Au Gabon, la filiale du métallurgiste français Eramet multiplie les cessions à la suite du plan de redressement de sa maison mère et poursuit sa stratégie de montée en gamme dans le traitement du manganèse.
«Un trou d’air. » C’est en ces termes que le représentant général d’Eramet au Gabon, Pietro Amico, qualifie, depuis son bureau du boulevard Triomphal, à Libreville, les deux dernières années de sa filiale Comilog.
Le deuxième producteur mondial de manganèse – composant de l’acier que l’on retrouve principalement dans le béton, dans les voitures, dans les rails ou dans les canettes – a vu son chiffre d’affaires chuter, en 2015, à 308 milliards de F CFA (469 millions d’euros), contre 408 milliards fin 2013, et son résultat d’exploitation s’effondrer à 14 milliards de F CFA, près de dix fois moins qu’en 2013. La filiale du groupe métallurgique français Eramet, qui emploie 3 500 personnes, a subi de plein fouet le naufrage des prix de vente du minerai en 2015.
Forcée de se séparer de ses exploitations
Entre 2014 et 2016, le prix des 10 kg de manganèse a dégringolé, passant de 5 à 2 dollars, selon le périodique spécialisé Metal Bulletin, qui fait autorité dans ce domaine. Pour limiter son manque à gagner, la Comilog a pris en mars 2016 une mesure radicale en interrompant pendant un mois et demi la production de la mine de Moanda (dans l’est du pays), qu’elle exploite depuis plus d’une cinquantaine d’années. Fin octobre, celle-ci atteignait 2,9 millions de tonnes, en baisse d’au moins 10 % par rapport à 2015.
Désormais, la consigne est de se serrer la ceinture car il s’agit par ailleurs de renflouer la maison mère (actionnaire à hauteur de 63,7 % du capital au côté de l’État gabonais, détenteur de 29 %), plombée par la chute des prix du nickel, qu’elle exploite en Nouvelle-Calédonie. À Paris, le cours d’Eramet a atteint en février 2016 son plus bas niveau depuis treize ans et, fin 2015, elle avait clos son année avec une perte abyssale de 714 millions d’euros.
Ainsi, début octobre, la Comilog a engagé une série de cessions. À commencer par la Société de mise en valeur du bois (Somivab), qu’elle a vendu à la société d’exploitation de la zone franche GSEZ (Gabon Special Economic Zone), mise sur pied par Olam, le géant singapourien de l’agro-industrie. Puis, fin décembre, elle a finalisé la vente de sa filiale Erachem – spécialisée dans la transformation chimique du manganèse et dont les sites sont implantés en Belgique, en Chine, aux États-Unis et au Mexique –, pour un montant de 193 millions de dollars (182 millions d’euros) au profit de PMHC II Inc., un fonds d’investissement américain.
Miser sur la qualité
Pourtant, à 650 km du siège librevillois, l’ambiance reste sereine à Moanda, la ville née de l’exploitation minière par la Comilog, au beau milieu du Haut-Ogooué, bastion du clan Bongo. D’autant que les prévisions des géologues tablent sur une réserve de minerai d’au moins un demi-siècle. L’activité au sein des deux usines du complexe métallurgique de Moanda (CMM) mises en route en 2014 après un investissement de 160 milliards de F CFA et l’embauche de 400 personnes confirme cette impression.
L’objectif de ces installations est de poursuivre la montée en gamme en matière de traitement du minerai amorcée en 2000 avec l’installation du complexe industriel de Moanda (CIM), qui, en 2015, a produit 695 000 tonnes de manganèse enrichi à environ 50 %.
Le CMM permet de produire des manganèses encore plus purs dont le prix atteint 20 dollars les 10 kg. Le manganèse métal, enrichi à 99 %, et le silico-manganèse, enrichi à 67 %, sont notamment destinés à l’industrie électronique. Jusqu’en 2018, les fours et les unités de transformation chimique de la douzaine d’usines bâties par China Tianchen Engineering Corporation seront en rodage.
Par la suite, leur production restera limitée à environ 5 % des roches arrachées sur le plateau situé à quelques kilomètres du complexe industriel. « Le Gabon maîtrise l’extraction minière depuis cinquante ans. Mais là, il s’agit de technologies de classe mondiale », assure Pietro Amico.
Les défis annexes à l’exploitation
Pour répondre au défi de la formation de son personnel – 90 % des employés du CMM sont gabonais, à l’exception d’une dizaine d’ingénieurs étrangers –, la Comilog a investi 60 milliards de F CFA pour la construction d’une école des mines et de la métallurgie à Moanda. Une promotion de soixante élèves y prépare depuis septembre des licences professionnelles dans le domaine de la mine.
Parallèlement, la compagnie rénove le Transgabonais, la ligne de chemin de fer utilisée pour convoyer le manganèse, mais aussi du fret et des passagers entre le Haut-Ogooué et le littoral. Voulue par Omar Bongo Ondimba, elle avait connu plusieurs incidents en 2013 et en 2014. En octobre 2015, la Setrag, filiale de la Comilog, a obtenu le renouvellement de la concession d’exploitation, octroyée une première fois en 2005.
Quête à l’investisseur
À cette occasion, la Comilog et l’État du Gabon ont entrepris de mener un programme de restructuration d’une durée de sept ans. Estimé à 236 millions d’euros (155 milliards de F CFA), celui-ci a reçu à la fin du premier semestre de 2016 un financement initial de 52,5 millions d’euros de la Société financière internationale (IFC – filiale de la Banque mondiale, spécialisée dans les prêts au secteur privé) et 32,5 millions d’euros de Proparco, filiale de l’Agence française de développement (AFD) consacrée au secteur privé. Doit s’y ajouter une contribution de 86 millions d’euros du gouvernement gabonais avec le concours de l’AFD.
Autant d’investissements qui seront plus longs à amortir que prévu du fait de la chute des cours. Mais ils garantissent l’ancrage de la Comilog dans le sud du Gabon, martèle-t-on dans l’entourage de la compagnie. « La filière manganèse tient le cap », résume un connaisseur du secteur. Et les prix à la hausse en fin d’année, 8 dollars les 10 kg de manganèse, lui donnent raison.
GABON : MABOUMINE CHERCHE TOUJOURS SES INVETISSEURS
Un an après sa suspension, le mégaprojet d’exploitation du gisement polymétallique de la société Maboumine, à Lambaréné (centre du Gabon), est au point mort. Lancé en 2005, le projet a déjà coûté plus de 180 millions d’euros à la Comilog et à sa maison mère, Eramet.
La constitution d’un consortium d’investisseurs à même de relancer les prospections demeure à l’étude, mais le coût d’extraction du niobium (utilisé dans la fabrication des aciers et superalliages), des terres rares, du tantale (présent dans les composants électroniques) et de l’uranium, estimé à quelque 3,5 milliards d’euros, est hors de portée dans la conjoncture actuelle. Même si le projet trouvait preneur et si les investissements étaient réduits, « [ce serait] l’affaire de plusieurs années », dit une source à Libreville.
Avec jeuneafrique