Les enjeux économiques, l’Iran, la Syrie et l’Ukraine seront au cœur des échanges entre Macron et Poutine au Forum de Saint-Pétersbourg. La France et l’UE peuvent-elles, par l’intermédiaire de Macron, profiter de l’isolement américain? Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France en Russie, répond.
Emmanuel Macron est arrivé à Saint-Pétersbourg pour deux jours. Cette visite, une première pour le Président de la République, peut-elle marquer un nouveau départ, tant pour le chef de l’État après ses couacs diplomatiques aux États-Unis que pour la France et l’UE après la décision unilatérale de la Maison-Blanche sur le dossier du nucléaire iranien?
Si l’épisode versaillais avait permis à Macron d’affirmer sa posture sur le plan international, les retrouvailles avec Vladimir Poutine, qu’il «respecte et connaît» et qu’il qualifie d’homme «très fort», sont largement attendus dans le contexte géopolitique actuel. D’autant plus, comme le rappelait Jean-Yves le Drian ce 23 mai que «la Russie est un grand pays, la Russie est un grand pays de notre environnement, la Russie peut être un partenaire, il faut amener dans la discussion tout ce que nous pouvons avoir sur l’ensemble des sujets de positions communes sans pour autant cacher les sujets de désaccord.»
Claude Blanchemaison ancien ambassadeur de la France en Russie, livre à Sputnik son sentiment sur cette rencontre officielle d’importance.
Sputnik France: On se souvient de la réception à Versailles de Vladimir Poutine par Emmanuel Macron. Le Président de la République avait profité de la présence de son homologue pour s’affirmer sur la scène internationale. Mais depuis, les succès n’ont pas été légion. Peut-on s’attendre à un Macron offensif?
Claude Blanchemaison: «Je crois en effet que la première rencontre de Versailles a été importante, parce que les deux ont fait connaissance et se sont jaugés. Il faut bien reconnaître que c’est ce qu’il se passe pour les dirigeants politiques des pays importants, ils se jaugent, ils s’évaluent, quelles peuvent être les réactions, et qu’est-ce qu’on peut faire ensemble. Et depuis Versailles, Monsieur Macron et Monsieur Poutine se sont parlé en marge du G20 de Hambourg, se téléphonent assez souvent notamment sur les crises les plus brûlantes. Le dialogue s’est donc poursuivi en permanence.
Alors aujourd’hui, la nouveauté c’est que, compte tenu de l’attitude de Monsieur Trump et le retrait des États-Unis d’un certain nombre de traités et règles multilatérales, compte tenu aussi du fait que certains de nos partenaires européens sont dans des situations politiques internes quelque peu difficiles, Emmanuel Macron arrive à Saint-Pétersbourg aujourd’hui comme le représentant de l’Europe. C’est comme cela qu’il est perçu par les Russes. Alors, je sais bien qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, mais néanmoins, cette rencontre est très importante, quelques jours après la visite d’Angela Merkel à Sotchi pour une rencontre beaucoup plus informelle, sans doute, avec le Président Poutine, et pour parler de questions économiques.»
Sputnik France: Outre l’aspect économique de cette rencontre, la politique et la géopolitique seront au centre des discussions entre les deux Présidents. La position française sur l’Iran va-t-elle être un point de convergence ou de discorde?
Claude Blanchemaison: «Je pense en effet qu’au cours de cette réunion bilatérale, les présidents évoqueront les sujets les plus brûlants, dont la non-prolifération nucléaire, chimique et bactériologique. Cette non-prolifération nucléaire rejoint l’affaire iranienne et de la sortie de l’accord sur le nucléaire iranien décidée par Donald Trump et les efforts communs faits par les autres signataires pour maintenir cet accord en vigueur et convaincre les Iraniens de ne pas en sortir, de ne pas reprendre l’enrichissement d’uranium. Et là-dessus, Vladimir Poutine qui a des rapports très étroits avec l’Iran, peut être certainement très actif.»
Sputnik France: Les sanctions américaines peuvent-elles rapprocher la France de la Russie?
Claude Blanchemaison: Oui bien sûr, parce que pour nous comme pour beaucoup d’autres pays dont l’Allemagne et la Russie, il n’est pas acceptable que les Américains prennent des sanctions qui ont des effets, au titre de ce qu’on appelle maintenant des sanctions secondaires, sur nos entreprises. Et que nos entreprises soient sanctionnées, parce que, dans le cadre de l’accord qui a été conclu avec l’Iran, cela les obère sur le marché iranien, ceci n’est pas acceptable. D’ailleurs, l’UE est en train de prendre des mesures pour marquer son autonomie par rapport aux sanctions américaines.
