalés ?
Nous confirmons d’abord le label des treize métropoles : cette « relabellisation » a représenté un vrai travail d’accompagnement qui est, je trouve, une façon innovante de mettre en œuvre une politique publique. Pendant un an, la mission French Tech a accompagné ces métropoles, les a aidé à redéfinir leurs orientations stratégiques notamment quand le comité de pilotage n’était pas assez pris en main par les entrepreneurs, trop par les institutionnels, pour conserver l’esprit de la French Tech : ce sont les entrepreneurs qui ont le « lead » dans chaque territoire.
C’est fâcheux de voir cette labellisation comme un concours. La France ne peut pas se permettre de mettre en concurrence les territoires les uns contre les autres, on a l’obligation de se mettre en réseau. Il faut plus voir cela comme des meetup que comme des concours. Cela permet de regrouper les start-up autour de leur thématique, en intégrant des associations privées comme France FinTech par exemple. C’est plutôt judicieux de leur octroyer une visibilité dans cette période post-Brexit.
Justement, n’aurait-il pas fallu choisir moins de thématiques et mettre le paquet sur deux ou trois, dont les FinTech, où la France est en retard, alors qu’elle a de très grandes banques et une opportunité historique avec le Brexit ?
C’est trop tôt. Attendons que les réseaux soient solidifiés. Donnons-nous rendez-vous dans deux ans, au-delà des gouvernements car la French Tech est une marque ouverte qu’il ne faut pas instrumentaliser. Nous préférons le travail à petits pas : l’idée était de s’assurer qu’il n’y ait pas d’opportunités manquées, de trous dans la raquette.
Je remarque toutefois l’absence de certaines thématiques clés pour un pays comme la France, notamment la mode, tout ce qui est Beauty tech et Fashion tech. Il y a un véritable enjeu de transformation numérique des géants du luxe qui doivent faire de l’open innovation. Mais ce n’est pas mûr aujourd’hui.
Quant aux banques, je suis moins inquiète qu’il y a deux ans : il y a une très forte prise de conscience que le futur concurrent d’une banque française ce sera peut-être plus Facebook qu’une banque britannique ! Si les deux tiers des start-up de la Fintech en Europe sont domicilées à Londres, ce n’est pas un hasard : l’attractivité du cadre réglementaire et l’accompagnement jouent énormément. Cela implique de choisir une régulation soft en amont, innovante.
Je me réjouis de la toute récente création du Forum innovation par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel (ACPR), et que la Banque de France travaille avec les acteurs de la nouvelle filière de la Reg Tech [pour « régulation » : des solutions numériques répondant aux contraintes réglementaires de conformité des banques et assurances, ndlr]. Je n’en aurais même pas rêvé il y a cinq ans quand je vivais à Londres. Les esprits évoluent.
Vous dites que « l’énergie de la French Tech ne vient pas seulement des grands centres urbains, des grandes entreprises, des grandes écoles » mais de « l’ensemble des territoires, les quartiers populaires, les zones rurales ». Or les profils des startuppeurs sont très homogènes, non ?
Tout à fait. Le constat est vrai en France et dans tous les pays occidentaux. Encore plus dans la Silicon Valley où le profil type est un homme de 25-35 ans, blanc. Cela pose un double problème : cela appauvrit le vivier de ressources humaines potentielles et cela questionne la représentativité du secteur numérique et sa capacité à produire de l’innovation inclusive, pas seulement économique et technologique.
Je le dénonce en permanence. Dans ce sens, la France se distingue dans son projet d’innovation par tous, pour tous et partout. C’est un des thèmes phares de mon action au ministère et ce n’est pas un hasard si mon projet de loi s’appelle « République numérique ». Il faut travailler avec les associations de quartiers pour améliorer le taux de réussite de la création d’entreprise dans les banlieues.
Il y a aussi la Grande école du numérique. C’est une petite bombe d’intégration sociale l’air de rien. D’ici à la fin de l’année, 4 000 jeunes auront été formés à des métiers du numérique, tel que développeur, avec un taux d’employabilité de plus de 80 % ! Il faut amplifier, accentuer le financement et décliner ce petit bijou. Le numérique peut permettre de lever des obstacles liés aux rigidités, notamment administratives, pour faire de la politique autrement.
avec nouvelobs