Annoncée pour noël, la visite du président français Emmanuel Macron au Tchad laisse planer le suspens sur l’objectif de ce déplacement. Prélude à cette visite, deux missions françaises de haut niveau se sont succédé. Objectif : préparer le terrain à travers des rencontres avec toutes les composantes de la nation tchadienne.
Le Tchad et la France, c’est une longue histoire semée d’embûches. D’abord, les deux pays entretiennent une relation séculaire, portée par les étapes d’explorations, la phase coloniale.Puis la période post-indépendance et les années d’indépendances matérialisées par une collaboration bilatérale soutenue notamment sur le plan militaire. Même lors du premier mandat de Tombalbaye, l’influence de Paris reste de mise, même si l’effet est moins fort qu’à l’époque de la Françafrique toute puissante. Peu à peu, la France a grandement perdu de son influence politique, économique et culturelle. Mais en revanche sur l’aspect sécuritaire et militaire, le pays demeure un élément clé du dispositif sécuritaire français dans la région à en voir le QG de la force Barkhane.
Peut-on y voir un indice quant à l’objectif du déplacement du président français au Tchad ? Emmanuel Macron prendra le temps de partager un repas de noël avec les militaires de l’opération Barkhane dont le siège est à N’Djamena. La capitale tchadienne fait office de plaque tournante dans la lutte contre Boko Haram qui fait des dégâts notamment dans la région du Lac Tchad. Une session de travail entre les deux chefs d’État et leurs collaborateurs est au programme bien entendu et on nous souffle qu’au-delà des questions sécuritaires, d’autres sujets « de haute importance » seront discutés. Il sera question d’économie et de développement, d’aide au développement. Un programme ambitieux annoncé quelques jours après que la France ait octroyé un prêt de 40 millions d’euros au Tchad par l’entremise de l’Agence française de Développement (AFD) pour payer les salaires et les retraites des fonctionnaires.
Le CPA au contact du terrain
C’est le Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) qui a été chargé de préparer cette visite, la première d’un président français depuis les élections contestées de 2016. Créé il y a plus d’un an, le CPA a pour mission de travailler au renouvellement des relations entre la France et le continent africain. Volonté du président Macron, il est composé de personnalités hétéroclites issues de la diaspora ou non, dix membres d’horizons divers. Le conseil par son approche terrain qui consiste à aller au contact des populations africaines et prendre le pouls se démarque d’entrée de jeu de tout ce que nous a habitué l’administration française souvent alourdie par ses processus et la rigueur administrative.
En détails : Jules-Armand Aniambossou, le coordonnateur du conseil et Sarah Toumi, militante de la question environnementale en Tunisie ont fait un bref séjour au programme chargé dans la capitale tchadienne la semaine dernière. Nous les avons suivis dans ce marathon, rencontre d’échange avec la société civile, des jeunes entrepreneurs, des associations des femmes, des jeunes porteurs, des acteurs culturels et des influenceurs. L’exercice semble être rodé, des questions simples et directes : quelle perception de la France au niveau local ? Quelles sont les attentes ? Les actions ou projets de la France, leurs impacts ? Et pour finir les recommandations ? De tout cela ont jailli des idées, des propositions claires en phase avec la réalité locale. Du ressenti de l’action française au Tchad, rien de bien alarmant, la préoccupation majeure des personnes rencontrées, c’est le quotidien et ses tracasseries. Manque d’appui, d’infrastructures, de structures d’aide, d’énergie, de vision, de politique, les mentalités, le peu d’implication ou pas assez du dispositif de développement français, etc. Mais à y voir de près le plus gros des requêtes relève de la compétence de l’état tchadien, par son manque de vision, de stratégie claire et de politique de développement ambitieux, laisse sa jeunesse et sa population dans des conditions déplorables. Les citoyens tchadiens ne sont pas dupes, ils savent que « cela se joue ici » comme l’a bien souligné Djim Black, promoteur culturel venu de Moundou. « On n’attend pas que la France vienne changer les choses à notre place, mais aider par ses appuis techniques, financiers et politiques pour que les choses s’améliorent », lance-t-il.
La hausse du prix de scolarité pour étudiants étrangers, la question qui irrite
C’est la question à laquelle ne pouvait échapper la mission du CPA, tant le message envoyé par cette décision d’augmenter les frais d’inscriptions dans les universités pour les étrangers, en particulier pour les étudiants africains, laisse perplexe. Cela va totalement à l’encontre du message porté par le discours de Ouagadougou adressé à la jeunesse, aux étudiants, aux startuppers, aux artistes, aux femmes, etc. Plusieurs fois de suite cela est revenu sur la table on a ressenti un agacement de la part du coordonnateur du CPA qui a tenté sans convaincre de justifier les bienfaits en avançant le doublement de la bourse. Un jeune qui a participé aux échanges a déclaré : « Combien y-a-t-il de boursiers tchadiens par an ? Pas plus de 20. Alors en quoi cela va changer notre réalité qu’on envoie 40 bourses ? Pour moi ce n’est plus ou moins qu’une mesure pour empêcher les étudiants africains d’aller en France et de s’inscrire dans les universités. » Il est vrai que cette mesure n’est pas du genre à appuyer la politique africaine de Macron prônée par le CPA, travailler sur le rapprochement entre la France et l’Afrique par l‘entrepreneuriat, l’innovation, le développement durable et l’éducation, la santé, etc. C’est du moins l’effet inverse, car la France accueille un grand nombre d’étudiants africains, la qualité de la scolarité, mais aussi le coût sont autant de points qui renforce l’attractivité de la destination France. Rajouter à cela l’esprit d’égalité et d’équité qui caractérise le système français.
Les bienfaits de l’exercice
La méthode et l’approche CPA ont tout de même été plébiscitées par les parties prenantes. « C’est une première que des officiels français ont voulu nous rencontrer pour entendre ce qu’on avait dire. Nous avons parlé sans tabou ni contrainte et ça fait du bien. Il y a une réalité du terrain qui leur échappe, ils sont dans leurs beaux quartiers et nous dans les nôtres on ne se mélange pas, alors comment on peut se connaître ? » s’interroge Ahmat Ebidami jeune comédien et youtubeur faisant partie de la rencontre avec les influenceurs. Le coordonnateur du CPA s’est voulu rassurant et a promis de garder le contact pour ne pas « se couper de la base ».Tous ont déploré le temps imparti pour chaque rencontre 1h10, pas assez pour tout aborder et d’ailleurs aucun des rendez-vous ne s’est terminé à l’heure.
Le CPA chargé d’éclairer le président français sur les enjeux de la relation entre la France et l’Afrique, les participants espèrent que les missionnés vont faire parvenir à qui de droit les préoccupations, les souhaits et aspirations du peuple tchadien. Des recommandations et suggestions ont été faites dans le sens de raffermir les relations entre nos pays. Le Tchad d’aujourd’hui est différent de tout ce que la France a pu connaître tout au long de ce voyage commun. Aujourd’hui, leTchad est ouvert sur le monde dans sa globalité, quid du temps monopolistique oú la France tenait le haut du pavé ? Les entreprises françaises ont perdu du terrain, de la 1ere place la France se retrouve en 3e position en tant que partenaire économique. Nos rapports sont guidés par le partenariat équitable, le Win-Win (gagnant-gagnant) à la chinoise est devenu la règle.
Comme pour boucler la boucle et régler les derniers détails de cette visite, Frank Paris, le monsieur Afrique d’Emmanuel Macron est venu s’entretenir avec le président Deby. On peut dire que le Tchad est prêt à accueillir le président Macron.
Avec tchadinfos