Jusqu’ici, pour concurrencer l’aérien, compagnies low cost en tête, les opérateurs ferroviaires mettaient surtout en avant la vitesse d’un déplacement en train. Désormais, ils jouent la carte des services – personnalisation, connectivité, digitalisation –, le tout afin de contrer la politique de déclassement des entreprises.
10 décembre 2017. Ce jour-là, les passagers affaires de TGV Lyria ont découvert avec curiosité la classe Business 1ère nouvellement lancée entre Paris et Genève. Si les sièges de première n’ont pour l’instant pas changé – le renouvellement du matériel roulant n’est pas prévu avant 2020 –, la compagnie franco-suisse a entrepris la montée en gamme de ses prestations avec, au premier chef, l’introduction d’un service de restauration à la place. Cette expérience culinaire permet de faire passer, le temps d’un déjeuner, un tiers du trajet de façon fort agréable.
Mais surtout, elle entend redonner toutes ses lettres de noblesse à l’art de voyager. En effet, même si le passager ne retrouve pas le charme suranné des anciens wagons restaurants, la qualité du service proposé tout au long du voyage constitue l’une des clés de cette Business 1ère, une offre haut de gamme qui se démarque nettement de la Standard 1ère – correspondant à un trajet classique en voiture de première classe – et plus encore de la seconde classe Standard.
Avec cette nouvelle segmentation en trois classes, TGV Lyria ne fait, au fond, que suivre les rails d’autres compagnies, celui de la SNCF qui a lancé sa Business Première sur la nouvelle ligne à grande vitesse vers Bordeaux et la Bretagne et, plus encore, de Thalys et Eurostar qui furent précurseurs en la matière avec leurs offres Premium et Business Premier.
Introduites ces derniers mois, ces offres doivent permettre aux opérateurs ferroviaires de reprendre la main face aux politiques de “best buy” développées par les entreprises durant les années de crise. En effet, le contrôle étroit des budgets voyages en général, et des dépenses de transport en particulier, a entraîné un passage des voyageurs professionnels de la première à la seconde classe. Dès lors, les entreprises et leurs collaborateurs sont maintenant invités à rembarquer en première classe avec une alternative à leur disposition, soit une version standard à tarif accessible, mais sans services, afin de profiter du confort du siège, soit une option plein tarif en échange d’un florilège d’avantages tels l’accès au salon, l’accueil sur le quai, mais aussi la gratuité des boissons et de la presse, voire la restauration à la place. Pour les clients pro, ce tarif plus onéreux apporte également une grande flexibilité en matière d’échange et d’annulation, les entreprises profitant des solutions de gestion pertinentes telles l’intégration des notes de frais et le reporting.
Passage à trois classes
La généralisation de cette triple segmentation semble témoigner du succès de cette nouvelle formule. “Les retours de la clientèle professionnelle sont très positifs, la Business Première garantissant plus de fluidité, de confort et d’assistance”, confirme Fabien Soulet, directeur du marché Affaires, Entreprises et Agences de voyages à la SNCF. Après les lignes Paris-Bordeaux, Paris-Rennes et Paris-Nantes, la SNCF va d’ailleurs consacrer à cette nouvelle offre une voiture de première classe de ses TGV inOUI, d’abord sur l’axe Paris-Lyon début 2018, puis sur Paris-Lille et Paris-Strasbourg en cours d’année. A noter qu’à la différence de TGV Lyria, Thalys et Eurostar, le repas reste une option payante au sein de la Business Première de la SNCF.
Pour rivaliser avec l’aérien, le train à grande vitesse met depuis longtemps en avant l’avantage d’un trajet de centre-ville à centre-ville ainsi que le temps utile à bord, que ce soit pour travailler, se reposer ou déjeuner en profitant de plats conçus par des chefs étoilés. De fait, même si les transporteurs ferroviaires aménagent des salons toujours plus sophistiqués dans ou à proximité des gares pour agrémenter l’attente des passagers – le lounge Eurostar de Paris-Nord en est le plus bel exemple –, les voyageurs professionnels n’ont pas besoin d’arriver des heures à l’avance avant de pouvoir monter dans le train. La seule exception est Eurostar avec un enregistrement au moins 20 minutes avant le départ, délai qui tombe à 10 minutes pour les passagers Business Premier grâce à l’utilisation de portillons dédiés. Mieux vaut également arriver une vingtaine de minutes en avance pour les Thalys en partance de la gare de Paris-Nord en raison des portiques de sécurité qui génèrent une certaine pagaille.
