Alors qu’avec le marché unique du transport aérien en Afrique (Single African Air Transport Market (SAATM) , l’Afrique vient d’opter pour la libéralisation de son ciel, le grand gagnant de l’opération pourrait ne pas être de ceux qu’on croit. En effet, si la décision semble faire les affaires des grandes multinationales, mieux équipées, mieux organisées et disposant d’une meilleure solidité financière, un acteur africain a, pendant des années, préparé ce moment. Forte d’une expérience de 70 ans dans le secteur, d’une gestion efficiente et d’une ambition débridée, Ethiopian Airlines pourrait damer le pion à tous ses rivaux, africains et internationaux.
À Abidjan, la nouvelle a été célébré par les différents médias. Ethiopian Airlines vient de lancer une ligne directe entre la capitale ivoirienne et la ville américaine de New-York. Encore un succès de plus qui, loin d’être marginal, s’inscrit dans le cadre d’une stratégie plus vaste. Le transporteur veut en effet ajouter une demi-douzaine de destinations de ce type à son offre.
La naissance d’un géant
Ethiopian Airlines nait en décembre 1945, de l’ambition du Negus Hailé Selassié de construire une Ethiopie moderne. Le souverain qui entend alors doter son pays d’une compagnie aérienne aux normes internationales, se tourne vers l’expertise des Etats-Unis, de la France et du Royaume-Uni. La nouvelle compagnie sera détenue à 100% par l’Etat éthiopien, mais géré à ses débuts par l’américain Trans World Airlines (TWA).
Le cockpit en 1965.
71 ans plus tard, Ethiopian Airlines est désormais un mastodonte dans le ciel africain. Fort d’une flotte de plus de 90 avions et d’une force de travail estimé à environ 14 000 personnes, la compagnie ne cache pas son ambition d’assurer une hégémonie sur le transport aérien en Afrique.
«Ethiopian Airlines se veut la compagnie la plus compétitive en Afrique à l’horizon 2025.», ainsi que l’indique son site internet. Si officiellement, Kenya Airways et la SAA sont les rivaux dont elle entend se démarquer à court-terme, nul doute que le transporteur éthiopien n’entend pas en rester là.
Un géant du ciel
Ethiopian Airlines est la première compagnie aérienne du continent. sa capacité de transport est de 1 124 252 sièges contre respectivement 1 086 795 sièges et 789 594 sièges pour ses rivaux South African Airways (SAA) et Kenya Airways. En outre, son bénéfice pour l’exercice fiscal 2016/2017 est de 232 millions de $ pour un chiffre d’affaires de 2,71 milliards de $. La compagnie enregistre ces performances alors que ses principaux rivaux apparaissent fragilisés. En effet, la SAA vit sous transfusion du gouvernement sud-africain tandis que Kenya Airways a subi ces dernières années beaucoup de revers.
Alors qu’elle relie déjà plus de 120 destinations à travers le monde grâce à une flotte de plus de 90 vaisseaux, le groupe mise aujourd’hui sur une expansion continentale.
Alors qu’elle relie déjà plus de 120 destinations à travers le monde grâce à une flotte de plus de 90 vaisseaux, le groupe mise aujourd’hui sur une expansion continentale. Preuve de cette option, elle a commandé actuellement 62 nouveaux aéronefs pour renforcer sa domination sur le continent à l’horizon 2025. En outre, elle s’est récemment signalée par une prise de participation de 45% dans Zambia Airways, la compagnie nationale zambienne. Cette opération vient s’ajouter à des participations au sein de Malawi Airlines et de la comapgnie Asky. Et l’Ethiopien n’entend pas s’arrêter là puisque des négociations sont en cours avec le Tchad, le Mozambique, la Guinée, le Ghana ou Djibouti. Partout l’objectif est le même, redonner vie à des compagnies défuntes et leur apporter l’expertise développée en plus de 70 ans d’activité. Mais il s’agit également de contourner les mesures protectionnistes adoptées par les différents Etats et qui rendent l’accès à leur ciel difficile. Dans le cas de Djibouti cependant, l’enjeu est encore plus grand puisqu’il s’agit pour la compagnie de renforcer l’accessibilité de l’Ethiopie, qui est un pays enclavé depuis la perte de l’Erythrée.
Des négociations sont en cours avec le Tchad, le Mozambique, la Guinée, le Ghana ou Djibouti. Partout l’objectif est le même, redonner vie à des compagnies défuntes et leur apporter l’expertise développée en plus de 70 ans d’activité.
