Pas question de toucher aux accords entre Renault et Nissan. Emmanuel Macron a adopté une position tranchée, mardi 27 octobre. « Il ne faut pas déstabiliser l’alliance par des changements, des rééquilibrages, des modifications de gouvernance, qui d’ailleurs peuvententraîner des conflits d’intérêt », a déclaré le ministre de l’économie en marge d’une conférence de presse, parlant au nom de l’Etat actionnaire.
Un message destiné en priorité à Carlos Ghosn, l’homme fort des deux constructeurs automobiles. Depuis plusieurs mois, le patron franco-brésilien, qui dirige simultanément Renault et Nissan, envisage de revoir en profondeur le montage financier qui lie le champion français et son partenaire japonais.
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Dernière salve en date : Hiroto Saikawa, le représentant de Nissan au conseil d’administration de Renault, a fait circuler en septembre une proposition de rééquilibrage de l’alliance, a révélé l’agence Reuters mardi 27 octobre. Dans ce document de trois pages daté du 3 septembre, Nissan propose un nouveau schéma. Selon ce projet, Renault descendrait au capital de Nissan, passant de 43,4 % à moins de 40 %. Simultanément, Nissan, qui ne contrôle aujourd’hui que 15 % de Renault, augmenterait sa part. Au bout du compte, les deux partenaires disposeraient de participations croisées plus équilibrées, en détenant idéalement« entre 25 % et 35 % » l’un dans l’autre. Chacun bénéficiant des droits de vote afférents.
Ghosn le maître du jeu
Ces bisbilles ont commencé au printemps, avec la « loi Florange ». Voté en 2014, ce texte dispose notamment que les actions détenues depuis plus de deux ans bénéficient d’un droit de vote double lors des assemblées générales. L’objectif est de favoriser l’actionnariat à long terme au détriment des investisseurs spéculatifs. Problème : le conseil d’administration de Renault et son PDG sont en majorité hostiles à cette disposition.
Dans le dispositif actuel, M. Ghosn est relativement maître du jeu. L’Etat, premier actionnaire de Renault avec 15 %, n’est pas en mesure de dicter sa loi ; il a par exemple contesté plusieurs fois en vain l’énorme rémunération du PDG. Nissan a encore moins voix au chapitre : considéré comme une filiale de Renault, le groupe japonais n’a pas le droit de participer aux assemblées de sa maison-mère. Le reste du capital est totalement éclaté.
Avec des droits de vote double, la situation serait très différente, et l’Etat actionnaire pourrait davantage imposer ses vues. Pour M. Ghosn et son conseil, il n’en est pas question. En avril, ils soutiennent donc une résolution prévoyant de maintenir uniquement des droits de vote simple. C’est alors que le gouvernement engage l’épreuve de force. Il achète en Bourse un paquet d’actions Renault, monte provisoirement à 23,2 % des droits de vote, et parvient ainsi à bloquer la résolution litigieuse lors de l’assemblée du 30 avril.
La messe semble alors dite. L’Etat doit certes revendre rapidement les 5 % qu’il a acquis. Mais avec ses droits de vote doubles, exerçables à partir de la fin mars 2016, il disposera enfin d’une minorité de blocage de façon durable.
« Le sens de l’histoire »
M. Ghosn et ses partisans ne s’avouent pas pour autant vaincus. Leur solution ? Une refonte des liens entre Renault et Nissan, celle évoquée noir sur blanc dans la note du 3 septembre. Réduire le poids de Renault au capital de son allié nippon modifierait le statut même des deux groupes. Nissan ne serait plus considéré comme une filiale du constructeur tricolore. Si bien qu’il pourrait voter lors des assemblées de Renault, etcontrebalancer ainsi l’autre grand actionnaire, l’Etat français.
Une telle réorganisation pourrait se justifier, notamment par l’évolution des performances des deux alliés. Nissan, au secours duquel Renault avait volé il y a une quinzaine d’années, est aujourd’hui plus rentable que son ancien « sauveur », et pèse 73 % de plus en bourse…
Emmanuel Macron, lui, ne veut clairement pas de cette remise à plat. « Cette alliance, nous voulons en préserver tous les équilibres », a martelé le ministre mardi. Il tient à maintenir la prépondérance actuelle de Renault dans le dispositif, et le rôle de l’Etat, son premier actionnaire. « Il n’est pas question de détricoter l’alliance, appuie-t-on dans son entourage. Le sens de l’histoire, c’est au contraire une intégration plus forte des deux groupes. »
Dans l’immédiat, l’Etat n’a d’ailleurs pas cédé les 4,8 % de Nissan qu’il avait achetés en avril et promis de revendre juste après l’assemblée générale. Officiellement, ce statu quo est lié à la chute inattendue de l’action Renault à la suite de l’affaire Volkswagen, qui a fait trembler tout le secteur automobile en Bourse. Autant patienter un peu, le temps que le titre remonte, cela évitera d’essuyer une moins-value toujours mal venue, estime-t-on à Bercy. Mais ces turbulences boursières font peut-être bien les choses : en conservant pour le moment sa participation à 19,7 %, l’Etat montre aussi qu’il faut compter avec lui.
avec lemonde