La toile de fond : une manufacture au service de grandes marques. La situation : des salariés attachés à leurs missions, mais qui réclament “plus de développement personnel”. La DRH en a déduit qu’il fallait ouvrir davantage de perspectives d’évolution à ses troupes et a déployé les grands moyens – entretiens individuels et propositions de postes en interne. Sans succès.

“Lorsque nous avons analysé les attentes des salariés, ce n’étaient pas tant les questions de mobilité qui les préoccupaient. Ils voulaient surtout mieux se situer dans l’entreprise et comprendre à quels projets d’ensemble ils contribuaient pour redonner du sens à leur travail”, expose Alexandre Beaussier, directeur associé du cabinet de conseil SBT Human(s) Matter. Il a donc aidé les managers à organiser… des espaces de discussion et des séminaires sur les enjeux de l’entreprise : “Cela a permis un partage d’expériences et une mise en avant des émotions plutôt que des process.”

Trop simple, voire simpliste ? Au pays de Descartes, où l’on a longtemps cloisonné la raison et les affects, on commence toujours par dégainer procédures et tableaux Excel avant de parier sur l’empathie. Depuis vingt ans cependant, les neurosciences ébranlent le mythe du manager à l’efficacité froide et technique.

“Elles ont établi la place essentielle des émotions dans la prise de décision, ce qui constitue une révolution culturelle, poursuit Alexandre Beaussier. L’enjeu, aujourd’hui, n’est plus de chercher à étouffer à tout prix ses affects mais, au con raire, de savoir les décrypter pour enrichir son analyse des situations.” Voici quelques clés pour changer d’approche.

Activez votre GPS intérieur

Les émotions sont des “éléments perturbateurs” du raisonnement, mais on ne peut pas s’en passer. “Il n’y a pas de décision rationnelle sans émotions, car ce sont elles qui nous aident à peser le pour et le contre”, souligne Catherine Belzung, professeure à l’université de Tours, directrice du laboratoire Imagerie et Cerveau. Lorsque vous devez faire un choix, une tempête émotionnelle se produit dans votre cerveau.

Les émotions que vous associez à chacune des options possibles sont aussi puissantes qu’une expérience d’immersion en 3D. “Il suffit d’imaginer les risques pour les ressentir physiquement. Quand vous vous projetez dans une situation risquée, votre cœur se met à battre plus fort, par exemple”, commente Catherine Belzung. A l’inverse, anticiper une possible réussite vous procure une sensation de joie et de légèreté.

Loin d’être des réactions parasites, ces émotions sont “des informations à part entière”, plaide Christophe Haag, professeur à l’EM Lyon Business School et chercheur en psychologie sociale : “Si la peur paralyse, elle peut aussi vous sauver d’un danger. Les émotions sont comme des panneaux signalétiques le long de la route.” Comme dans le film Vice-versa (Pixar, 2015) : guidée par ses émotions, Riley, âgée de 11 ans, découvre que la Peur est synonyme de prudence, que la Tristesse est le ferment de l’analyse et que la Joie pratique la langue de bois.

Analysez la situation

Mais attention : pas question de délaisser les critères objectifs pour ne plus se fier qu’à ses émotions au moment de prendre une décision. Il s’agit seulement de leur redonner leur juste place dans la réflexion. Exemple : vous êtes remonté contre un collègue. Première hypothèse, vous déversez votre colère sur lui. Il y a de fortes chances que cela plombe durablement vos relations. Deuxième option : vous réprimez votre colère. “C’est une manière très coûteuse de réguler les émotions car vous allez sécréter des hormones de stress, ce qui est pathogène, rappelle Catherine Belzung.

La solution la plus efficace passe par un traitement cognitif de la situation : comprendre quels sont les éléments précis qui ont provoqué votre énervement, les remettre dans leur contexte et en relativiser les conséquences.” N’aviez-vous pas trop misé sur ce dossier ? N’y aura-t-il pas d’autres occasions plus décisives ? Comme l’a expliqué David Sander, directeur du Centre interfacultaire en sciences affectives (Cisa) de Genève lors d’une conférence : “Ce ne sont pas les événements seuls qui déclenchent les émotions mais leur rencontre avec nos propres motivations et intérêts.” Des paramètres sur lesquels vous pouvez agir, plutôt que de vous empêtrer dans la gestion de cet énervement et de ses manifestations.

Avec capital