Limogé en février 2018 à la tête de Saham Assurances Togo suite à une mission d’inspection dépêchée par le groupe à Lomé, Magloire Dochamou rompt le silence. Le cadre d’origine béninoise qui vante ses quatorze années d’expériences professionnelles dans le secteur des assurances, dont sept de direction générale, donne sa version des faits dans cet entretien avec Financial Afrik à Lomé. Exclusif !
Vous avez quitté la Direction Générale de Saham Assurances Togo depuis février 2018 dans un contexte où la société connaissait une hausse constante de son chiffre d’affaires. Quelle a été votre actualité depuis votre départ ?
Je tiens avant tout propos à remercier votre magazine pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer enfin sur un dossier qui reste une énigme pour moi-même et mes proches à cette date. D’abord, je suis resté en famille avec mon épouse et mes enfants. J’ai rattrapé des jours de repos et me suis également adonné à la lecture et à l’écriture. Il me fallait prendre du recul afin de faire le point et presque six mois après mon départ, je me sens prêt à relever de nouveaux challenges avec encore plus de détermination et d’envie.
Selon les informations, vous avez été limogé à la suite d’une mission d’inspection dépêchée par la Holding du groupe Saham à Lomé. Qu’en est-il exactement ?
Ecoutez, cher journaliste. Votre question me permet de donner ma part de vérité sur ce malheureux épisode de ma jeune carrière professionnelle. Aujourd’hui, délié de mon obligation de réserve, j’ai estimé que le moment est propice pour éclairer l’opinion nationale et internationale et surtout la communauté financière africaine des assureurs et des banques. [ NDLR: Financial Afrik l’avait contacté aux temps forts de la crise, mais il n’avait pas voulu se prononcer].
En effet, comme cela a pu être relayé en décembre 2017, les filiales Vie et non Vie de Saham que je dirigeais en ma double qualité de Directeur Général et d’Administrateur Directeur Général ont fait l’objet d’un mail de dénonciation anonyme via le mailing professionnel de la société. Apparemment, cette pratique, si je m’en tiens à sa récurrence, est devenue la marque de fabrique d’une frange du personnel de ce groupe. A la suite de ce mail qui semblait mettre à la charge du directeur général que je fus, une panoplie de dérives et d’actes supposés de prévarications, le groupe a envoyé une mission d’inspection à Lomé qui a duré globalement deux semaines en janvier 2018.
Cette mission a bénéficié de mon entière collaboration et s’est soldée, comme il est de coutume par une restitution verbale qui, visiblement, n’avait rien à reprocher à ma personne au regard de la litanie de griefs qui étaient formulés contre moi. Cette inspection, il faut cependant le reconnaître, a révélé un certain nombre de disfonctionnements au niveau de la gestion des commissions en interne, notamment en ce qui concerne les transferts de portefeuille du direct vers des agences générales, des courtiers et de perception de commission par certains membres du personnel sur des contrats censés être en affaires directes. A la suite de la restitution qui m’en a été faite par le Directeur Inspection du groupe, j’ai jugé utile de solliciter auprès de ma hiérarchie notamment le Président du Conseil d’Administration de la filiale, une entrevue aux fins de lui soumettre pour avis, une série de mesures que je comptais prendre pour pallier cette situation et rassurer le conseil, tout ceci en respectant les procédures en matière sociale.
Grande a été ma surprise lorsqu’au cours de cette entrevue que j’ai sollicitée, je me suis vu signifier des mesures que le groupe aurait arrêtées à la suite de cette inspection dont le rapport n’avait pas encore été transmis à la filiale pour ses éléments des réponses. C’est dire que des sanctions étaient prises à l’encontre des agents de la société sans même qu’ils aient eu l’occasion de s’expliquer sur ce qu’on leur reproche. Au nombre de ces mesures, il s’agissait de licencier des collaborateurs et de démissionner moi-même par la suite.
Vous imaginez bien mon étonnement devant cette situation où l’on me demandait de licencier des collaborateurs et de démissionner sans respecter le minimum de procédure en interne, alors même que je n’avais pas reçu en ce moment le rapport d’inspection. J’ai tout de suite compris qu’il se passait quelque chose.
Vous venez d’évoquer une entrevue que vous auriez sollicitée auprès du Président du Conseil d’Administration. Qu’est ce qui s’est passé à la suite ?
