Ce serait plus simple si les consommateurs étaient tous avisés, et les acteurs de l’industrie financière, désintéressés et animés par un authentique désir de rendre service. Comme dans l’Ancien Testament où «Le loup habitera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau; Le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble […]»
Ou si vous préférez, comme dans cette vidéo sur Facebook dans laquelle un chat lèche la tête d’une perruche.
Mais n’essayez pas à la maison, car dans la vraie vie, le petit félin tue les oiseaux pour son seul plaisir. Le loup bouffe l’agneau. Et l’entreprise financière voit à ses intérêts d’abord, quitte à plumer le client, parfois.
Oui, ce serait plus simple si tout le monde s’aimait et était à son affaire. On n’aurait pas eu besoin de la loi 134, déposée la semaine dernière à l’Assemblée nationale, qui vient notamment resserrer la Loi sur la protection des consommateurs.
Un collègue a raillé: «Bon, faut encore prendre le monde par la main!» Un peu oui. Car la nouvelle loi ne vient pas seulement interdire des pratiques abusives de la part des commerçants. Elle vient aussi protéger le consommateur contre lui-même.
C’est une façon de dire que les efforts pour propager la littératie financière, ç’a ses limites. La loi 134 vient consacrer le fait qu’il y aura toujours des gens pour qui tracer une limite à leur endettement est comme de l’art abstrait. D’où des mesures pour contenir cette capacité d’endettement, pour suppléer à ce qui devrait relever de la responsabilité de chacun.
L’exemple le plus patent est cette disposition du projet de loi qui prévoit de hausser le paiement minimum à 5 % du solde d’une carte de crédit. Actuellement, c’est 10 $ ou 3% du solde (sur ma carte, c’est toujours 10$). On citait encore la semaine dernière le cas de ce pauvre type qui se retrouvera à payer 46 000 dollars d’intérêts en ne remboursant que le minimum mensuel sur une dette de carte de crédit de 10 000 dollars. Je ne sais pas si c’est triste. Pathétique, ce l’est! Mais j’hésiterais avant de lancer des roches à l’émetteur de la carte. On a plus envie de secouer le détenteur.
Un autre exemple est l’obligation pour tous les prêteurs d’évaluer la capacité de remboursement des clients. J’ignore comment elle pourra être appliquée. Jusque-là, les prêteurs se fient au dossier de crédit pour estimer leur risque d’un défaut de paiement. D’une certaine manière, ils devront évaluer le risque que pose le prêt pour l’emprunteur et en assumer une partie. Dans un monde idéal, l’emprunteur devrait évaluer et assumer sa part de risque.
Ne vous méprenez pas. Je suis en accord avec le projet de loi déposé la semaine dernière. Je fais seulement remarquer que dans la lutte contre l’endettement, il y a deux approches: la responsabilisation et l’autre, plus efficace, qui vient plutôt décharger l’individu de ses responsabilités.
Il faut dire que même la plus respectable des institutions financières ne met pas l’intérêt du client en premier. La machine est mobilisée de manière à atteindre des objectifs de ventes. Ce n’est pas toujours à l’avantage du client, vous le devinez bien, et ce dernier n’y voit souvent que du feu.
Alors, imaginez sur le versant le moins hospitalier de l’industrie, là où grenouille une faune qui n’est pas des plus amicales. La loi viendra notamment encadrer tous ces petits joueurs qui profitent d’une clientèle démunie et vulnérable. Je pense à ces entreprises qui offrent des prêts instantanés sur internet au prix d’intérêts à la limite de l’usure. Sont aussi visées ces firmes douteuses qui profitent de l’ignorance des gens en offrant des services de gestion de dettes à des frais déraisonnables. C’est à se demander s’il ne s’agit pas des mêmes entreprises qui, au préalable, ont accordé des prêts usuraires, question d’extraire tout ce qui est possible d’un client déjà qui a déjà subi un nettoyage à sec.
Vous ai-je dit que j’ai travaillé un soir, il y a bien longtemps, dans une agence de recouvrement? Misère. Encore un beau job valorisant! Quand j’ai compris que ça consistait à harceler le monde pour une facture impayée de 42 dollars, j’ai quitté sans demander ma paie. Cette petite affaire avait été mise sur pied par la cousine d’une connaissance. Le Far West! Désormais, il faudra un permis pour opérer ce genre d’entreprise. Je suis surpris qu’on n’ait pas pensé à ça avant.
La petite manoeuvre douteuse n’est pas l’apanage des firmes obscures et délinquantes. La loi 134 interdira aussi aux programmes de fidélisation de dévaluer leurs points. Curieux quand même qu’une entreprise comme Air Miles puisse avoir la liberté de modifier de manière unilatérale et radicale une entente avec ses clients.
Comme quoi qu’il faut prendre la main des entreprises aussi parfois. Et la serrer très, très fort.
Avec lesaffaires