Abdourahmane Cissé est l’un des rares ministres francophones à avoir fait le déplacement au Cap pour l’édition africaine du Forum économique mondial qui s’est tenue du 3 au 5 juin. Ce polytechnicien, ex-trader de Goldman Sachs, a été nommé ministre du budget en novembre 2013. Il avait alors 32 ans. Depuis, il tente de rétablir une fiscalité, créer les conditions propices pour séduire les investisseurs et faire de la Côte d’Ivoire un « hub régional ».
Il veut croire en une renaissance du « miracle ivoirien » mis à mal par une longue crise politique et militaire de 1999 à 2011, date de l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara qui va briguer un second mandat lors de l’élection présidentielle d’octobre.
La Côte d’Ivoire a reçu les éloges de plusieurs investisseurs présents au Cap. Cela vous surprend-il ?
Je crois que la Côte d’Ivoire a considérablement évolué depuis 2011, notamment sur le plan économique. Aujourd’hui, le secteur agricole pèse moins de 30 % de notre PIB et nous mettons l’accent sur l’industrialisation pour augmenter nos capacités de transformation. La première chocolaterie du pays a été inaugurée le 18 mai par le groupe français Cémoi. Nous disposons enfin de toute la chaîne de valeur du cacao pour créer du chocolat « made in Côte d’Ivoire ». Nous voulons faire de même pour l’anacarde [noix de cajou], et continuer de développer le secteur des services.
Le gouvernement a su renforcer des institutions très fragilisées par la crise et a défini une vision claire et ambitieuse pour le pays. Ce qui a été dit par le président Ouattara a été fait. Les institutions internationales saluent le retour à une bonne gouvernance et les efforts fournis en matière de transparence des marchés.
Pourtant, deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, la corruption en Côte d’Ivoire avait été pointée du doigt par les ONG et le Secrétariat général à la gouvernance et au renforcement des capacités. Au premier trimestre de l’année 2013, la majorité des marchés concédés avaient été passés de gré à gré.
Cela appartient désormais au passé car nous avons assaini le climat des affaires depuis. Aujourd’hui, nous communiquons sur l’ensemble des marchés public, ministère par ministère, et nous permettons aux investisseurs d’accéder aux prévisions des marchés à venir. Du coup, le taux de passation des marchés de gré à gré est passé de 40 % en 2013 à près de 20 % l’année suivante. Il en va de même en matière de pétrole : l’ensemble des flux financiers et physiques de ce secteur sont rendus publics.
Quid des investissements consentis par le gouvernement ivoirien ?
Nous avons inversé la structure du budget. Aujourd’hui, nous consacrons le tiers de notre budget aux dépenses d’investissement contre 15 % en 2010. Nous nous sommes efforcés de contenir nos dépenses de fonctionnement et d’améliorer notre prélèvement de l’impôt.
Nous avons des bénéfices industriels et commerciaux de l’ordre de 25 %, ce qui est peu. Trop d’entreprises ne paient pas une contribution juste à l’Etat. Nous avons donc connecté informatiquement la douane et les impôts, pour être informé des transactions douanières et pouvoir reconstituer les chiffres d’affaires. Je peux vous dire qu’on a découvert des chiffres d’affaires de moins de 50 millions de francs CFA (près de 76 000 euros) pour des entreprises dont les importations se chiffraient en milliards de francs CFA ! Je me suis amusé à croiser ces chiffres pour les 100 plus grandes entreprises de Côte d’Ivoire et il y a des surprises…
Mais il y a encore des activités, notamment d’extraction minière qui échappent à tout contrôle de l’Etat…
La totalité du territoire est sous contrôle de l’administration fiscale et douanière. Des petits malins peuvent essayer de contourner les règles mais nous sommes intransigeants. Il n’y plus d’impunité et, pour ma part, c’est tolérance zéro ! Car sans taxation juste et équitable, la compétition entre les acteurs privés serait faussée. Or, c’est de mon devoir d’assurer un environnement concurrentiel équitable et je peux vous assurer que dans mon ministère, c’est la culture du résultat qui prime.
Pour entamer ces transformations, vous vous êtes entouré de technocrates formés à l’étranger issus, comme vous, du secteur privé ?
Mon directeur de cabinet est un polytechnicien, comme moi, ma conseillère juridique était chez UBS à Londres… J’ai formé une équipe composée à la fois de collaborateurs venus du privé et de serviteurs de l’Etat plus expérimentés, qui ont fait leurs preuves. Il n’est pas toujours évident de faire revenir au pays les meilleurs diplômés ivoiriens en poste dans des grandes sociétés étrangères. Servir l’Etat nous prive de bonus de fin d’année et de salaires très élevés, mais procure une satisfaction sans égale.
Comment vous positionnez-vous par rapport au géant économique qu’est devenu le Nigeria ?
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