Une fois rentré à Lomé, j’ai demandé une confirmation par écrit desdites instructions. J’ai surtout réclamé le rapport d’inspection afin d’en prendre connaissance pour d’éventuelles mesures disciplinaires. Ces demandes sont restées vaines et s’agissant du rapport d’inspection, on m’a simplement renvoyé vers les instances du groupe pour l’obtenir. C’était pour moi un second point noir dans ce feuilleton qui se jouait et qui renforçait mon inquiétude. Tout se passait comme si c’était trop demandé que de réclamer un rapport d’inspection qui devait enfin faire la lumière sur les supposés malversations reprochées au Directeur Général et à certains de ses collaborateurs. Cette attitude n’a pas cependant émoussé mon ardeur ; et j’ai continué par relancer en vain la hiérarchie et les instances du groupe pendant pratiquement dix jours et ce n’est que le douzième jour, soit le 07 février que le rapport m’a été finalement transmis.
Que vous reprochait-on au juste dans ce rapport ?
Ce rapport d’environ douze pages ne relevait aucune faute à l’encontre du Directeur Général puisqu’à aucun moment, ce document composé de onze annexes et une seule page de commentaires proprement dit, ne m’incrimine en rien. Au plus, il cite le nom de certains de mes collaborateurs comme ayant favorisé des pratiques de fraude à la commission sans déterminer de manière scientifique le montant incriminé et son impact sur les activités de la société. En réalité, sa lecture m’a conforté dans l’idée que je n’avais rien à me reprocher s’agissant des allégations contenues dans le mail anonyme. Mieux, il me renforçait dans l’idée qu’un licenciement des collaborateurs comme on me le demandait sans la réception du rapport d’inspection, aurait été suicidaire pour la société puisqu’il ouvrait inéluctablement la voie à des procédures de licenciements abusifs contre la société qu’on peut éviter en respectant les procédures de sanction.
Vous convenez avec moi qu’un directeur général doit gérer la société qui lui a été confiée en bon père de famille. Et cette notion lui impose, même s’il doit prendre des mesures drastiques à l’encontre des membres du personnel en cas de fautes qui paraissent évidentes, de les faire en respectant les règles prévues en matière sociale afin d’éviter de faire courir à la société des recours dommageables pour licenciements abusifs.
Mais nous avons appris que c’est à la suite de ce contrôle qui aurait confirmé des malversations graves, et dont vous seriez le chef d’orchestre, que vous avez été licencié?
Avez-vous lu le rapport d’inspection ? Vous non ; moi oui. Avez-vous lu ma lettre de licenciement ? Vous non, moi Oui. Alors, la lecture de ces deux éléments vous aurait conforté dans la réponse que je m’en vais apporter à votre question.
A mon avis, il était plus simple pour ceux qui prétendent que j’ai été viré à la suite de malversations de communiquer clairement sur ces éléments à qui de droit. Ne pas le faire et se cacher derrière des journalistes qu’on manipule à coup de billets de banques pour porter atteinte à l’image d’un honnête cadre est totalement pitoyable. Oui, je le dis car vous savez, moi je ne suis pas fils de quelqu’un. Et si j’en suis arrivé là aujourd’hui, c’est à la force de mon travail et surtout grâce à des personnes qui ont cru en moi et qui m’ont fait confiance. Cela me fait bientôt quinze années d’expériences professionnelles dans le secteur des assurances dans l’espace CIMA (Conférence interafricaine des marchés d’assurances, Ndlr), dont sept en tant que directeur général de société d’assurance. J’ai fait mes preuves partout où je suis passé, du Bénin mon pays natal au Togo en passant par la Côte d’Ivoire.
Et parlant de preuves, je viens de passer quatre années à la tête de la filiale Togolaise du Groupe SAHAM et les résultats parlent d’eux-mêmes. Si ceux qui en ont bénéficié sont devenus subitement amnésiques, moi je ne le suis pas. De 2014 à 2017 et sous ma houlette, la filiale non vie a vu ses émissions s’accroître de plus de 70%, passant de moins de 5 milliards en 2013 à 8,5 milliards en 2017, chipant au passage la place de numéro 1 du marché des assurances dommages à la filiale locale de NSIA qui détenait ce titre depuis dix ans. Cette croissance ne s’est pas faite au détriment des émissions puisqu’à chaque arrêté des comptes, les résultats budgétés étaient largement dépassés enregistrant une progression de plus de 200% au cours des quatre dernières années, passant de 200 millions environs à près de 750 millions après impôts en 2016. En plus de cela, j’ai, avec mes équipes, lancé la filiale Vie qui, au cours de son premier exercice, a réalisé près de 600 millions avec une part de marché de 2.3% environ, juste derrière une société d’assurance de la place qui existe depuis au moins sept ans, et qui a réalisé, au cours de la même année, moins d’1 milliard.
Ces chiffres sont vérifiables et les états financiers de la société régulièrement validés par la direction audit du Groupe, arrêtés par le Conseil d’Administration, certifiés par le Commissaire aux comptes et enfin approuvés par l’Assemblée Générale Ordinaire.
