La politique d’un Centre de la petite enfance (CPE ) visant à obliger les employés à couvrir leurs tatouages au travail est contraire à la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée.
C’est ce qu’a établi récemment la Cour supérieure dans l’affaire Syndicat des travailleuses des centres de la petite enfance du Saguenay-Lac-Saint-Jean c. Carol Girard et CPE La Pirouette.
Les faits
Le CPE La Pirouette, où travaille la plaignante depuis de nombreuses années à titre d’éducatrice, possède un code d’éthique qui prévoit que l’exposition d’un tatouage et d’un perçage est prohibée et entre en contradiction avec la mission éducative du service de garde du CPE.
Le 22 juin 2004, le conseil d’administration adopte une résolution qui oblige les employés à couvrir leurs tatouages et perçages.
Quelques semaines plus tard, la plaignante reçoit un avertissement écrit, lui enjoignant de couvrir le tatouage qu’elle porte sur une omoplate la prochaine fois qu’elle travaillera. Le syndicat dépose donc un grief pour contester la politique de l’employeur. Celui-ci est rejeté par l’arbitre Carol Girard, et le syndicat demande une révision judiciaire.
La décision
La Cour examine d’abord la portée des articles 3 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ces dispositions protègent notamment le droit au respect de la vie privée et garantissent la liberté d’expression.
Selon le juge Jean Bouchard, il ne fait aucun doute que le choix d’une personne de porter sur son corps une marque indélébile relève de la sphère d’autonomie protégée par le droit à la vie privée. De plus, il s’agit bel et bien d’une forme d’expression protégée par la Charte des droits.
Pour la Cour, il va de soi qu’obliger une personne qui possède un tatouage à le cacher constitue une atteinte à ce droit et à cette liberté. Cependant, il est reconnu qu’une restriction à un droit ou à une liberté peut être justifiée dans la mesure où la politique de l’employeur poursuit un objectif important et qu’elle est rationnelle et proportionnelle à cet objectif.
Dans ce cas-ci, le tribunal juge que la mesure prise par le CPE repose sur des préjugés et est beaucoup trop large pour être maintenue.
Tout en reconnaissant qu’il faut protéger les enfants d’images dégradantes, le tribunal constate que le tatouage est un phénomène répandu dans la société et qui ne peut plus être associé à la délinquance. Ainsi, la politique du CPE interdisant l’exposition de ces signes n’est pas la moins restrictive possible, puisqu’elle oblige tous les employés à les couvrir, et ce, peu importe ce que ces tatouages représentent.
La Cour considère même ” ridicule ” et ” outrageant ” qu’une employée qui arbore, par exemple, un tatouage représentant un papillon sur un mollet, soit obligée de porter des pantalons en plein été, sous un soleil de plomb.
Elle est d’avis que le CPE pourrait obliger uniquement les employés qui affichent des tatouages sexistes, racistes, incitant à la violence ou faisant la promotion de la drogue ou de l’alcool à les cacher. Ainsi, l’objectif de protection des enfants serait atteint tout en protégeant les droits des employés.
La Cour annule donc la sentence arbitrale et déclare que la politique du CPE est contraire à la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée. Elle accueille donc le grief, mais réserve toutefois le droit de l’employeur de sévir à nouveau si le tatouage de la plaignante présente un caractère offensant pour les enfants.
Avec lesaffaires