Alors que les besoins du pays croissent chaque année de 7,5 %, les chantiers de barrages et de centrales ont pris du retard, laissant craindre une aggravation des délestages.
Les Camerounais broient du noir. Ces dernières semaines, ils ont inondé les réseaux sociaux de récriminations à propos des coupures de courant intempestives. Des quartiers de Douala et de Yaoundé sont en effet privés d’électricité pendant de longues minutes, voire des heures. Des ruptures d’alimentation liées à des travaux sur les réseaux de distribution gérés par l’opérateur Energy of Cameroon (Eneo), filiale du fonds d’investissement Actis, mais pas seulement.
Des actes de vandalisme sont aussi en cause, tels que ceux qui ont fait tomber deux pylônes au début du mois d’avril, privant pendant quelques jours le Réseau interconnecté Sud (RIS) des 88 MW de la centrale thermique de Dibamba, dans la banlieue est de Douala. La situation n’est guère enviable sur le Réseau interconnecté Nord (RIN), qui regroupe les trois régions septentrionales, et dont le déficit énergétique se situe à 30 MW. La très faible hydrologie du bassin de la rivière Bénoué sur laquelle est construit le barrage de Lagdo empêche ce dernier d’atteindre ses 72 MW de capacité, d’autant plus que ses turbines sont en mauvais état. La situation affecte les villes du Nord, dont Garoua, située juste à proximité.
Le début de cette année aurait toutefois pu être pire. L’étiage – période pendant laquelle le débit des cours d’eau est au plus bas, entre février et avril pour le fleuve Sanaga – a été moins difficile qu’en 2015. À l’époque, les délestages avaient duré des jours. L’entrée en service, l’année dernière, du barrage réservoir de Lom Pangar (voir carte) a permis d’augmenter la capacité en saison sèche de 80 MW et de réguler le débit du principal fleuve du pays. Et la réhabilitation de la centrale thermique de la cité balnéaire de Limbé (85 MW), dans le Sud-Ouest, constitue un autre appoint appréciable. Mais, avec une demande qui croît de 7,5 % par an, le Cameroun a besoin chaque année de près de 100 MW supplémentaires pour maintenir un équilibre précaire du secteur électrique.
Saison sèche
Or les lenteurs ou les manques dans l’exécution des projets d’augmentation de la capacité font craindre un déficit à l’horizon 2018. Les soucis du barrage de Memve’ele (211 MW), sur le fleuve Ntem, dans le sud du pays, en sont l’illustration la plus emblématique. Construit par le chinois Sinohydro sur financement de China Eximbank, il aurait amplement satisfait aux besoins immédiats. Apportant 100 MW, il aurait permis de gérer l’étiage 2018 sans encombre.
Le principal problème tient au fait que le Cameroun ne dispose pas d’une réserve suffisante pour faire face aux indisponibilités imprévues
« Mais, en l’absence d’un barrage réservoir en amont, il est difficile de parier sur la fourniture de cette capacité en saison sèche », s’inquiète un expert, qui ne comprend pas pourquoi ce barrage n’a pas été prévu. Annoncée initialement pour juin de cette année, son entrée en service n’aura finalement pas lieu avant 2018 : alors que le barrage est pratiquement opérationnel, les lignes d’évacuation de l’énergie sont, elles, toujours en cours d’édification.
Indisponibilités
Autre dossier mal ficelé, celui de l’extension de la centrale thermique à gaz de Kribi, dont la capacité devait en principe passer de 216 à 330 MW, pour un investissement de 65 milliards de F CFA (99 millions d’euros). En dépit de l’acquisition des groupes électrogènes, les discussions sur le prix d’achat du combustible entre, d’une part, Kribi Power Development Corporation (KPDC, filiale de l’américain Globeleq) et, d’autre part, la Société nationale des hydrocarbures (SNH, groupe public) et son partenaire Perenco n’ont pour le moment pas abouti.
« Ces projets nous auraient permis de rester à l’équilibre jusqu’à l’horizon 2020 sur le RIS. Ce ne sera finalement pas le cas », peste une source proche des dossiers électriques. « Le principal problème tient au fait que le Cameroun ne dispose pas d’une réserve suffisante pour faire face aux indisponibilités imprévues », analyse un expert. Cette réserve nécessaire n’est que de 20 MW cette année, alors que la proportion généralement admise dans le secteur équivaut à 20 % de la capacité installée.
Travaux prioritaires
Celle du pays étant de 1 292 MW, dont 990 MW du ressort d’Eneo, on est donc encore bien loin des 260 MW de réserve. La situation est d’autant plus préoccupante que des fissures sont apparues sur la structure du barrage de Song Loulou (384 MW), le principal ouvrage sur la Sanaga. Des travaux prioritaires, pour un montant de 11 milliards de F CFA, ont été entamés en mars, dans l’attente d’autres, complémentaires, évalués pour le moment à 61 milliards de F CFA.
Avec le développement des projets énergétiques de seconde génération, l’avenir n’est pourtant pas totalement sombre. En avril, Basile Atangana Kouna, ministre de l’Eau et de l’Énergie, a signé une convention de concession de production avec Nachtigal Hydro Power Company (NHPC). Cette filiale d’EDF doit procéder à l’aménagement du barrage de Nachtigal Amont (420 MW), piloté par le groupe français, pour un coût estimé à plus de 1 milliard d’euros, avec comme principal bailleur de fonds IFC (groupe Banque mondiale). Les travaux devraient débuter en juillet 2018 et livrer les premiers kilowatts dès 2021.
Régulation
Quelques jours auparavant, le marocain Platinum Power s’est entendu avec Eneo pour conclure très prochainement un contrat d’achat de l’électricité du projet Makay (350 MW), qui doit être lancé en 2018 pour fournir de l’électricité cinq ans plus tard. Pour mener à bien le projet, il faudra que cette filiale du capital-investisseur américain Brookstone lève 1 milliard de dollars. Le projet intègre le barrage de régulation de Deido, le Nyong, sur lequel il sera bâti, en étant pour le moment dépourvu. « Avec 780 MW supplémentaires, ces deux chantiers régleraient nos problèmes jusqu’en 2025 au moins », estime un proche du gouvernement.
Avec jeuneafrique