Des femmes à Medo, en Éthiopie, arrosent des plants de Moringa stenopetala (une espèce d’arbre originaire de la région) dans le cadre d’un projet de formation en horticulture. Le moringa est une espèce très résistante capable de fournir des rendements élevés même pendant les périodes de sécheresse. Photo: Panos/Mikkel Ostergaard
Chaque année, gouvernements, journalistes, spécialistes du développement et autres attendent impatiemment la publication du Rapport sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement. Ce rapport est assorti d’un classement par pays en fonction notamment de l’espérance de vie, de l’alphabétisation et de la qualité de vie. Une fois le rapport publié, les gouvernements et les citoyens des pays en tête du classement se félicitent de leurs résultats. Ceux dont les résultats laissent à désirer, comme la République démocratique du Congo, classée dernière en 2013 en Afrique, font l’objet de critiques.
Lorsque le PNUD a annoncé en 2012, la publication prochaine de son tout premier Rapport sur le développement humain en Afrique, beaucoup s’attendaient à ce que celui-ci contienne un classement général par pays. Au lieu de cela, le rapport régional portait sur le thème «Vers une sécurité alimentaire durable», et comprenait des analyses et des recommandations sur ce sujet.
L’administrateur du PNUD, Helen Clark, et l’ancien Directeur du Bureau régional pour l’Afrique du Programme, Tegegnework Gettu, donnaient le ton dans les premières pages. «J’ai l’espoir que ce premier Rapport sur le développement humain en Afrique permettra de relancer le débat sur les moyens d’assurer une sécurité alimentaire durable … et qu’il débouchera sur des actions plus décisives», écrit Mme Clark.
La préface de M. Gettu résonne comme un appel provocateur à l’encontre des dirigeants africains. «L’Afrique n’est pas condamnée à mourir de faim» écrit-il. «Cette attitude porte atteinte à sa dignité et freine son potentiel… Le continent doit cesser de dépendre des autres pour se nourrir… Ce rapport n’aurait lieu d’être si les gouvernements africains avaient répondu aux aspirations de leurs peuples au cours des 30 dernières années. Un quart de la population de l’Afrique subsaharienne ne souffrirait pas de sous-alimentation et un tiers des enfants africains n’accuserait pas de retard de croissance».
L’ancien président du Nigéria, Olusegun Obasanjo, renchérit en déclarant que les dirigeants africains devraient faire l’objet de poursuites judiciaires liées à la production alimentaire. «Le rapport nous dit ce que nous savons déjà: la pauvreté de l’Afrique est l’œuvre des dirigeants africains.»
Lors de la révolution verte en Asie de nombreux pays asiatiques ont consacré jusqu’à 20% de leur budget à l’agriculture, alors que les pays africains ne dépensent actuellement qu’entre 5% et 10% de leur budget pour ce secteur. Et ce, malgré l’engagement pris en 2003 par les dirigeants africains de consacrer au moins 10% de leur budget national à l’agriculture. A l’heure actuelle, les dépenses militaires en Afrique dépassent les dépenses agricoles.
La faim malgré l’abondance
«La faim et la malnutrition persistent sur un continent au vaste potentiel agricole,» fait observer M. Gettu. «L’Afrique possède les connaissances, les technologies et les moyens permettant d’éradiquer la faim et l’insécurité alimentaire.»
L’Afrique subsaharienne est la région du monde qui connait la plus grande insécurité alimentaire et où la pauvreté est particulièrement alarmante, selon le PNUD. Jusqu’à 25% des 856 millions d’Africains sont sous-alimentées et 15 millions sont exposés au risque de famine au Sahel ainsi que dans la Corne de l’Afrique.
La détérioration de la situation alimentaire en Afrique subsaharienne tempère les rapports élogieux sur la croissance rapide de certaines économies, dont le taux annuel a atteint 5% à 6% au cours des dix dernières années. Mme Clark souligne que, «les progrès rapides de l’économie africaine n’ont pas suffi à assurer la sécurité alimentaire et une large part de la population souffre encore de la faim».
Elle sollicite des solutions coordonnées possibles. «Pour assurer à tous les Africains un avenir axé sur la sécurité alimentaire, il convient de recentrer les actions sur tous les domaines clés du développement.»” Sans routes carrossables, par exemple, les excédents alimentaires ne peuvent être distribués sur les marchés.
Des mesures importantes à prendre
Il est possible dès à présent de prendre des mesures appropriées pour endiguer l’insécurité alimentaire. Le rapport du PNUD énumère certaines d’entre elles: «Améliorer la productivité agricole des petits exploitants; accroître l’efficacité des politiques nutritionnelles, visant prioritairement les enfants; renforcer la résilience des communautés et des foyers face aux chocs; et développer la participation et l’autonomisation des individus, en particulier des femmes et des populations rurales pauvres».
