Ce n’était pas gagné. Dès l’arrivée d’Emmanuel Macron à Ouagadougou ce lundi 27 novembre en fin de soirée, on sent bien, en parcourant la presse burkinabè, que cette visite soulève moins l’enthousiasme que la réticence et la méfiance. D’autant qu’elle provoque aussi quelques étincelles dans la capitale. « Macron est là, la tension aussi ! » titre le site d’info nationale Wakat Sera. « Ouagadougou la belle » a beau s’être faite « encore plus coquette pour recevoir Emmanuel Macron », selon L‘Observateur Paalga , elle « hérisse le poil », nous explique Wakat Sera. « Les déclarations et les appels à manifester ont rivalisé avec les points de presse et autre « rebaptême » de l’avenue Charles-de-Gaulle en boulevard Thomas-Sankara, du nom du père de la révolution burkinabè, pour faire de cette visite, un événement sous haute tension. Pêle-mêle, les « anti-impérialistes » et révolutionnaires ont retoqué leurs costumes datant pour certains de Mathusalem et pour d’autres de l’insurrection populaire d’octobre 2014 pour dire tout leur mécontentement de cette visite qu’ils assimilent à une perpétuation de la colonisation », rapporte le site burkinabè. Ambiance.
Au départ, un certain scepticisme
Dans son édito, le quotidienL’Observateur Paalga affiche, lui, l’incrédulité, sans se départir de sa légendaire ironie. « Quel cours magistral Jupiter va-t-il dispenser ? » se demande-t-il dans son titre. « Cette allocution du président français est, dit-on, très attendue. Mais par qui ? » poursuit-il. « Les mots seront sélectionnés, pesés et soupesés, par les huiles, les spin doctors, les plumes et les conseillers spéciaux de l’Élysée. Jupiter, lui, y apportera sa touche personnelle et finale. Pas question de fausse note ou d’expression qui froisse la susceptibilité. Mais, au-delà de tous ces soins sémantiques et syntaxiques, que faut-il attendre de particulier de ce discours fondateur ? » écrit Alain Saint-Robespierre, comme rompu au cynisme en politique de l’ancienne puissance coloniale. « Les locataires se succèdent au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, les engagements de rupture avec un certain passé se multiplient, le vieil ordre politique demeure », constate-t-il. Que faut-il donc attendre aujourd’hui de la France ? Cette question est sur de nombreuses lèvres en Afrique de l’Ouest.
Même le site d’info Sidwaya prend quelques pincettes lorsqu’il titre « Fofo Macron », un terme qui signifie « Bienvenu » en fulfulde. Il croit en effet bon de rappeler que « l’hospitalité a toujours été l’une des caractéristiques du pays des hommes intègres. « Malgré nos divergences sur l’opportunité de cette visite pour les Burkinabè, il est de tradition chez nous de rendre le séjour de l’étranger agréable », écrit Rabankhi Abou-Bâkr Zida. Le journaliste se demande d’ailleurs s’il n’y a pas « un changement de perception de la France » à l’égard du Burkina Faso. « Après le séjour de Jacques Chirac en novembre 2004 lors du 10e Sommet de la francophonie, ses successeurs Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont pas daigné y mettre les pieds », note-t-il. Mais, après ce « Fofo » de rigueur, la mise en garde ne tarde pas à tomber : « les Burkinabè et les Africains de façon générale, suffisamment gavés de discours depuis de longues années, n’attendent que des actes à même de changer fondamentalement leur vécu. »
Affaires Sankara et Zongo : les bonnes dispositions de la France
Et puis vient le discours à l’université Ouaga-I-Professeur-Joseph Ki-Zerbo, ce mardi 28 novembre. Comme Barack Obama qui avait choisi de s’adresser aux étudiants d’Accra, capitale du Ghana, pour sa première visite en tant que président sur le continent africain en 2009, Emmanuel Macron – qui s’est déjà rendu depuis son élection sur des théâtres d’opérations militaires au Mali – décide lui aussi de mettre l’accent sur la jeunesse burkinabè. Et juste avant son adresse aux étudiants, ces deux annonces : la déclassification des archives françaises sur l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara ; un engagement à faire « tout pour faciliter » l’extradition au Burkina Faso de François Compaoré, frère de l’ancien président déchu Blaise Compaoré, arrêté en octobre en France dans l’enquête sur l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Avec ces déclarations, « Emmanuel Macron a réussi, avant son grand oral (…), à mettre toute la nation dans les dispositions d’écoute », estime Le Pays.
Un discours qui « a tenu toutes ses promesses »
Un grand oral qui, selon le quotidien burkinabè, « a tenu toutes ses promesses ». Il en retient « deux symboliques fortes ». D’abord, en dépit de « l’hostilité ambiante », « Emmanuel Macron n’a pas craint d’aller livrer son message dans le foyer incandescent de la contestation qu’est le milieu estudiantin ». Ensuite, note Le Pays, le discours s’est déroulé dans « l’amphithéâtre de l’Union africaine réalisée par le guide de la Jamahiriya arabe libyenne, Muammar Kadhafi, dont la mort violente, ironie du sort, est intervenue suite à l’ingérence d’un des prédécesseurs de Macron, en l’occurrence l’ex-président français Nicolas Sarkozy, dans les affaires intérieures de la Libye ».
