Eya est cette petite fille de sept ans, élève en deuxième année primaire et qui, un jour d’école, ne répondait pas à l’appel en classe du maître, Si Chiheb, celui-là même qui m’en a parlé en la décrivant comme pétillante, tellement curieuse et avide de savoir…
Eya n’était pas cloitrée chez elle, retenue par un rhume ou un coup de fatigue, dû au rythme scolaire, elle n’a pas non plus fugué. Non, elle a simplement effectué, accompagnée par sa mère, la traversée de la Méditerranée à bord de ces innombrables embarcations de fortune, rejoindre le paternel parti précédemment, lui aussi en “balsero”, et installé clandestinement en France.
Une traversée particulièrement périlleuse, car pour déjouer la vigilance des carabinieris qui ont fini par connaitre tous les lieux d’accostage en Sicile, pour venir cueillir ces infortunés sur la terre ferme, dès qu’ils foulent une route goudronnée; les passeurs, les obligent à se jeter à la mer quelques deux cents mètres avant, pour finir la traversée à la nage dans une eau leur arrivant au menton.
Imaginez Eya, si frêle et si fragile portée sur le dos de sa mère, toutes les deux trempées dans l’eau en plein hiver! Vous me direz que c’est de l’irresponsabilité, de la folie, voire même du suicide… Certes, mais la bonne question est de se demander pourquoi tous ces gens veulent à tout prix partir, quitter ce pays; ceux qui ne savent pas nager, les balseros et aussi ceux qui savent nager, les médecins, les infirmiers, les ingénieurs, les techniciens, les universitaires? Non, ne répondez vite, les réponses, si elles existent, ne doivent pas être hâtives et triviales car la question est lourde !
À toutes les mises en garde, aux discours bienséants, tantôt moralisateurs et paternalistes, tantôt rageurs et alarmistes sur ce qui les attend sur l’autre rive; les jeunes, n’ayant qu’une vie, opposent leur farouche détermination à déguerpir par tous les moyens d’un pays qui ne peut plus contenir leurs rêves!
Ce n’est pas tant la misère relative qu’ils veulent fuir, que l’ennui mortel, l’absence d’options, de perspectives et d’horizon clair!
Quand on a vingt cinq ans et qu’on a la chance de toucher un salaire de cinq cents dinars, on ne peut pas se construire un avenir, posséder un toit ou fonder une famille, c’est mathématique!
Alors, même si c’est pire de l’autre coté, ils préfèrent l’exil qu’au confinement à l’unique projection dans le futur, celle d’un travailleur pauvre dans un pays où, on entretient grassement des reliques de présidents fossilisés, une horde de ministres et de conseillers honteusement rétribués, sans aucun autre talent, que celui de maintenir constamment une posture obséquieuse…
On étouffe, on suffoque, on glandouille, on gamberge, on lézarde, on … somatise. Les heures, les jours, les mois, les années s’égrènent et on attend! On attend quoi au fait? Je ne sais pas … Il n’est jamais arrivé Godot!
Sérieusement, sans chercher à se cantonner dans ce simple et confortable rôle de vitupérateur, on est en droit de savoir ce que demandent les politiques graisseux à ces jeunes, en dehors du fait d’être sagement assis, raides sur des chaises pour les écouter distiller des paroles vaseuses, des formules creuses et applaudir leurs discours insipides et ennuyeux…
Enfin, quand un jeune, beau et talentueux président gaulois débarque conduisant une délégation, accessoirement pour des projets de développement et principalement pour faire de la Tunisie un sas terrestre ouvert, pour l’accès à l’Afrique et à la Libye; parle devant une assemblée fournie d’élus, d’habitude plus enclins à l’absentéisme qu’à l’écoute et la réflexion.
Ils sont tout ouïe dans un silence religieux, tels des potaches disciplinés, buvant ses paroles et se délectant de ses caresses dans le sens du poil en évoquant avec une telle aisance et fluidité du verbe; la révolution et sa fragrance, la transition démocratique, d’après lui réussie, l’exotique exception tunisienne et même Bourguiba!
Il s’est offert une flânerie dans les souks de Tunis, coiffé, non d’un salacot mais d’une authentique chéchia tunisienne. Les badauds se sont agglutinés autour de lui comme des mouches sur un étron fraichement moulu dans la brousse; les louloutes surexcitées se bousculent pour voler un selfie avec cet invité aux dents blanches et au sourire charmeur et les jeunes rencontrés, criaient fort et l’interpellaient pas pour réclamer plus de Bescherelles mais davantage de visas! J’ai même entendu horresco referens, des voix scander en arabe, vive la France !
J’arrête! mais avant, je m’interroge s’il ne vaudrait pas mieux laisser de côté, quelque temps, la démocratie, pour désigner quelqu’un à qui, on confierait la tâche de protection de la cité, comme ce qui se faisait dans la Rome antique.