Cet avantage du train sur l’avion se renforce dès lors que le trajet est plus court. Pour un vol d’une heure, il faut en effet ajouter en moyenne trois heures en opérations diverses : transfert vers et depuis l’aéroport, enregistrement, passage des contrôles de sécurité, embarquement, roulage sur le tarmac… Le train à grande vitesse, qui faisait la différence sur les destinations situées à trois heures de temps, prend désormais l’avantage jusqu’à quatre heures auprès des voyageurs professionnels. Un phénomène accentué par la généralisation du WiFi à bord qui permet d’envoyer des emails et de travailler sur les dossiers en cours…
Wifi accéléré
En place depuis 10 ans dans les TGV Thalys, le WiFi est plébiscité par les passagers affaires, avec en moyenne 1h30 de connexion. Le débit accordé est toutefois plus ou moins rapide afin de justifier la différence de tarif entre les classes. Chez Thalys, les voyageurs Premium disposent d’une capacité de 1 Go pour leur voyage, contre 100 Mo pour les autres voitures. De son côté, Eurostar propose ce service gracieusement dans ses nouvelles rames e320 ainsi que dans les anciens TGV rénovés.
Avec bientôt 300 rames équipées, la SNCF rattrape son retard. Remplaçant TGV Connect, son offre Le WiFi est désormais disponible sur les principaux axes des TGV inOUI, ceux de Paris vers Lyon, Rennes, Bordeaux, Lille, Strasbourg ainsi que sur le réseau Méditerranée. “80 % des clients TGV ont accès au WiFi”, confirme Rachel Picard, DG de Voyages SNCF. Là aussi, une différenciation est faite entre les clients Pro en première, qui bénéficient d’un débit de 250 Mo, et les passagers de seconde classe qui disposent, pour leur part, d’un débit de 200 Mo.
Le portail a en outre été relooké et enrichi en contenus. Les opérateurs ferroviaires se sont ici inspirés des compagnies aériennes en se dotant de plates-formes de divertissement diffusant des informations sur le voyage et la destination – les arrêts, la météo, et même un indicateur d’affluence au bar pour les TGV inOUI –, mais aussi de la musique et parfois une sélection de films.
Pour atténuer les ruptures avant et après le trajet, les compagnies ferroviaires ont également élaboré des offres de services de porte-à-porte via des transferts en taxi ou des sociétés de VTC, mais aussi un service voiturier dans les grandes gares tel celui d’Ector pour la SNCF. La vente de billets de transport en commun participe également de cette idée, tout comme des partenariats avec des sociétés de vélos en libre-service présentes aujourd’hui dans les grandes villes européennes.
Travailler entre deux trains
Cependant, est-il encore besoin de sortir des gares pour tenir un rendez-vous professionnel, tant celles-ci deviennent de véritables lieux de vie avec commerces, restaurants, bureaux et salles de réunions à louer à l’heure, à la journée ou au mois ? Ainsi Regus, leader mondial des centres d’affaires, met-il à disposition des espaces Regus Express dans les gares de Bordeaux, Paris-Nord, Le Mans, Bruxelles-Midi… Ces lieux de réunions sont même parfois connectés aux espaces d’attente des gares à l’image du salon Grand Voyageur de Paris-Nord. La SNCF compte 12 salons de ce type en France, offrant ainsi des services pratiques aux voyageurs d’affaires en transit : WiFi et port USB pour recharger un mobile, boissons froides et chaudes, presse quotidienne et magazine… Certains salons seront rénovés d’ici deux ans, dont celui de Lille Europe. Au niveau européen, les voyageurs fréquents ont par ailleurs accès à la quarantaine de salons de l’alliance Railteam qui regroupe des compagnies à grande vitesse aux réseaux interconnectés. Il suffit pour cela de faire partie de l’un des programmes de fidélité de ces opérateurs : SNCF, DB, SNCB, Eurostar…
La flexibilité dans la gestion des billets – achat, échange, annulation – et le déploiement de ces services innovants (alertes trafic, e-presse, restauration, transferts…) ont été facilités par l’essor des nouvelles technologies, et plus précisément des applications pour smartphones et tablettes numériques. Chaque transporteur accorde ainsi la plus grande importance aux développements de son “app” et aux retours des utilisateurs afin que celle-ci conserve sa simplicité d’utilisation tout en apportant un service personnalisé. “Il faut simplifier la relation client grâce au digital avec une appli utile et efficace”, résume Andreas Bergmann, directeur général de TGV Lyria, compagnie qui a lancé fin 2017 une version upgradée de son application pour permettre enfin la modification de ses billets.