La stratégie menée par la compagnie lui a permis de doubler le nombre de ses passagers entre 2008 et 2017 et tous les objectifs de son plan «Vision 2010» ont été atteints. En effet, la compagnie a vu son trafic passer la barre des 3 millions de passagers annuels et son son chiffre d’affaires dépasser le milliard de $. Ces résultats ont été le fruit d’un marketing agressif et d’une politique de réduction des coûts rondements menée. A l’horizon 2025, la compagnie entend doubler la taille de sa flotte, et atteindre la barre des 18 millions de passagers transportés annuellement.
A l’horizon 2025, la compagnie entend doubler la taille de sa flotte.
Il faut également noter que le savoir-faire d’Ethiopian Airlines, profite déjà à des compagnies comme l’équato-guinéen Ceiba International ou encore Congo Airways, via des accords de gestion. Pour la compagnie, cette capacité à acquérir de la compétence a été un précieux sésame vers le succès.
Vers l’acquisition progressive de l’expertise
L’un des premiers paris gagnants de la compagnie a été d’avoir misé sur un transfert d’expertise progressif. Dans une Afrique où la réappropriation du management des compagnies publiques par les élites africaines se fera parfois au détriment de l’efficacité et de la compétence, l’Ethiopie opte pour une gestion plus rationnelle. Ainsi, grâce à son accord avec TWA, les dirigeants américains se succéderont à sa tête jusqu’en 1966, quand pour la première fois, le numéro 2 de la compagnie sera un éthiopien. En 1970 cette politique de transfert des compétences porte ses fruits quand le Colonel Semret Medhane devient le premier éthiopien à diriger Ethiopian Airlines.
Premier vol vers la Chine en 1976.
L’année d’après, l’accord avec la TWA arrive à son terme et l’aviateur national peut désormais voler de ses propres ailes. En outre, la compagnie a très tôt compris l’intérêt de miser sur la formation de son personnel. Elle se dote donc d’une académie d’aviation une décennie après sa création. Ce centre formera mécaniciens, pilotes, personnel volant et personnel au sol. Néanmoins ce succès n’aurait pas été possible sans une certaine indépendance dans la gestion, que les responsables d’Ethiopian Airlines se sont battus pour obtenir du pouvoir.
Une distance saine des turbulences politiques
Interrogé par Bloomberg sur un impact potentiel de la crise qui secoue actuellement le pays et qui a abouti à la nomination d’un nouveau premier ministre, Ewolde GebreMariam, l’actuel numéro un du transporteur se veut rassurant. «Cette situation sera sans impact sur notre activité» confie-t-il à Quartz. Derrière la sérénité du responsable, une longue histoire qui justifie cette position.
Ewolde GebreMariam, l’actuel numéro un du transporteur.
Alors qu’en 1972 le négus Hailé Selassié tombe, le pouvoir est au main d’une junte d’inspiration communiste, le Derg. Si dans de pareilles conditions, beaucoup de compagnies publiques se sont retrouvées victimes de pillages, de népotisme et de prévarication, Ethiopian Airlines, elle, s’en sortira sans grand dommage. Si à ses débuts le Derg manifeste des vélléités interventionnistes en gonflant les effectifs de la compagnie, un passage à vide de celle-ci, marqué par une baisse de ses revenus et de la qualité de son service, contraint l’exécutif à revenir à la raison. Dans l’Ethiopie communiste, la compagnie aérienne sera autorisé à être gérée dans un esprit purement capitaliste et la quête du bénéfice sera priorisé. Cette option se traduira par une réduction de 10% de son effectif en 1980 et l’acquisition de matériel volant de conception américaine, en dépit des liens qui unissent le pays à l’URSS.
Preuve supplémentaire de cette indépendance, elle est l’une des rares compagnies aériennes publiques en Afrique sur laquelle les hauts-responsables sont obligés de payer leurs vols.
La fin du règne d’Hailemariam Mengitsu en 1991 et son remplacement par le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) n’affectera pas son fonctionnement et la compagnie passera pour l’une des mieux gérées du tiers-monde. Preuve supplémentaire de cette indépendance, elle est l’une des rares compagnies aériennes publiques en Afrique sur laquelle les hauts-responsables sont obligés de payer leurs vols.
A.ecofin