Il y a davantage de femmes que d’hommes sujettes à la dépression : c’est ce qu’affirme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et ce schéma est confirmé dans tous les pays du monde. Des études menées à travers des cultures différentes l’ont montré : quel que soit la saison ou le moment de la vie que l’on observe, la dépression s’avère plus fréquente chez les femmes que chez les hommes. Et cela sans beaucoup d’exceptions.
Pour quelle raison ? Les différences biologiques entre hommes et femmes, notamment hormonales, l’expliquent en partie. Il s’agit là de différences entre les sexes. Et pourtant, des facteurs sociaux entre hommes et femmes (les différences de genre) sont susceptibles de jouer un plus grand rôle. Par exemple, les sujets féminins, en général, souffrent davantage de stress que leurs homologues masculins et la recherche a montré que le stress social est une cause majeure de dépression.
Pourtant, une recherche que j’ai conduite récemment avec ma collègue Maryam Moghani Lankarani laisse supposer ceci : en cas d’évènement stressant, ce sont les hommes qui se montreraient plus enclins à la dépression.
Pourquoi les femmes sont-elles plus dépressives que les hommes ?
Selon les chercheurs, le stress se produit dès que des changements majeurs interviennent dans le statu quo (l’équilibre existant) qui risque de provoquer une pression mentale ou émotionnelle, voire de la tension. Ces évènements stressants de la vie peuvent être le mariage, le divorce, la séparation, la réconciliation entre époux, une blessure personnelle ou une maladie, le licenciement ou la retraite.
Les hommes sont davantage susceptibles de connaître des épisodes dépressifs en cas de difficulté au travail, de divorce et de séparation. Les femmes, pour leur part, sont plus sensibles au conflit, à la maladie grave ou à un décès intervenant dans leur entourage social de proximité.
En fait, la recherche suggère que la plupart des évènements stressants conduisant à la dépression féminine se rattachent à leur réseau social proche, par exemple les relations amoureuses et conjugales, l’éducation des enfants et leur rôle parental.
Ces travaux montrent que, comparé aux hommes, les femmes ont davantage tendance à ruminer (terme technique pour « sur-réfléchir ») au sujet de facteurs de stress, et à agiter des pensées négatives, ce qui conduit à la dépression. Et, selon l’une au moins des études, c’est ce qui explique la différence hommes-femmes dans la prévalence de la maladie dépressive. Ruminer risque d’aggraver encore le stress et, malheureusement, c’est ce qui arrive le plus fréquemment chez les femmes.
De telles découvertes le suggèrent : les causes psychosociales de la dépression sont, en partie, liées au genre et ces disparités s’enracinent dans des conditions de vie différentes, des inégalités sociales subies par les hommes et les femmes. Or, par rapport aux hommes, les femmes sont généralement victimes de plus grandes inégalités sociales et d’un plus fort stress social, donc sont plus sujettes à la dépression.
Le décalage entre les deux sexes, pour ce qui est de la dépression, s’avère plus marqué dans les nations coutumières d’inégalités importantes entre hommes et femmes. Le poids de la différence entre les sexes dans la survenue d’une dépression est au plus haut dans les pays où citoyens et citoyennes ne disposent pas du même accès aux ressources et à l’équité en matière sociale. Et cela, curieusement, pourrait expliquer pourquoi les hommes peuvent se montrer davantage fragiles face à la dépression due au stress : ils n’ont pas l’habitude d’y faire face.
Les hommes sont plus vulnérables aux effets à long terme du stress
Dans notre recherche récente, ma collègue Maryam Moghani Lankarani et moi-même avons découvert que, probablement, les évènements stressants de l’existence prédisposent plus les hommes que les femmes à la dépression. Du côté masculin, en réalité, on risque davantage de craquer quand les facteurs de stress s’ajoutent les uns aux autres pendant une longue période.
Nous avons examiné aux États-Unis les données d’une étude nationale représentative examinant comment, sur le long terme, les incidences psychologiques affectent la santé physique et mentale des personnes. Nous avons étudié les répercussions d’évènements stressants de la vie, tels que les avaient rapportés les hommes et les femmes au début de l’étude et leur taux de dépression vingt-cinq ans plus tard. Résultat : l’effet de chaque facteur de stress risquant de déclencher une dépression clinique était 50 % plus important chez les hommes par rapport aux femmes.
Ces découvertes correspondent à une étude que nous avions publiée à la fin 2015 : si les hommes blancs se montraient plus vulnérables à l’effet de stresscausant une dépression, c’est peut-être parce qu’ils sont moins exposés au stress que n’importe quel autre groupe démographique.
Il est possible que l’exposition cumulée entraîne une résilience ou une accoutumance à ce qui fabrique le stress. En d’autres termes, les gens qui font sans arrêt face au stress sont susceptibles de s’y habituer. Ainsi, le groupe social exposé à des niveaux de stress très bas (parce qu’il jouit d’un confort de vie privilégié) peut, dans le même temps, se montrer le plus vulnérable face à chaque facteur de stress supplémentaire.
Ce groupe n’a pas appris à gérer le stress aussi efficacement que ceux qui y sont plus confrontés. C’est potentiellement le prix à payer lorsqu’on bénéficie d’une vie plus facile et donc moins angoissante.
Les hommes dépressifs parfois ne se soignent pas
De même, les hommes peuvent se sentir vulnérables aux effets du stress parce qu’ils perçoivent la dépression comme une infirmité. Ils peuvent également considérer que parler de ses émotions et chercher de l’aide pour un problème émotionnel comme la dépression relève de la faiblesse. C’est surtout le cas dans les pays en voie de développement où les rôles traditionnels hommes-femmes sont fortement ancrés.
Ces croyances façonnent fortement les conduites des hommes ayant besoin d’un suivi médical pour leur état psychologique et qui deviennent vulnérables en cas de stress et de problèmes émotionnels. Ce qui conduit les hommes à ignorer la dépression en train de se développer et à éviter les soins nécessaires pour ne pas apparaître comme faibles. Voilà qui explique aussi, dans une certaine mesure, pourquoi le suicide frappe bien plus d’hommes dépressifs(particulièrement les Blancs) que de femmes souffrant de la même maladie.
La différenciation sexuelle influence notre risque de dépression de multiples façons. Elle détermine notre façon de s’exposer à l’adversité. Elle transforme notre vulnérabilité en stress. Et elle peut aussi déterminer à quelles ressources faire appel pour gérer le stress ou la dépression.
Avec weforum