Mettant le modèle américain au goût local, les chaînes de restauration rapide de Lagos sont en pleine expansion. Pour résister à l’arrivée de KFC, certaines vont s’introduire en Bourse.
Prenez le « M » jaune sur fond rouge de McDonald’s, renversez-le sur la droite pour en faire un « B », et vous obtenez le logo de Mr Bigg’s, la première chaîne de fast-food nigériane, créée en 1986, offrant aux comptoirs de ses restaurants propres et lumineux frites et hamburgers, mais aussi tourtes et poulets grillés. Pionnière de la restauration rapide, l’enseigne a su profiter du consumérisme ambiant à la fin du régime militaire pour se lancer : « Au début des années 1990, inviter une personne chez Mr Bigg’s, c’était la meilleure façon de l’impressionner, même s’il fallait y casser sa tirelire », se souvient avec nostalgie Daouda Aliyou, un journaliste de Lagos, étudiant à l’époque.
Pour inventer le concept de Mr Bigg’s, sa maison mère, le géant agroalimentaire United African Company of Nigeria (UACN, ancienne filiale d’Unilever, à 80 % à capitaux africains) ne s’est pas contenté de dupliquer le modèle américain, mais l’a adapté aux palais nigérians. « Ce qui a fait décoller Mr Bigg’s, c’est sa fameuse meat pie [tourte à la viande, NDLR], un plat traditionnel préparé par nos mères depuis des lustres, dont la chaîne a su industrialiser la préparation », relève Daouda Aliyou, aussi adepte des sauces ultra-épicées made in Nigeria qui accompagnent les plats. « On mange dans un univers nouveau, mais on retrouve certains codes de la cuisine nigériane », apprécie-t-il.
Aujourd’hui, l’industrie du fast-food a explosé, portée par l’urbanisation et le rajeunissement de la population. Désormais, 73 millions de Nigérians (dont la moitié de jeunes) vivent dans les villes. Ceux qui gagnent bien leur vie veulent manger vite, dans des restaurants proches de leurs entreprises. En 2009, on estimait à 800 le nombre de fast-food au Nigeria, générant un chiffre d’affaires de 588 millions d’euros, avec une croissance annuelle de 30 % chaque année pendant la dernière décennie.
Si Mr Bigg’s est le leader incontesté avec 160 restaurants, ses challengeurs, alléchés par la croissance du marché, veulent aussi une part du gâteau : les enseignes Mama Cass, Tantalizers, Chicken Republic, Tasty Fried Chicken et Sweet Sensation multiplient les ouvertures de restaurants, mais ont opté pour des stratégies différentes.
Fondée par Deji Akinyanju, ancien franchisé d’un fast-food sud-africain, la chaîne Chicken Republic compte déjà 62 restaurants, et voit grand : « À l’horizon 2012, nous visons les 300 franchisés au Nigeria et au Ghana, idéalement placés dans les quartiers aisés de Lagos, d’Abuja, de Port Harcourt et d’Accra », affirme Lola Ashafa, directrice du marketing du groupe de restauration Food Concepts, propriétaire de la marque Chicken Republic ainsi que d’enseignes plus haut de gamme comme les pizzerias St Elmo’s et les bars-lounge Reeds.
Franchise ou pas ?
Chez Mama Cass, on opte résolument pour la cuisine traditionnelle. On peut y déguster des frites, mais pas de hamburgers. Créée par Charis Onabowale, ancienne patronne d’un bukka (petit restaurant de rue) de Lagos, la chaîne propose à ses clients des plats nigérians typiques, comme de la semoule de manioc, de l’igname, sans oublier le poulet épicé et le jollof rice (riz gras mélangé avec des petits légumes) et toutes sortes de sauces.
« Nous sommes un fast-food, mais nous voulons absolument garantir la qualité des mets proposés. C’est pourquoi nous avons opté pour une croissance raisonnable depuis les années 1980. Nous comptons 19 restaurants implantés dans les grandes villes nigérianes, tous propriété de Mama Cass », indique Aziz Kazam, directeur du développement de l’enseigne, assez critique sur l’expansion des chaînes concurrentes Mr Bigg’s et Chicken Republic grâce au système de franchise, qui, selon lui, « ne permet pas de garantir une qualité homogène ».
Le point critique pour les fast-foods nigérians, c’est justement la logistique. Chaque chaîne doit faire preuve de souplesse pour garantir la qualité malgré les fortes variations de prix, de qualité, les pénuries de produits et les délestages électriques. « Chez nous, c’est le responsable du restaurant qui se charge de l’approvisionnement. Il développe des relations durables avec un tissu de fournisseurs locaux. Compte tenu du réseau électrique défaillant, il n’y a pas de chaîne du froid, nous travaillons exclusivement avec des produits frais et régionaux », explique Aziz Kazam.
Chicken Republic vise de son côté les économies d’échelle, avec la construction d’une usine de découpe de volaille à Ota, au nord de Lagos, qui doit conditionner pas moins de 35 000 poulets chaque semaine dès la fin de 2011. Avec cet outil industriel, l’entreprise espère réduire ses coûts et standardiser la qualité de ses manchons de poulets frits.
Un géant s’invite à table
Chez Mr Bigg’s, l’approvisionnement se fait à l’échelon national pour le pain et les viandes. Pour pallier les variations de prix, la chaîne achète de gros volumes à tarif fixe, négociés et payés six mois à l’avance. En revanche, chaque restaurant achète ses légumes localement, pour éviter les pertes dues à la mauvaise conservation lors de longs transports.
Reste que, même si leur organisation est rodée, les fast-foods nigérians regardent avec appréhension l’expansion de la chaîne américaine Kentucky Fried Chicken (KFC, la septième chaîne mondiale, avec 13 000 restaurants), qui a commencé à attaquer le marché local en 2010. « Les chaînes qui ont les menus les plus américains vont souffrir ou vont devoir s’africaniser davantage », estime Aziz Kazam, qui prédit à Mr Bigg’s et Chicken Republic des jours difficiles. Pour faire face, les holdings de ces deux chaînes, UACN et Food Concepts, pourraient, comme leur concurrent Tantalizers, s’introduire à la Bourse de Lagos pour lever des fonds. Objectif : trouver l’argent pour s’industrialiser davantage et s’implanter à l’étranger, notamment au Ghana, au Bénin et au Cameroun.
Avec Jeune Afrique