Il y a un peu plus de quinze ans, peut-être vingt, une société de jeux de hasard lança le slogan, « L’argent en vitesse ». Et tout le monde voulut gagner de l’argent en vitesse. Il y eut ce que l’on appela les Deno, c’est-à-dire les Dépenses engagées non ordonnancées, une jolie expression pour désigner l’argent détourné.
Les Deno permirent à certains d’entre nous de gagner beaucoup d’argent en vitesse. Fin 1999, il y eut le coup d’État. Les premiers endroits que les militaires qui venaient de prendre le pouvoir visitèrent furent les entreprises dont ils purent forcer les coffres. Elles furent toutes pillées. Puis ils visitèrent les domiciles des dignitaires du régime déchu qui connurent le même sort que les coffres des entreprises. Et de nombreux militaires amassèrent de l’argent en vitesse. On entendit alors les refondateurs qui partageaient le pouvoir avec les militaires se plaindre de ce qu’ils n’avaient pas eu de ministères juteux.
Le genre de ministère qui permet de gagner de l’argent en vitesse. Le chef des militaires leur en donna et les refondateurs amassèrent à leur tour, beaucoup d’argent en vitesse. Lorsque les balayeurs furent balayés à leur tour, les nouveaux dirigeants s’en donnèrent à cœur joie. Jusqu’à ce qu’une rébellion vienne leur arracher le plat des mains. Heureusement, quand il y eut partage du pays, ils gardèrent la « Côte d’Ivoire utile », comme ils le dirent eux-mêmes. Ceux qui eurent « la Côte d’Ivoire inutile » firent ce qu’ils purent pour gagner, eux aussi, de l’argent en vitesse, et, en la matière, ils ne furent pas des enfants de chœur.
Pendant ce temps, ceux qui n’étaient pas au pouvoir ou proches du pouvoir se débrouillèrent, eux aussi, pour gagner leur argent en vitesse : escroquerie sur Internet appelée « broutage », escroqueries toutes simples, sacrifices humains, trafics en tous genres ; temples ou églises où le seul dieu que l’on adorait s’appelait argent ; détournement d’argent, chantages, rackets, corruption sous toutes ses formes ; bref, tout ce qui permettait de gagner de l’argent en vitesse fut expérimenté.
En 2011, le pouvoir changea de mains. Arrêta-t-on, pour autant, de chercher à gagner de l’argent en vitesse ? Bien sûr que non ! Rien de tout ce que nous avons cité plus haut ne s’est arrêté. Le seul dieu auquel nous croyons vraiment s’appelle toujours argent et la corruption gangrène notre société. Lorsque l’on parle de corruption, tout le monde regarde les ministres, les directeurs d’entreprises d’État, les magistrats, les policiers. Erreur ! Elle se pratique partout, dans les bureaux, à l’école, à l’hôpital, à la morgue, au cimetière, dans les journaux, partout. Parlons justement de nous, journalistes, nous qui aimons tant donner des leçons au reste de notre société. Que sont les fameux « Per diem » ou « le prix du transport » dans notre jargon que réclament presque tous les journalistes à la fin des reportages, comme si c’était un droit, si ce n’est de la corruption ? Parfois, elle va si loin que cela en devient pitoyable.
Lisez cette histoire authentique qui s’est passée chez nous l’année dernière. Le personnel de l’ambassade d’un grand pays occidental, avec l’ambassadeur en tête, a décidé un jour de faire une bonne action en allant nettoyer une de nos léproseries. Ils ont donc invité la presse à couvrir cette activité, dans l’espoir que cela inciterait d’autres personnes à consacrer une partie de leur temps aux plus nécessiteux. Des journalistes sont donc allés regarder les diplomates de cette ambassade nettoyer la léproserie de leur pays sans leur donner le moindre coup de main. À la fin de la journée, au moment où tout le monde se séparait, ils réclamèrent leurs « Per diem ». Et, puisqu’ils n’en eurent pas, la plupart d’entre eux refusèrent d’écrire la moindre ligne sur cette action.
Il y a quelques années, je fus braqué par des bandits et ma voiture emportée. Heureusement, elle fut retrouvée par la police la même nuit. Il me fallut cependant donner la somme de dix mille francs au policier qui avait découvert ma voiture avant de pouvoir la récupérer. Quelque temps plus tard, ce fut une de mes connaissances qui fut braquée à son tour. Et sa voiture fut retrouvée par un citoyen ordinaire. Lui aussi exigea de l’argent avant de la rendre à son propriétaire. On pourrait citer dix mille exemples de ce genre pour montrer à quel point l’argent est devenu la seule valeur qui compte dans notre société et à quel point en gagner en vitesse, par tous les moyens, est la seule activité qui vaut la peine pour bon nombre de nos concitoyens.
Le Président de la République nous promet, pour ce nouveau mandat que nous venons de lui accorder, de faire émerger un Ivoirien nouveau. C’est l’une des conditions pour faire émerger notre pays. Cet Ivoirien nouveau devra avoir d’autres obsessions que la seule recherche de l’argent facile, glorifier le travail et avoir de grandes valeurs morales. Comment faire naître cet Ivoirien nouveau ? Le débat est ouvert dans les pages de votre journal et vous êtes tous invités à y participer.
avec fratmat