Il en est de même pour les budgets qui n’ont jamais été rejetés et qui, comme je le soulignais tantôt, ont toujours été dépassés tant au niveau du chiffre d’affaires, que du résultat. Mieux, à la suite des fréquents contrôles effectués par les instances de contrôle sous régionales dont le dernier a été réalisé en 2016 à Saham Togo, lesdites institutions ont pris acte de la situation financière de la société et aucun déficit de couverture d’engagement et de marge n’a été reproché à la société. Alors, de quoi parle-t-on ?
Comment expliquez-vous alors cette séparation brutale qui vous a conduit, selon nos informations, à intenter une action en justice contre votre ex-employeur ?
Comme je le disais tantôt, je n’ai pas donné suite à cette demande de démission du groupe étant donné que je ne me reprochais rien et que finalement, le rapport d’inspection ne le faisait pas non plus. Mais apparemment, les dirigeants du groupe avaient déjà scellé mon sort puisqu’un enchainement d’événements dans les jours qui ont suivi ont fini par me convaincre qu’il y avait une volonté manifeste de se séparer de moi. Mais vous savez, nous sommes dans une corporation très sensible où la confiance et la réputation sont les meilleurs atouts d’un cadre de mon niveau. Alors, lorsque vous avez servi une cause avec autant de détermination et de dextérité et on peut le dire avec les succès enregistrés, vous vous attendez même lorsqu’on ne veut plus de vous, ce qui est légitime, au respect de votre statut d’être humain, de cadre que vous êtes avec les états de services que j’ai explicités. Les choses ne se sont pas faites ainsi, et c’est bien dommage. Alors vous parlez d’action en justice, ce qui est vrai. Mais ce n’est pas le sujet principal à mon avis, qui me conduit à répondre à vos interrogations. Mon seul but en donnant cette interview, est d’éclairer l’opinion sur les réelles circonstances de mon départ de Saham Assurance Togo qui ne sont nullement liées à une quelconque malversation.
Revenons un peu en arrière, si vous le permettez. Qu’est ce qui s’est réellement passé depuis votre refus de démissionner, jusqu’à la nomination d’un intérimaire ?
Après ce refus comme je vous le disais, j’ai reçu un mail, le 7 février 2018, m’interdisant de prendre des engagements au nom de la société. Le même jour, j’ai reçu le rapport d’inspection après plusieurs relances. Le 9 février, j’ai reçu une lettre de mise à pied de huit jours sans salaire au motif que je n’aurais pas informé le groupe des situations de fraude à la commission dans la filiale et qu’ils l’ont appris par voie de presse. Mais comment on donne une information à sa hiérarchie alors qu’on en prend connaissance au même moment qu’elle par voie de presse ?
Trois jours plus tard, contre toute attente, mes bureaux ont été ouverts en mon absence avec l’aide d’un huissier de justice par le directeur général intérimaire à qui il a été demandé de me retirer les clés de mon bureau et de mon véhicule de fonction alors que, figurez-vous bien, j’étais encore sous le coup de la mise à pied du 9 février. Le 13 février, j’ai remis les clés et autres matériels de la société contre décharge et suis rentré chez moi. Le lendemain, réception d’une convocation à une session du conseil d’administration de la filiale à Casablanca le 16 février dont les points inscrits à l’ordre du jour étaient entre autres, révocation du directeur général et nomination d’un directeur général intérimaire alors qu’un intérimaire avait déjà été nommé et pris possession de mes bureaux deux jours plus tôt, toujours dans la période de mise à pied, figurez-vous.
Le 15 février, j’ai décliné cette invitation pour des motifs évidents de sécurité, de respect de mise à pied. J’allais y aller à quel titre ? Le 19, je me suis présenté au bureau après la fin de ma mise à pied pour reprendre le travail, mais j’ai été empêché d’accéder à mes bureaux et suis rentré chez moi. Le même jour à midi, réception d’un exploit d’huissier me notifiant mon licenciement pour faute lourde motivé d’une part, par la non information du groupe sur des fraudes à la commission au niveau de la filiale et ensuite, refus d’assister à une réunion du conseil d’administration. Ainsi venait de prendre fin mon bail avec Saham avec comme vous avez pu le constater dans une même affaire, une double sanction notamment une mise à pied totalement injuste mais surtout un licenciement pour les prétextes que j’ai déjà énoncés. Voilà un peu ce qui s’est réellement passé au cours des mois de janvier et février 2018, lorsque vous m’aviez contacté.
Avec le recul aujourd’hui, que retenir de ce dossier ?
