L’ accord conclu le 16 octobre dernier va à l’encontre de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, quoi qu’en disent ses partisans.
Un accord de principe sur les retraites complémentaires Agirc et Arrco a été conclu le 16 octobre dernier entre le patronat et trois syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC). Une économie annuelle de 6 milliards d’euros devrait ainsi être dégagée en 2020… économie qui pèse quasi exclusivement sur les salarié-es et les retraité-es (à environ 90 %). Les mesures principales en sont le recul de la date annuelle de revalorisation des pensions, leur sous-indexation (revalorisation inférieure à l’inflation), la baisse des droits futurs des salarié-es et un système d’abattement et de bonus sur la pension complémentaire. Alors que ces pensions ont déjà été fortement dégradées par les précédents accords, celui qui vient d’être conclu va encore aggraver la tendance.
De plus, les négociateurs n’ont certainement pas pris toute la mesure des conséquences sur les femmes. En particulier, le système d’abattement qui est instauré aboutit à allonger d’un an la durée de cotisation exigée pour toucher sa pension (base et complémentaire) sans subir de décote. Par exemple, une personne qui souhaite partir en retraite à l’âge légal (62 ans) et qui a la durée de cotisation exigée se verra néanmoins appliquer un abattement de 10 % sur sa pension complémentaire. Et ceci pendant trois ans. Pour ne pas subir l’abattement, elle devra rester en emploi un an de plus, jusqu’à 63 ans.
On le sait, toute augmentation de la durée de cotisation pénalise davantage les femmes car elles ont encore aujourd’hui des carrières en moyenne plus courtes. Elles risquent donc plus souvent de voir leur pension amputée par cet abattement. Or celle-ci est déjà bien plus faible que celle des hommes. En 2014 par exemple, la pension moyenne de l’Agirc servie aux femmes ne représente que 40,2 % de celle des hommes. À l’Arrco, les femmes liquident leur retraite 8 mois plus tard que les hommes. La part de femmes subissant déjà une décote sur leur pension de base est supérieure à celle des hommes, et leur décote est en moyenne plus forte… Et elles devront donc bientôt subir également un abattement de 10 % sur leur pension complémentaire ? Ou prolonger leur activité d’un an, alors que dans de nombreux métiers, en particulier à dominante féminine (infirmières, aides-soignantes, etc.) les personnes arrivent déjà aujourd’hui épuisées à l’âge de la retraite ?
L’accord prévoit certes un abattement réduit à 5 %, voire nul, pour les retraités soumis respectivement au taux réduit, ou nul, de CSG. Les partisans de l’accord soulignent que les pensions modestes, et donc les femmes, seront ainsi épargnées. Aucun retraité partant avec moins de 1100 euros ne sera concerné par un abattement, affirme la CFDT. Qu’en est-il vraiment ? Le critère d’application d’une CSG à taux nul ou réduit sur la pension se base sur le revenu fiscal de référence (RFR) : par exemple, le taux nul de CSG est appliqué pour un RFR inférieur à 10 633 euros pour une personne seule et à 16 311 euros pour un couple. Ce qui correspond, pour une personne, à un niveau maximum de pension de 985 euros1. Une personne dont la pension est de 1100 euros sera donc bel et bien être concernée par un abattement, qui sera en l’occurrence de 5% ! L’abattement potentiel de 10 % concernera les pensions supérieures à 1 287 euros.
L’application d’un critère basé sur le revenu fiscal de référence pose un problème récurrent. En effet, les couples mariés ou pacsés étant imposés de manière conjointe, le revenu fiscal de référence est celui du couple, donc identique pour chacun des deux conjoints quel que soit le niveau respectif de leur revenu. Or dans la grande majorité des cas, la femme a un revenu, salaire ou pension, inférieur à celui de son conjoint. Ainsi, même dans les cas où le niveau de sa pension la rend éligible au taux nul de CSG – et donc devrait l’exonérer de tout abattement – elle risque fort de se voir concernée par l’abattement de 10 % ou de 5 % du fait d’un revenu plus élevé de son conjoint qui fait passer le RFR du couple au-dessus du seuil d’exonération. Donnons un exemple. Si une femme a une pension de 750 euros – plus que modeste donc – qui devrait l’exclure de tout abattement potentiel, elle sera concernée par l’abattement de 10 % dès que son conjoint a un revenu supérieur à 1225 euros. Ce qui ne le classe pourtant pas parmi les personnes aisées. Il semble que ce problème de seuil variable en fonction du revenu du conjoint n’ait pas été pris en compte. Oubli au détriment de nombreuses femmes…
Cet accord va à l’encontre de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, quoi qu’en disent ses partisans. Des solutions justes existent pourtant pour financer les retraites. L’axe central inclut la réduction du chômage, l’amélioration des salaires mais aussi la lutte contre le temps partiel subi par les femmes et la réalisation de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Rappelons qu’une étude de 2010 de la Caisse nationale d’assurance vieillesse avait montré qu’une égalisation par le haut des salaires entre les femmes et les hommes, qui serait atteinte en 2023 dans la simulation, permettrait de faire entrer 11 milliards d’euros de cotisation pour la seule retraite de base. De quoi inciter à secouer la résignation ambiante qui semble accepter comme inéluctables les inégalités entre les femmes et les hommes. Ou qui fait semblant de préserver les femmes avec de tels accords !
avec liberation