Ils sont trentenaires et ont décidé de s’installer dans la capitale portugaise pour s’offrir une meilleure qualité de vie et créer leurs entreprises. Cap sur ces Français devenus Lisboètes convaincus.
Depuis bientôt dix ans, Lisbonne est devenue une ville phare pour les Français. Non seulement sur le plan touristique, mais aussi pour l’expatriation. Selon une étude publiée fin 2018 par le quotidien Diário de Notícias, les ressortissants français auraient été les étrangers les plus nombreux à s’installer au Portugal en 2017. Tout a commencé six ans plus tôt, quand le Maroc, la Tunisie et l’Égypte, destinations alors privilégiées par les Hexagonaux, ont entamé leurs fameux printemps. Les voyageurs ont tourné leurs regards vers le Portugal, ce petit pays célèbre pour sa douceur de vivre et maîtrisant si bien les langues étrangères et l’art de l’hospitalité. De vacances en projets de vie, le Portugal en général, et Lisbonne en particulier, sont entrés dans la ligne de mire des candidats à l’expatriation.
Prix alléchants
“Après la crise de 2008, d’importantes réformes ont été menées par le gouvernement, ce qui a permis au Portugal de très bien s’en sortir”, explique Laurent Marionnet, directeur général de la Chambre de commerce et d’industrie luso-française (CCILF) de Lisbonne. Celui-ci souligne qu’en plus du Printemps arabe, le prix élevé des loyers parisiens et la peur des attentats ont accéléré le processus. “Beaucoup de Français, en particulier des jeunes, ont compris que le Portugal était un pays accueillant, où l’on pouvait monter son entreprise en 24 heures, avec un coût d’opération près de deux fois moindre qu’en France”, analyse-t-il. C’est d’abord l’immobilier, aux prix très alléchants à l’époque, qui a séduit les Français. “L’offre hôtelière n’était pas encore foisonnante et beaucoup ont acheté dans le but de créer des locations à court terme, de type Airbnb”, poursuit Laurent Marionnet. Autre facteur : les universités où les jeunes Français viennent passer une année grâce au programme Erasmus… et finissent par ne plus vouloir quitter la capitale portugaise.
“On estime que 50 000 Français vivent aujourd’hui au Portugal, mais ils sont sans doute plus, l’immatriculation au consulat n’étant pas obligatoire”, affirme Laurent Marionnet, en précisant que, ces cinq dernières années, le nombre d’inscrits à la CCILF est passé de 450 à un peu plus de 600. Du côté de l’ambassade de France, on affirme que le flux entrant de ressortissants français, huitième communauté étrangère au Portugal, a augmenté, de plus de 35 % en 2017. Si un tiers des Français ayant choisi de vivre au Portugal sont retraités, la majeure partie est constituée de jeunes talents ayant envie de lancer leur entreprise.
Cela explique la bonne nouvelle de ce printemps : le label French Tech a été attribué à Lisbonne, la reliant aux 34 autres villes du monde qui constituent ce réseau d’investisseurs et de start-up. Ce dynamisme, Barbara Bouçon, l’une des cinq cofondatrices des French-upers, communauté de créatifs français et franco-phones, sait en parler : “Au début, notre organisation ne comptait qu’une quinzaine de jeunes entrepreneurs, free-lancers et porteurs de projets que nous rencontrions de manière informelle. Puis nous avons professionnalisé les événements – qui restent gratuits – et aujourd’hui, les French-upers comptent 1 200 participants.”
Le profil de cette jeune femme de 35 ans est un peu atypique dans la communauté francophone de Lisbonne. Née au Portugal, elle a émigré en France avec ses parents à l’âge de dix ans. Puis, après des études et des séjours prolongés dans divers pays, elle a choisi de revenir aux sources en 2011. “J’ai contribué à lancer les Frenchupers, mais j’ai aussi rejoint Travelingtolisbon.com, une société de location d’appartements de vacances lancée par une amie en 2006, quand il n’y avait encore personne sur ce marché, pas même Airbnb, raconte Barbara Bouçon. Aujourd’hui, Lisbonne n’est plus du tout la même ville, même si la gentrification peut avoir ses facettes négatives, avec une hausse considérable des prix de l’immobilier.”
Karine Martins, pour sa part, est venue à Lisbonne sous l’impulsion de son mari d’origine portugaise. “Nous avions des postes importants, mais, avec le projet d’avoir des enfants, nous nous sommes dit que rester à Paris n’était pas idéal”, raconte-t-elle. Entrepreneurs dans l’âme, ils ont multiplié les visites à Lisbonne pour comprendre le marché local et, après avoir acheté leur appartement, ont commencé à y vivre à temps partiel jusqu’à leur véritable installation en juillet 2018. Aujourd’hui à la tête d’une société de conseil dans la sécurité informatique, Kaizen Advisory, Karine Martins et son mari proposent des solutions adaptées aux besoins des PME comme des grands groupes. “Parallèlement, j’ai lancé l’IE Club de Lisbonne, un club fondé en France il y a près de vingt ans pour aider les start-up à se rapprocher et qui s’est peu à peu internationalisé”, poursuit la jeune femme. “Ici, on trouve un bel écosystème de start-up, car les Portugais sont très audacieux. Pour eux, tout est toujours possible”, se réjouit-elle en ajoutant qu’elle n’avait plus ce sentiment en France.
Même chose pour Morgan Juteau, un aventurier de l’entrepreneuriat installé à Lisbonne en 2015 avec sa femme et ses deux filles, alors qu’il avait 35 ans et connaissait à peine le Portugal. “Sur le papier, Lisbonne correspondait à des critères importants pour moi : la proximité avec la culture française, du soleil 300 jours par an, le tout dans la zone euro et à deux heures de partout en Europe”, raconte ce Français ayant passé douze ans au Gabon. “Là-bas, j’avais créé plusieurs entreprises dans le domaine des télécoms, des drones et de la géolocalisation, mais j’ai eu envie de me rapprocher de la France. Le Portugal était un bon compromis”, poursuit-il. Pouvant bénéficier du statut de résident non habituel, il s’est lancé dans un domaine nouveau : la boucherie. “J’avais constaté qu’il manquait cruellement de bonnes boucheries à Lisbonne, et qu’il n’y avait ni formation, ni savoir-faire pour ça.”
Après avoir débauché un boucher en France, il s’est intégré dans l’économie portugaise et apprend désormais la langue. Décoratrice d’intérieur, sa femme s’est pour sa part chargée du design de la boutique. Cette boucherie est loin d’être la seule enseigne de bons produits ouverte récemment par des Hexagonaux. Fromageries, pâtisseries, boulangeries fleurissent partout dans cette ville qui attire aussi les artistes, mêlant la langue de Molière à celle de Pessoa.
Avec : voyages-d-affaires.com