Les Américains et les Asiatiques ont-ils déjà dépassé la France en matière d’intelligence artificielle? Antoine Petit, PDG de l’Inria et Alexandre Lebrun, responsable de l’ingénierie pour Facebook AI Research, ont répondu à la question lors du 01 Business Forum.
Après la micro-informatique, puis le numérique, la prochaine révolution technologique mondiale repose sur l’intelligence artificielle. Déjà, les grandes entreprises américaines (Facebook, Apple, Google, Amazon, Tesla) et asiatiques (Samsung, Baidu, Alibaba, Xiaomi) se sont lancées à l’assaut de ce marché avec les assistants intelligents, l’Internet des objets et les véhicules autonomes.
La France, bien que très en avance dans la recherche fondamentale avec des informaticiens et des mathématiciens de renommée mondiale, est toujours absente de cette compétition commerciale dont les enjeux sont stratégiques, à la fois financièrement, politiquement et socialement. Peut-elle encore jouer un rôle au sein de ce marché?
C’est la question qui était posée ce matin par Sébastien Couasnon, l’animateur de Tech&Co sur BFM Business, lors du 01 Business Forum à deux spécialistes: Antoine Petit, PDG de l’Inria et Alexandre Lebrun, responsable de l’ingénierie pour Facebook AI Research et co-fondateur de Wit.ai.
Antoine Petit remarque depuis quelques années une prise de conscience dans les grandes entreprises françaises et une véritable émulation dans les start-up de la French Tech. “Auparavant, nous travaillions avec des entreprises étrangères, ce qui peut paraître paradoxal, alors qu’aujourd’hui, des entreprises françaises nous demandent de les accompagner”, note le patron de l’Inria. “Elles ont compris que quelque chose était en train de se passer. Le fait que Facebook s’installe en France et vienne travailler avec nous a fait réfléchir un certain nombre de gens”.
Alexandre Lebrun rappelle que désormais, tout le monde peut accéder à la recherche dans ce domaine. “Les algorithmes sont ouverts et toutes les recherches, notamment celles de Facebook, sont publiées, tout le code est Open Source”, indique cet ingénieur en soulignant qu’en France, “toute entreprise qui a conscience de l’enjeu a les moyens d’en faire et de l’appliquer à sa problématique et à son business”.
Investissement, souveraineté et modèle social
Le secteur privé est même épaulé par les pouvoirs publics depuis plusieurs années. Sous l’impulsion d’Axelle Lemaire et Thierry Mandon, le précédent gouvernement avait lancé en janvier 2017 un plan pour l’IA. Et début septembre, le Premier ministre Édouard Philippe a demandé à Cédric Villani, mathématicien médaillé Fields et député LaREM, de mener une nouvelle mission d’information sur le sujet.
Pour Antoine Petit, c’est une bonne chose, mais il faudrait aller plus loin. “Le rapport Villani sera certainement de grande qualité, mais il devra se traduire en espèces sonnantes et trébuchantes”, estime le PDG de l’Inria. “Il faut garder nos talents, en attirer et garder une interaction avec le monde industriel. Ce sont des priorités qui doivent se traduire financièrement”.
Reste que le carburant nécessaire pour faire fonctionner l’intelligence artificielle repose sur les données, et ce sont les Gafa et les Chinois qui les possèdent. Antoine Petit reconnaît que c’est le nerf de la guerre. “La France et l’Europe sont d’une naïveté confondante en laissant leurs données traverser l’Atlantique, n’en déplaise à Facebook, même si nous avons plaisir à travailler avec eux”.
“L’Europe doit se sensibiliser aux enjeux de souveraineté et de modèle social”, préconise le PDG de l’Inria. “Prenons l’exemple de la médecine, où l’on pourra prédire les risques. D’un côté, c’est formidable, mais de l’autre, cela posera des problèmes. Aura-t-on envie d’être solidaires avec des gens dont on se dira qu’ils sont responsables de leur pathologie? On ne fera pas les mêmes choix en Chine, aux États-Unis et en Europe”.