Services personnalisés
Cette possibilité est essentielle, puisqu’une partie importante des clients professionnels échange son billet le jour du voyage. “L’application Eurostar nous aide à apporter encore plus de services personnalisés, de flexibilité et de fluidité dans le parcours client”, confie Dorothée Mariotte, directrice senior Connaissance du client et fidélisation chez Eurostar. De son côté, la SNCF met à disposition de la clientèle affaires son application TGV Pro qui permet de gérer ses e-billets et de retrouver son abonnement, son programme de fidélité et ses justificatifs de voyage. Elle est aussi le viatique pour accéder aux services annexes comme la réservation d’un taxi ou d’un VTC, la presse en version numérique, les informations trafic en cas de situation perturbée… Grâce à la géolocalisation, ces données sont en outre de plus en plus adaptées au client et à ses dossiers voyages.
Auparavant centrés sur le confort à bord, les opérateurs ferroviaires ont dû revoir leur copie pour intégrer dans leurs offres une palette de services qui correspond aux attentes des passagers. L’essor des nouvelles technologies a facilité la réponse à ces demandes qui fluctuent autour de la reconnaissance de leur statut de voyageurs fréquents, de la fluidité tout au long du déplacement et de la flexibilité dans la gestion de ses billets.
La SNCF veut séduire plus de voyageurs “pro” avec OUI.sncf
C’est une petite révolution dans l’univers du e-commerce. En décembre dernier, Voyages-sncf.com est passé sous l’appellation OUI.sncf. Un challenge pour le premier site français qui disposait de 10 millions de clients et représentait près de 50 % des ventes des trains à grande vitesse. Ce changement a permis à l’agence en ligne de la SNCF de modifier l’ergonomie de son site, l’application évoluant par ricochet. “L’ambition a été de renforcer le relationnel en apportant plus de simplicité, de pertinence et d’envies de voyages”, explique Julien Nicolas, directeur France de OUI.sncf. Le service client est en outre renforcé avec une disponibilité 7 jours/7 et 24h/24. Pour améliorer le service et l’expérience client, l’agence en ligne collabore actuellement avec plusieurs start-up. “Un programme d’innovation a été initié jusqu’en 2020, notamment autour du conversationnel”, ajoute-t-il. D’ores et déjà, le nouvel outil Oui Bot, accessible depuis la page d’accueil, permet d’effectuer des recherches et de réserver en langage naturel. Dédiée aux passagers affaires, la plate-forme de services V.Pro a suivi le mouvement. Rebaptisée OUI.Pro, elle s’est ouverte aux travel managers qui peuvent ainsi consolider les informations sur leurs collaborateurs : consommation, planning, factures…
Trainline se voit en distributeur de toutes les compagnies ferroviaires
Challenger de OUI.sncf, Trainline met l’accent sur la clientèle affaires, et ce depuis l’acquisition de Captain Train en France début 2016, suivi du lancement d’une offre Trainline for Business. Depuis, des partenariats ont été conclus avec American Express pour la carte logée, Concur pour les notes de frais et International SOS pour la sécurité. Trainline annonce disposer de 20 000 sociétés en compte, allant de la petite PME aux grands groupes. “Nos atouts sont la simplicité d’utilisation du site comme de notre solution mobile et une offre qui couvre 24 pays européens grâce à 137 transporteurs, dont 87 ferroviaires, mais aussi des compagnies de bus, notamment les navettes aéroports”, souligne Dick Wissink, directeur des ventes BtoB Europe. Trainline vient d’ailleurs de renforcer son contenu avec la compagnie ferroviaire tchèque LEO Express. Fort de cette offre, le site voit son contenu repris par des agences de voyages en ligne, mais aussi des travel management companies (TMC) qui l’intègrent dans les outils de réservation proposés aux sociétés. “Sur une seule application, vous disposez de tous vos voyages, que cela soit sur la SNCF, Eurostar, Thalys, Lyria, la DB…”, souligne Dick Wissink, ce qui évite au voyageur d’avoir à jongler d’une appli à une autre. D’autres innovations technologiques et partenariats sont attendus en 2018.
Avec : voyages-d-affaires.com