Ecoutez, je tenais à donner ma part de vérité sur ce qui s’est passé et surtout, clamer haut et fort que contrairement à ce que l’on a fait croire, mon départ de la tête des sociétés du groupe au Togo n’est lié à aucune malversation. J’ai, au cours de mes quatre ans passés à ce poste, eu des états de services irréprochables. En outre, je n’ai jamais fait l’objet d’une quelconque procédure disciplinaire ou d’observations spécifiques inexpliquées quant à la gouvernance de l’entreprise, malgré les fréquents contrôles et reporting remontés au groupe. Au vue de tout cela et face à cette déferlante contre ma modeste personne, je me dis qu’on n’était pas loin de la thèse de non-assistance à cadre en danger puisque tout recommandait de la part de mon ex-employeur à minima, un communiqué me disculpant à l’issue des inspections qui n’ont rien retenu contre moi.
Vous savez, j’ai toujours été conscient du modèle que je représente pour la nouvelle génération d’assureurs de notre espace communautaire et cette posture m’impose beaucoup de sérieux et le professionnalisme dans mon travail. Je ne dévierai jamais de cette voie et ce que je souhaite est que l’opinion publique continue par garder de moi, l’image d’un jeune cadre dynamique et honnête qui a toujours rempli les missions qui lui ont été confiées. Les résultats obtenus en témoignent largement.
Depuis quelques jours, on apprend que vous seriez recherché par la police togolaise pour un vol d’un montant de près de deux milliards dans les caisses de la société. Il est même dit que vous auriez quitté le pays pour le Bénin.
C’est un canular, et cela ne peut pas être vrai. Deux milliards, ce n’est pas 200 000 F CFA. En ce qui concerne ma supposée fuite, il n’en est rien également et vous pouvez en témoigner puisque nous réalisons cet interview au Togo et que je suis totalement libre de mes mouvements. Mais au-delà de ce démenti, je ne peux qu’être attristé par ce que je lis depuis quelques jours effectivement sur les réseaux sociaux. A cet effet, j’ai pris des dispositions pour poursuivre en diffamation le journaliste qui est l’instigateur de ce mensonge grotesque.
Je ne peux m’empêcher de noter que ces genres de blagues de mauvais goûts et attentatoires à mon honneur ont été nourris par les allégations de malversations qu’on a sciemment fait courir contre ma personne il y a quelques mois lors de mon départ de Saham. Mais, comment serait-il possible de substituer un tel montant des caisses d’une société d’assurance, alors qu’il y a la double signature des moyens de paiement et que dès que le niveau d’une dépense atteint 100 000 F CFA, les procédures recommandent l’établissement d’un chèque ? C’est vraiment triste, et j’espère que mon action en diffamation contre ce journaliste servira de leçon à toutes ces personnes qui s’amusent à inventer des contre-vérités sur des paisibles populations sans aucune preuve.
A vous entendre, vous auriez un détracteur qui serait à la base de ces gravesaccusations?
Je serai bien inspiré si je savais qui se cache derrière cette sale besogne. Mais bon, vous savez, dans la vie, il y a des gens qui n’aiment pas voir leur prochain réussir. J’espère seulement que le ou les personnes qui s’adonnent à ce jeu dangereux comprendront qu’ils vont trop loin et qu’il faut s’arrêter. Autrement, eux-mêmes et leurs complices seront démasqués tôt ou tard et regretteront leurs actes.
Après l’épisode Saham, quels sont les nouveaux horizons que vous explorez ?
Mes regards sont désormais tournés vers d’autres challenges et je suis convaincu que les expériences acquises au cours des quatorze dernières années sont de très sérieux atouts pour de meilleurs résultats. Je souhaite avoir de la tranquillité et que l’acharnement gratuit contre ma personne cesse afin que je puisse rebondir rapidement et m’investir dans ce que je sais faire de mieux, parler de ce formidable mécanisme de solidarité qu’est l’assurance au travers des sociétés d’assurances qui en sont les principales ambassadrices.
Votre mot de la fin?
Avant toute chose, je voulais remercier mon épouse, mes parents et amis qui m’ont soutenu dans ces moments difficiles et qui continuent de croire en mes valeurs et principes et surtout en mes potentialités. Ensuite, rassurer la communauté financière de la zone CIMA sur mon intégrité et mon envie de relever de nouveaux défis et aussi saisir cette opportunité afin de donner ma version de ce qui s’est réellement passé de décembre 2017 à février 2018. Ma démarche ne vise pas à dire que tout a été parfait au cours de ma gestion car finalement quelle gestion l’est ? Franchement, j’ai exécuté au cours des quatre dernières années ma mission avec détermination, foi et l’envie de marquer positivement l’histoire à nouveau. Il y a eu probablement des erreurs, toute humilité gardée et surtout retenir que la perfection n’est pas de ce monde. Mais fort heureusement, beaucoup de succès et c’est la balance de nos erreurs et de nos succès qui nous ont fait enregistré les performances exceptionnelles avec en prime, le statut de numéro 1 de la branche d’assurance dommages acquis de hautes luttes sur un marché togolais très étriqué et fortement concurrentiel.
Avec financialafrik