Sputnik France: Concernant la Syrie et d’une manière générale le Moyen-Orient, pensez-vous que cette rencontre va être productive? Ou les positions de la France et de la Russie sont trop figées pour envisager une quelconque évolution?
Claude Blanchemaison: Non, non, je pense que cette rencontre va être productive, de toute façon elle doit être productive parce que la situation n’est pas figée. Elle évolue. Et on voit bien maintenant, après avoir gagné la guerre, il faut gagner la paix. Et pour gagner la paix, il faut une vraie conférence de paix qui statue sur le régime futur de la Syrie, qui statue sur l’intégrité territoriale de la Syrie, mais aussi sur le futur processus politique interne à la Syrie, qui serait de nature à assurer la paix. Et là-dessus, les Russes ont leurs idées, ils sont très actifs, notamment avec le processus d’Astana; mais ce dernier, s’il a produit certains résultats, on sent qu’il est un peu essoufflé aujourd’hui, et que probablement il faut revenir à des conversations plus larges, à Genève ou ailleurs qui rassemblent toutes les parties concernées par cette affaire syrienne et notamment les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité.
Sputnik France: Sur l’Ukraine, est-ce que les déclarations de Jean-Yves Le Drian en mars dernier lors de son court séjour à Kiev («dans cette crise, il y a pour nous un pays agresseur et un pays agressé et il n’y a pas d’ambiguïté.») et le dossier ukrainien peuvent être une épine dans le pied de cette rencontre?
Claude Blanchemaison: «C’est sûrement un sujet dont il faut parler et on est au moins d’accord sur une chose, à Paris et à Moscou, c’est que le seul cheminement qui permet de sortir de la crise et d’alléger les sanctions, voire d’en sortir, est tracé par l’accord de Minsk. Et là-dessus, il y a un accord, mais simplement il faut appliquer les accords de Minsk, et c’est là que le bât blesse, puisque ces accords ne sont pas appliqués comme il conviendrait par Porochenko, mais peut être aussi par les Russes.»
C’est un sujet de discussion. Peut-être peut-on trouver des formules pour progresser sur l’application des accords de Minsk. Tout le monde reconnaît qu’il faut un rétablissement de la frontière entre l’Ukraine et la Russie dans le Donbass. Mais factuellement, cette frontière est poreuse sinon complètement effacée.
Monsieur Porochenko dit qu’il ne peut pas faire voter une décentralisation au profit des deux provinces du Donbass, qui serait le préalable au rétablissement de cette frontière par la Russie. Il faut certainement continuer à faire pression sur Monsieur Porochenko pour qu’il fasse voter les textes en question.
Mais peut-être peut-on aider au rétablissement matériel de cette frontière, par exemple en recourant à des forces de maintien de la paix. Il y a différentes hypothèses. Ces forces de maintien de la paix pourraient être des forces des Nations unies pourquoi pas, des Casques bleus, si tout le monde est d’accord au Conseil de Sécurité pour voter une résolution dans ce sens, ou toute autre formule.
Sputnik France: Peut-on espérer que les jeux de rôle (je fais notamment référence à l’affaire Skripal) s’effacent devant une relation bilatérale de premier ordre entre la France et la Russie?
Claude Blanchemaison: «L’affaire Skripal maintenant est derrière nous. Les choses ont été dites, des renvois de diplomates ont eu lieu, ce n’est pas la peine d’épiloguer là-dessus. […] Par contre, aux yeux des Russes, la France est un partenaire très important historiquement, mais aussi actuellement, notamment parce qu’elle représente l’avant-garde des pays européens. Je pense que Monsieur Macron portera le message à Monsieur Poutine que la Russie est un pays européen. La Russie est un pays européen par sa culture, son histoire et la Russie a des relations économiques très importantes avec l’UE. Encore une fois, et sauf erreur de ma part, l’UE en tant que telle, est de loin le premier partenaire économique de la Russie, notamment si on tient compte des investissements. La France est le premier investisseur en Russie. Ce ne sont pas les États-Unis et ce n’est pas la Chine.
Il faut être tout à fait sérieux et partir des faits. Et partir des faits, cela veut dire que la Russie et l’Europe ont des solidarités profondes et que ces solidarités doivent les amener à s’entendre. Et là-dessus, Monsieur Macron peut certainement être un messager de l’Europe pour rétablir des relations plus marquées par la confiance que par la défiance.»
Avec sputnik