De nombreux dirigeants africains sont apparemment d’accord avec ces mesures. C’est ainsi que la première femme élue présidente en Afrique, la libérienne Ellen Johnson-Sirleaf, considère que les femmes jouent un rôle «critique et essentiel» dans le maintien de la sécurité alimentaire. Selon elle, si les femmes disposaient d’un meilleur accès à l’éducation et aux ressources agricoles, telles que les terres, les capitaux et la main d’œuvre, la productivité pourrait être augmentée de 20%. Sa position s’inspire du rapport, qui exhorte les pays à «mettre fin à des décennies de préjugés contre les femmes et l’agriculture»; en effet, si l’on éduque les femmes, il peut être plus facile de réduire la malnutrition chez les enfants si les revenus du ménage augmentent. C’est en Afrique que l’accès des femmes aux terres est le plus restreint.
L’ancien président kenyan, Mwai Kibaki, a déclaré que le bien-être physique et mental des individus était lié à la consommation d’aliments nutritifs. «Leur consommation, a-t-il ajouté, permet aussi aux gens de mettre à profit leurs libertés et leurs capacités dans différents domaines». Le Kenya est considéré comme un pays dont la situation en matière de sécurité alimentaire est extrêmement préoccupante. Le Président Kibaki a indiqué que, lors de son mandat, cinq années de sécheresse avaient eu un impact néfaste sur l’agriculture. Ce secteur s’est toutefois redressé passant d’une croissance négative de 2,3% en 2009 à plus de 6,3%.
Selon les analystes, l’agriculture est le principal moteur de l’économie kényane. D’après le FMI, celle-ci devrait connaître une croissance de 6,2% cette année. L’an dernier, le président Uhuru Kenyatta a annoncé que son gouvernement aiderait les agriculteurs à s’équiper d’outils d’exploitation moderne permettant de «révolutionner» l’agriculture.
L’Afrique doit néanmoins affronter des obstacles en ce qui concerne son développement agricole. Le changement climatique aura un impact négatif sur ce secteur. Selon feu le premier ministre éthiopien Meles Zenawi «l’Afrique est très sensible aux variations agroclimatiques». M. Zenawi soulignait que «le changement climatique exacerbe le problème de l’insécurité alimentaire.» Les régions semi-arides entre le Sénégal et le Tchad et la Corne de l’Afrique, en particulier Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie, subissent des conditions climatologiques défavorables, estime le Rapport sur le développement humain en Afrique.
Outre la sécheresse, la famine fait aussi souvent la manchette des journaux, même si les disparités d’accès à la nourriture dues à l’insuffisance des revenus sont tout autant problématiques. «Les crises silencieuses que sont la malnutrition chronique et la faim saisonnière ne reçoivent pas toute l’attention voulue», indique le rapport. L’accroissement de la production agricole ne garantit pas nécessairement la sécurité alimentaire, à moins qu’il s’accompagne d’améliorations en matière d’accès aux soins médicaux, d’une amélioration des routes, de la création de plus d’emplois et l’autonomisation des femmes.
Points positifs
Malgré la situation alimentaire déplorable de l’Afrique subsaharienne, on peut citer de nombreux points positifs, notamment au Nigéria où le gouvernement a lancé un Programme de transformation du secteur agricole, qui devrait assurer l’autosuffisance alimentaire et la création de 3,5 millions d’emplois d’ici 2015. Le Ghana a déjà réduit sa pauvreté de moitié en favorisant les cultivateurs de cacao, devenant ainsi le premier pays d’Afrique subsaharienne à atteindre le premier des objectifs du Millénaire pour le développement : réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la pauvreté et de la faim d’ici 2015.
Le Malawi a entamé un vaste programme de subvention à l’achat de semences et d’engrais et transformé son déficit alimentaire en un excédent de 1,3 million de tonnes en deux ans à peine. Au Sénégal, le taux de malnutrition infantile qui était de 34% en 1990 est passé à 20% en 2005 grâce à une augmentation du budget agricole. En faisant passer la part consacrée à l’agriculture dans son budget de 1,6% en 2008 à 7,7% en 2009, la Sierra Leone a produit 784 000 tonnes de riz, dépassant ainsi l’objectif de 550 000 tonnes qu’elle s’était fixée.
Alors que le continent affiche des taux de croissance économique record, il doit se dépêcher d’agir pour nourrir sa population. Les dirigeants africains actuels parviendront-ils à atteindre cet objectif ?
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