Après une rude période de crise, Lisbonne renaît grâce à l’innovation et un regard très neuf sur l’entrepreneuriat. Elle en profite pour s’embellir, sans perdre son charme légendaire.
Il y a cinq ans encore, de belles façades bleutées d’azulejos semblaient entièrement délaissées en plein cœur de Lisbonne. Même sur la Praça da Figueira, près de l’antique Confeitaria Nacional, deux étroites bâtisses carrelées montraient fenêtres battantes et intérieur désolé. Aujourd’hui, on serait bien en peine de trouver de telles ruines en pleine ville. En peu de temps, Lisbonne s’est policée, embellie, redensifiée. Depuis les années 1980 jusqu’au début des années 2010, sa population n’avait pourtant cessé de décroître. “Bien avant de subir de plein fouet la crise de 2008, le Portugal avait déjà vécu des moments compliqués, remarque Géraldine Filippi, directrice Péninsule Ibérique de Business France. On parle aujourd’hui de ‘miracle portugais’, mais le sauvetage engagé par l’Union européenne et les mesures d’austérité prises par le gouvernement s’apparentent plus à un rattrapage, modère la spécialiste. Le PIB du pays est seulement revenu à son niveau de 2008.” En 2017, ce PIB s’élevait à près de 195 000 milliards d’euros, et à 70 000 milliards pour sa seule capitale, soit 36 % du PIB national.
Actuellement, le chômage au Portugal est plutôt faible, autour des 6,5 %, bien qu’il demeure élevé parmi les jeunes, avec des chiffres dépassant les 17,5 %. Est-ce le spectre du chômage qui a conduit un certain nombre de jeunes diplômés à quitter le pays ? “Le Premier ministre Antonio Costa, conscient du fort potentiel des jeunes Portugais, souvent polyglottes et très éduqués, essaie de les faire revenir en leur offrant des allègements fiscaux”, reprend Géraldine Filippi.
Fiscalité incitative
Parmi les mesures d’incitation au retour ainsi qu’à l’investissement, le régime fiscal du résident non habituel (RNH) permet, pendant dix ans, d’être exonéré d’impôts sur les revenus locatifs, les dividendes, les intérêts et les plus-values immobilières de source étrangère de même que sur les pensions de retraite privées étrangères. “Ce régime permet aussi de bénéficier d’un taux d’imposition forfaitaire de 20 % sur les revenus obtenus au Portugal par l’exercice d’une activité à haute valeur ajoutée”, poursuit Géraldine Filippi. Pour en bénéficier, il faut cependant résider plus de 183 jours par an dans le pays.
Aujourd’hui, on compte plus de 24 000 bénéficiaires du RNH, avec une forte augmentation d’année en année depuis 2013. Pourtant, les Portugais revenant dans leur pays ne constituent que 6 % des bénéficiaires. “Les jeunes expatriés ont construit leur vie ailleurs. Même si les salaires augmentent énormément au Portugal, ils restent encore bien inférieurs à ceux de la plupart des pays européens”, analyse Géraldine Filippi. En revanche, les Français sont nombreux à en profiter, environ 6 000 au total, bien plus que les Britanniques, les Italiens ou les Brésiliens.
Autre mesure significative visant à attirer de la richesse vers le Portugal et instaurée fin 2012, le fameux “golden visa” autorisant des résidences à but d’investissement à des ressortissants de pays extérieurs à l’Union européenne. “On ne peut bénéficier de ce dispositif que sous certaines conditions, qui tiennent notamment au montant et à la nature des investissements”, explique Stanislas Godefroy, chef du service économique près l’ambassade de France au Portugal. Parmi ces conditions, il faut que les fonds investis proviennent exclusivement de sources étrangères et qu’ils soient destinés à l’acquisition d’un ou plusieurs biens immobiliers pour un montant minimum de 500 000 euros ou à la création d’une entreprise comptant au moins dix salariés.
L’actuelle stabilité économique du Portugal, liée à la reprise de la croissance (+2,8 % en 2017), a généré un net engouement de la part des investisseurs étrangers, et notamment français. “La relation bilatérale avec la France instaure un terrain rassurant pour les échanges commerciaux”, explique Nasser El Mamoune, directeur adjoint de Business France Péninsule Ibérique, rappelant que l’Hexagone est le deuxième client et le troisième fournisseur du Portugal, avec des exportations s’élevant à 4,8 milliards d’euros. Pourtant, c’est un facteur politique extérieur qui a renforcé l’attrait du Portugal et de Lisbonne. “Les printemps arabes ont eu un impact important, car de nombreuses entreprises de nearshoring, notamment celles des call centers, installées dans les pays du Maghreb, se sont relocalisées au Portugal”, poursuit Nasser El Mamoune.
Ces bouleversements géopolitiques ont également eu un impact important sur le secteur touristique, la capitale portugaise connaissant depuis plus de cinq ans une croissance supérieure à 10 %. Avec, pour corollaires, l’explosion des locations via Airbnb et la gentrification du centre-ville. Ce qui a conduit les Lisboètes, bien que fort accueillants, à se sentir parfois dépossédés de leur ville, tant elle est visitée. “Lisbonne s’est transformée. Il y a encore cinq ans de cela, les habitations étaient très dégradées, notamment en raison d’une législation qui, jusqu’en 2012, protégeait les locataires, à la manière de la “loi de 48” en France, avec des loyers si bas que les propriétaires ne pouvaient se permettre d’assurer l’entretien des biens”, souligne Stanislas Godefroy.
