La visite d’État à Tunis du président Macron se déroulera sur deux jours. L’occasion de mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs, de Mitterrand à Hollande.
Les visites d’État des présidents français en Tunisie n’ont pas toujours été évidentes. Si les deux pays, en dépit du passé, ont su nouer des relations économiques étroites – 1 300 entreprises françaises sont installées en Tunisie, employant plus de 120 000 personnes –, les présidents de la Ve République n’ont pas tous su faire avec le dossier tunisien.
1957 : Bourguiba s’amuse aux dépens de Mitterrand
Il n’est pas encore président de la République, mais ministre de la Justice du gouvernement Guy Mollet. En mars 1957, la Tunisie fête le premier anniversaire de son indépendance. La guerre d’Algérie a commencé et il n’est pas question que le futur leader du PS croise une délégation du FLN. Lorsqu’il en aperçoit quelques-uns, Mitterrand dit à Bourguiba qu’il va devoir reprendre l’avion. Celui-ci s’étonne. Il n’est pas au courant… Il garantit au Français que cela n’arrivera pas. Le lendemain, Mitterrand tombe sur des visages familiers du FLN. Il s’en plaint auprès du président tunisien. Qui feint de nouveau l’étonnement. Et empoigne le combiné téléphonique pour passer un savon à son plus proche conseiller. Mitterrand se rend compte que le téléphone n’est pas branché… Le président tunisien s’est joué, avec malice, de son interlocuteur français. Franz-Olivier Giesbert racontera la scène dans François Mitterrand, une vie. Il reviendra en visite d’État en 1983, puis en 1989, après le coup d’État de Ben Ali. Au menu, déjà : l’immigration clandestine.
2003 : la « boulette » de Chirac
Jacques Chirac, plus porté sur le Maroc et le Liban, vint à Tunis en décembre 2003, période où le régime Ben Ali était un véritable État policier. Les droits de l’homme sont piétinés du matin au soir et du soir au matin. Malgré les éléments de langage qui lui ont été fournis (une fiche cuisine des mots-clés à prononcer), le président provoque un pataquès en déclarant publiquement que « le premier des droits de l’homme, c’est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat. De ce point de vue, il faut bien reconnaître que la Tunisie est très en avance sur beaucoup de pays. » Il cautionne alors l’autocratie. Le propos fait scandale, mettant à mal le crédit engrangé par Chirac dans les populations arabes lorsqu’il avait refusé la guerre en Irak. Cette petite phrase aux grandes répercussions surprit son entourage. Elle ne reflétait ni l’opinion de « Chirac d’Arabie » ni son analyse du régime Ben Ali. Avant de quitter Tunis, Chirac affirmera à Yves Aubin de La Messuzière, diplomate et expert des questions arabes, que « le régime se perdra par la corruption qui a pris une ampleur considérable », évoquant « le syndrome indonésien ». Le dirigeant de ce pays, Suharto, était considéré comme le plus corrompu dans le monde, selon les chiffres de Transparency International. Son propos éclipsa le reste. Mais l’analyse du président français était pertinente. Huit ans plus tard, Ben Ali était « dégagé » pour, notamment, cette raison.
2011 : Sarkozy plombé par MAM
Lorsque la révolution tunisienne éclate le 17 décembre 2010, les autorités françaises n’ont rien vu venir. Ou n’ont rien voulu voir venir. Là où les Américains avaient diagnostiqué depuis 2008 que le cocktail corruption d’État + dégradation économique risquait d’exploser à la tête de la dictature Ben Ali, faisant fuiter des Leaks sur l’ampleur des prédations commises par les clans proches du despote et de sa femme Leïla, la France demeurait – officiellement – immuable. Tout allait bien au pays de Ben Ali. Pierre Ménat, alors « amba » à Tunis, ira jusqu’à affirmer à deux journalistes français, le 14 janvier à midi, que « Ben Ali avait repris le contrôle de son pays ». Six heures plus tard, Ben Ali et madame s’enfuyaient vers l’Arabie saoudite. Une poignée de jours auparavant, celle qui était alors ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, proposait « le savoir-faire » des policiers français au régime tunisien. Plaçant les quelque 30 000 ressortissants français en Tunisie dans une situation périlleuse. On dénombrait déjà 250 morts dans les rues du pays. Sarkozy expliquera plus tard que cela a constitué le « plus grand regret » de son quinquennat. L’homme était venu à plusieurs reprises. En tant que ministre de l’Intérieur, puis en visite d’État en 2008. Familière du pays, MAM connaissait pourtant la réalité du régime. La France muta Ménat à La Haye et MAM dut démissionner. On fit profil bas. L’intervention française en Libye, alors en pleine révolution, permit de détourner les regards.
2012-2017 : Hollande et la jeune démocratie
La jeune démocratie tunisienne reçut un entier soutien de la présidence Hollande. Une visite d’État en juillet 2013 puis sa présence à la marche du Bardo, après l’attentat terroriste perpétré dans ce musée en mars 2015. Le président de la République Béji Caïd Essebsi l’appela « François Mitterrand » lors de cet événement. Provoquant un moment de détente au sein d’une séquence extrêmement tendue. En janvier 2016, la ville Kasserine (Centre) entra en éruption sociale. Une situation critique. Présent à Paris, le chef du gouvernement Habib Essid obtint une aide d’un milliard d’euros (sur quatre ans). Lorsqu’il quitta l’Élysée, le premier déjeuner du citoyen Hollande fut dans un restaurant tunisien, la Boule rouge.
2018 : le logiciel Macron sous le soleil de Tunis
L’avion présidentiel se posera à Tunis-Carthage à 16 h 10 le 31 janvier. Après l’Algérie, voici sa deuxième visite officielle au Maghreb. Au menu : entretiens avec le président de la République, le chef du gouvernement, le président de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple), déjeuner avec la société civile, marche dans la médina de Tunis… Et en point d’orgue : un discours de quarante-cinq minutes au palais du Bardo devant les élus de la nation. Il accordera également un entretien télévisé à Myriam Belkadhi, star des talk-shows politique. Dans les soutes de l’avion présidentiel : des ministres, des chefs d’entreprise, des journalistes… Confrontée à une sérieuse crise économique, la Tunisie attend un soutien économique plus important de la part des bailleurs de fonds internationaux.