Pour le site Aujourd’hui au Faso, Emmanuel Macron a aussi marqué un point en faisant référence à Thomas Sankara. « En entamant son grand oral censé être fondateur d’un nouveau partenariat Afrique-France par le Oser inventer l’avenir de Thomas Sankara, idole d’une jeunesse désabusée de la politique et du politique, Emmanuel Macron mettait les 800 étudiants burkinabè bondés dans l’amphi dans une bonne disposition d’esprit. Et pas seulement : il savait qu’il surfait sur une vague porteuse au Faso, car ce sont les mêmes jeunes, des sankaristes (dont la quasi-totalité n’a pas connu le fringant capitaine), qui ont justement été les artisans de l’insurrection de fin octobre 2014, et donc de facto de la renaissance démocratique. D’où l’applaudimètre qu’il a crevé par un standing ovation. La bombe estudiantine, dont certains craignent la déflagration par des huées, ou tout autre incident, venait d’être désamorcée », relève Sam Chris.
D’autres attitudes apparaissent moins louables aux yeux de ce journaliste. Il taxe par exemple de « flagornerie » la déclaration de « Macron l’enchanteur » selon laquelle « il n’y a plus de politique africaine de la France », s’amuse de son « funambulisme langagier » (« moi-même, je suis pas anti-impérialiste ») et regrette encore l’ « emploi intempestif du « je veux » (qui) renvoie à ce paternalisme (de la France NDLR) à rebrousse-poil ».
Migrations, franc CFA, démographie : quelques bons points
Sur le discours, Le Pays retient quelques citations : « À propos de la crise migratoire sur fond de commerce d’esclaves en Libye, Macron a laissé entendre ceci : La tragédie de ce que j’appelle les routes de la nécessité (…), le pire désastre de notre histoire partagée, il faut le nommer pour agir avec force. À propos de la démographie : Quand vous voyez des familles de 6, 7, 8 enfants par femme, êtes-vous sûrs que cela soit le choix de la jeune fille ? Je veux qu’en Afrique, partout, une jeune fille puisse avoir le choix. (…) C’est une conviction profonde, qui m’a poussé à faire de l’égalité femme-homme une grande cause de mon mandat. La démographie peut être une chance, mais à condition que chaque femme puisse choisir son destin. »
À propos de la démographie, dont une de ses précédentes déclarations en juillet avait suscité un tollé, Emmanuel Macron a profité de l’occasion pour faire amende honorable, regrettant d’avoir évoqué un problème « civilisationnel ».
Une mise au point appréciée par le site guinéen Le Djely. « On peut saluer l’humilité dont il a fait montre en reconnaissant le tort dont il s’était rendu coupable quand il avait abusivement rattaché le sous-développement du continent africain à un retard civilisationnel », note Boubacar Sanso Barry dans un article intitulé « Macron en Afrique : profession de foi plutôt réussie ».
Selon l’éditorialiste du site « dépositaire de l’information », « l’honnêteté oblige à reconnaître qu’Emmanuel Macron a réussi le pari du discours de Ouagadougou. Comme ayant cerné son auditoire, il a su lui servir le message qu’il avait besoin d’entendre ». Et de qualifier de « courageuse » la décision de déclassifier les archives sur l’assassinat de Thomas Sankara. « Par ailleurs, même s’il est apparu plus nuancé qu’il ne l’avait été au sujet de la colonisation de l’Algérie, Emmanuel Macron continue toutefois d’aborder ce passé trouble des relations euro-africaines de manière plutôt décomplexée. C’est également louable de sa part de n’avoir pas cherché à éluder la question sensible du franc CFA. Tout au contraire, il laisse ouvertes toutes les options », ajoute Boubacar Sanso Barry.
À présent, les actes !
Reste au président français à passer aux actes. Et, sur point, la presse ouest-africaine est unanime. « Après le parler-vrai, Macron doit passer à l’agir-vite », titre Wakat Sera. « Le scepticisme est grand quand on sait que les prédécesseurs de Macron se sont tous illustrés par des discours du genre, mais qui, au finish, n’ont rien changé dans les relations entre la France et l’Afrique », explique Le Pays. « Pour demeurer fidèle à la logique selon laquelle il s’est davantage adressé à la jeunesse du continent africain, Emmanuel Macron, à l’image de Donald Trump, doit démontrer qu’il est réceptif à la clameur sourde qui monte des entrailles de l’Afrique contre le phénomène du pouvoir à vie. C’est seulement quand il aura honoré ces différents engagements et comblé ces attentes pressantes que le président français aura démontré qu’il est président de la rupture dans les rapports entre la France et l’Afrique », conclut quant à lui Boubacar Sanso Barry dans Le Djely. Enfin, Le Paysestime dans un autre article intitulé « Face-à-face étudiants : l’exercice a manqué de régal » que les étudiants burkinabè n’ont pas été à la hauteur. Et se montre sévère. Avec « des questions qui, quand elles ne volaient pas haut, franchement, étaient au ras des pâquerettes, et donnaient parfois l’impression que les vis-à-vis de Jupiter ne savaient ni être attentifs au contenu de son discours ni prendre des notes ». « Il faut avoir le courage et l’humilité d’en prendre conscience et de se mettre au travail », assène le quotidien ouagalais.
Avec lepointafrique