Nous vivons au siècle des experts, dont le patriarche Joseph, le conseiller de Pharaon, est l’initiateur (lisez ou relisez la Genèse, 41 à 48).
Le domaine par excellence de l’expertise est celui de la science économique : ce n’est pas pour rien que, dans Le Monde, les économistes comme Cohen ou Piketty avaient décrété que le programme de Hollande était le meilleur pour sortir de l’ornière.
Et dans un film intitulé « Pourquoi les experts se trompent », le documentariste John Freed a relevé les inepties de tous les caïds concernés.
Pourquoi un tel recours aux experts ? C’est le nombre de chaînes de télé qui devient prodigieux, confirmant que l’humanité ne fait plus rien de son cerveau ! On regarde 6000 chaînes de télé et on a besoin d’experts sur tous les sujets pour savoir quoi penser en matière de sommeil, de nourriture, d’atomisme nord-coréen, de hamster transgénique.
Et qu’est-ce qu’un expert ? C’est un hâbleur parfois diplômé qui dispose d’un jargon (philo, éco, psycho, théol., techno-quelque chose) et surtout d’un réseau média qui le réinvite. C’est qu’un expert, pour devenir médiatique, doit se régler en conséquence, un peu comme les théologiens qui justifiaient jadis les bûchers. Il est là pour produire une technicité du discours politiquement correct, techniquement correct, éthologiquement correct, justifier la chute d’un avion malais, la ratonnade des arabes, la diabolisation des uns, le bombardement des autres.
Le film de Freed commence par le vin, sujet très œcuménique. Il nous apprend que l’on avait organisé un concours qui engageait la science de 54 sommeliers ou œnologues… Tout le monde a jargonné : « Il est lourd, sa robe est souple, il sent la cerise, il y a du cuivre – surtout au Chili ! – et du camphre », etc. Mais il n’y a pas eu de vainqueur car personne ne n’est rendu compte qu’il n’y avait pas… de vin rouge. Il y avait un vin blanc qui avait été maquillé pour paraître rouge.
Personne ne le devina, sauf l’ingénieur moléculaire farceur qui avait organisé ce show. Un œnologue bourguignon confirme guilleret les escroqueries de ce milieu huppé et explique qu’aucun vin, même un Montrachet, ne devrait coûter plus de quinze euros. Le reste est une simple affaire de réclame et d’agressivité commerciale, comme on dit.
Le film continue sur sa lancée : l’art moderne avec ses copies indécelables et ses toiles blanches ; la météo avec ses soubresauts climatiques ; la bourse, bien sûr, avec la fameuse fléchette du singe qui ne se trompe pas plus que l’analyste payé une fortune.
Freed s’arrête. Nous continuons.
L’affaire devient plus grave quand il s’agit d’experts « néocons » en terrorisme, en islamisme, en néo-soviétisme, en n’importe quel « isme ». Mais quand il s’agit de faire la guerre à l’Irak ou à la Russie et de détruire l’Europe, pourquoi ne pas se tromper ? L’expert expliquera pourquoi certains morts sentent bon, pourquoi d’autres un peu moins. L’expert est devenu une arme de destruction massive.
Les experts sont le nom d’une série télé bien connue. L’acronyme en anglais est bien aussi, qui montre qu’une Crime Scene Investigation est, pour citer Shakespeare une scène de théâtre.
Un peu de Bible encore :
« Quant aux gens, il les réduisit en servage, d’un bout à l’autre du territoire égyptien. » (Genèse, 47, 21)
Il dit aussi cela l’expert Joseph (expert en rêves deux mille ans avant Freud et les autres) quand il veut faire venir ses frères (45, 18-20) :
« … et prenez votre père et vos familles, et venez vers moi ; et je vous donnerai ce qu’il y a de meilleur au pays d’Égypte, et vous mangerez la graisse du pays. Et à toi il t’est ordonné : Faites ceci ; prenez du pays d’Égypte des chariots pour vos petits-enfants et pour vos femmes, et faites-y monter votre père, et venez. Que vos yeux ne regrettent pas vos meubles ; car le meilleur de tout le pays d’Égypte sera à vous ».
On parlait de l’Egypte, ce pays de storytelling où l’on fuit pour échapper aux tueurs d’enfants du roi Hérode.
Avec reseauinternational