Le gouvernement présente ce 24 septembre son projet de loi de finances pour 2019, avec une baisse d’impôt annoncée de 6 milliards d’euros pour les ménages. Elle devrait cette fois bénéficier également aux moins aisés. Emmanuel Macron opérerait-il un virage à gauche? Marc Wolf, avocat fiscaliste, nous aide à y voir plus clair.
C’est un budget à haut risque que présente le gouvernement. Le contexte est particulièrement délicat pour le pouvoir, avec une croissance qui pourrait péniblement atteindre les 1,6% au lieu des 1,9% attendus, une Union européenne qui met la pression afin de maintenir le déficit public sous les 3% du PIB et pour couronner le tout, une popularité présidentielle en chute libre. Ce 24 septembre, à Bercy, le gouvernement a évolué sur le fil du rasoir: privé de marge de manœuvre, l’exécutif a dû jouer les équilibristes.
Dans ce contexte difficile, qui verra pour la deuxième année consécutive la politique de l’emploi mise à contribution avec une baisse de crédits de 2,1 milliards d’euros et une fonction publique d’État délestée de 4.164 postes, les ménages devraient au contraire être à la fête. Le gouvernement annonce une réduction d’impôts de l’ordre de 6 milliards d’euros, majoritairement basée sur une nouvelle baisse de la taxe d’habitation et sur la suppression des cotisations salariales sur les heures supplémentaires. Alors, changement de cap? Macron voudrait-il se débarrasser de son étiquette de «Président des riches»? Peut-être, mais de là à y parvenir, c’est une autre question.
Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, n’achète pas cette version. Le 24 septembre, sur Public Sénat, il a qualifié Emmanuel Macron de «roi du passe-passe» et a utilisé le terme d’«entourloupe». L’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE), a chiffré le gain réel de pouvoir d’achat pour les ménages à 3,5 milliards d’euros. Les pensions de retraite, ainsi que les allocations familiales et les aides personnalisées au logement (APL), ne seront revalorisées que de 0,3% en 2019. C’est un chiffre bien en dessous de celui de l’inflation, qui est attendue à 1,3%. De plus, la hausse des taxes sur le diesel et le tabac coûteront respectivement 1,9 milliard et 400 millions d’euros aux ménages. «Est-ce qu’il y a un Français, aujourd’hui, qui peut croire qu’ils vont gagner 6 milliards?», s’interrogeait Nicolas Dupont-Aignan sur France 2, cle 24 septembre.
Pour Marc Wolf, avocat fiscaliste et ancien employé de Bercy, le gouvernement pratique un certain enfumage:
«Il est dans un exercice de propagande, visant à guider l’opinion et à limiter la comparaison à 2019 par rapport à 2018, tout en faisant l’impasse sur les arbitrages en faveur des plus aisés qui sont acquis depuis 2018.»
Depuis l’année dernière, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été supprimé pour être remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les revenus du capital, comme ceux des actions ou des obligations, sont désormais taxés à hauteur de 30% par le biais d’une «flat tax», dénommée PFU (prélèvement forfaitaire unique) en bon français. Deux mesures qui coûtent 7 milliards d’euros, selon les calculs de l’OFCE et qui bénéficient très largement aux plus aisés.
«Il ne faut pas regarder 2019 par rapport à 2018, mais 2019 par rapport à 2017. La suppression de l’impôt sur la fortune et la mise en place de la flat tax de 30% sur les revenus du capital qui ont eu lieu en 2018 coûtent 7 milliards d’euros à l’État. Ces mesures profitent aux plus aisés.
Pour 2019, l’OFCE nous dit que le gain de pouvoir d’achat sera de 3,5 milliards d’euros. Il repose majoritairement sur une nouvelle baisse de la taxe d’habitation et la suppression des cotisations sur les heures supplémentaires. Des mesures qui bénéficieront effectivement aux Français qui ne font pas partie des catégories les plus riches. Mais le gain est deux fois moindre. Macron a été largement plébiscité par les plus aisés et quand on voit 2018 et 2019, l’on se dit qu’ils sont bien récompensés. Quand on prend cette politique dans sa globalité, le message c’est: “7 milliards pour les plus aisés = Macron Président des riches”», analyse Marc Wolf.
Le but affiché du gouvernement était de favoriser la population active au détriment de la population inactive. C’est la même logique qui a poussé l’exécutif à augmenter la CSG chez une partie des retraités. L’épargne en actions et en obligations a bénéficié d’un traitement de faveur, car elle est supposée travailler activement pour l’économie, au contraire de l’investissement dans l’immobilier. Mais dans les faits, ce sont les ménages les plus riches qui ont recours à ce type d’investissement.
«Plus vous êtes riches, plus vous avez tendance à investir dans les valeurs mobilières comme les actions et les obligations», rappelle Marck Wolf.
«Les placements financiers représentent 71% de la fortune des 1% les plus riches et même 90% au-dessus de 10 millions de patrimoine (soit environ les 150 plus gros contribuables) et donc, désormais, hors ISF et protégés par le bouclier à 30% du PFU!», souligne le site Virage humain.
Dans l’entourage d’Emmanuel Macron, on commence à vouloir donner des gages à gauche. Christophe Castaner, délégué général de la République en marche, déclarait le 14 septembre souhaiter lancer «une réflexion» sur la fiscalité des successions, dans le but de lutter contre la «progression des inégalités de naissance». La remise à plat de la fiscalité des héritages a déjà été évoquée par Emmanuel Macron. En 2016, il lançait: «Si on a une préférence pour le risque face à la rente, ce qui est mon cas, il faut préférer la taxation sur la succession aux impôts type ISF.» Mais voilà, depuis, l’ex-banquier a accédé à la fonction suprême et voit sa popularité s’éroder dangereusement. Elle s’est établie à 28% de satisfaits en cette fin septembre. C’est pire que François Hollande à la même période de son mandat.
Largement plébiscité par les retraités, notamment les plus aisés, et les classes moyennes supérieures qui sont concernés par les droits de succession, Emmanuel Macron a imposé une fin de non-recevoir à Christophe Castaner et l’a désavoué. Selon Le Figaro, lors d’une réunion mi-septembre à l’Élysée, le président jupitérien aurait lancé: «On ne touchera pas aux droits de succession tant que je serai là.» Un «Arrêtons d’emmerder les retraités», aurait même rompu le silence de la pièce. C’est que la hausse de la CSG les a mis en colère. Il s’agirait de ne pas se les mettre à dos, de même que les classes moyennes supérieures. 28%, c’est peu.
Avec sputnik