Conséquence de la libéralisation du marché locatif et de l’explosion du tourisme, une hausse considérable des prix de l’immobilier. Selon les données du portail Imovirtual, le coût mensuel moyen de la location à Lisbonne a augmenté de 31 % en 2018 par rapport à l’année précédente. “Les entreprises françaises venues s’installer à Lisbonne il y a quelques années ont pu bénéficier de prix très avantageux. Mais, lorsque nous en aidons de nouvelles à s’implanter, nous rencontrons des difficultés tant les prix ont grimpé”, remarque Géraldine Filippi.
Ayant retrouvé sa prestance, Lisbonne revendique désormais le statut de capitale qui compte à l’échelle européenne, notamment en diversifiant les secteurs de son économie et en misant, comme toutes les métropoles du monde, surl’innovation et les nouvelles technologies. Concernant l’innovation, le Portugal se situerait actuellement en deuxième position sur les 28 pays de l’Union européenne, juste derrière la Belgique. “Ce qui a vraiment ancré le secteur de la technologie à Lisbonne a été l’arrivée du Web Summit en 2016, un grand événement attirant plus de 70 000 personnes”, reprend Stanislas Godefroy. Lancé à Dublin en 2009, le Web Summit se tiendra à Lisbonne pendant les dix prochaines années, lui assurant ainsi une très belle réputation de ville d’innovation.
Miguel Fontes, directeur exécutif de Startup Lisboa, incubateur lancé en 2012 sous l’impulsion de la municipalité, s’émerveille encore de la façon prodigieuse avec laquelle l’écosystème s’est développé en quelques années seulement : “Par souci de réhabilitation du centre-ville, nous nous sommes installés dans le quartier de Baixa, alors endormi économiquement, où les start-up étaient encore quasi inexistantes. En sept ans, grâce à un investissement de 120 millions d’euros, nous en avons lancé plus de 350 qui ont elles-mêmes créé plus de 2 000 emplois directs”. Selon lui, la présence de talents formés dans les très bonnes écoles et universités de la ville a été le facteur déterminant de cette révolution digitale.
“Ces vingt-cinq dernières années, les universités et centres de recherche ont suivi une politique cohérente, poursuit Miguel Fontes. Ce qui a donné naissance à une génération de jeunes professionnels extrêmement qualifiés.” Aujourd’hui, Lisbonne dispose d’un très riche réseau d’incubateurs, d’accélérateurs, d’espaces de coworking comme Village Underground – installé dans des containers –, Second Home – hébergé sous les toits du Mercado da Ribeira –, ou encore Lisbon Challenge, la Fábrica de startup, Beta-i…
Innovation digitale
Parmi ces nouveaux lieux d’innovation, un ancien site militaire sera prochainement transformé en un immense hub de 36 000 m2, le Criativo Beato. Déjà, des investisseurs américains et allemands – Mercedes-Benz compte y installer son hub d’innovation digitale – se sont intéressés au lieu situé dans l’ancien quartier d’entrepôts de Beato qui, sous cette impulsion, reprendra vie. D’autant qu’on trouvera aussi des crèches, des restaurants, des boutiques et des immeubles de haut standing, Renzo Piano travaillant à l’élaboration de l’un d’entre eux.
À Lisbonne, ce qui compte, c’est un état d’esprit : réinventer la manière d’aborder la vie professionnelle et urbaine. C’est ce que démontre l’espace de coliving Outsite, récemment ouvert dans le quartier de Cais do Sodré, anciennement malfamé et aujourd’hui réputé pour ses petits cafés, ses boutiques et sa vie nocturne. Situé dans un immeuble historique, Outsite est destiné à des artistes et startupers. “Plein d’espaces très innovants se créent partout à Lisbonne, sans être concentrés dans un quartier en particulier”, remarque Miguel Fontes. Ainsi, en quelques années seulement, Lisbonne a-t-elle réussi à s’imposer comme cinquième hub de start-up européen après Londres, Berlin, Paris et Copenhague.
Résultat de cet élan entrepreneurial, Lisbonne foisonne de créativité. Autre témoignage de cette adaptation à l’air du temps : Lisbonne a remporté le prix de la “Capitale verte” pour 2020 décerné par la Commission européenne dans le but de reconnaître les efforts d’une ville en matière environnementale et d’encourager ses habitants à poursuivre sur leur lancée. Si une partie des jeunes Lisboètes a donc choisi l’expatriation au moment de la crise – car les Portugais sont et resteront des aventuriers dans l’âme –, une autre a su changer le visage de sa ville, en repensant les façons de travailler et d’habiter. De vivre, tout simplement.
SUCCESS STORY
Luis Murcho, CEO et co-fondateur de glartek – glartek.com
Comment avez-vous lancé Glartek ?
Luis Murcho – Tout a commencé en 2016, quand Gonçalo Santos et moi-même travaillions dans une entreprise spécialisée dans la réfrigération industrielle. C’est là que nous avons pu observer un problème : nos opérateurs manquaient cruellement d’informations. L’industrie est synonyme de complexité, car elle produit beaucoup d’informations qui ne sont pas toujours accessibles aux équipes de maintenance. Et, même quand celles-ci sont bien formées, elles ont souvent besoin de se référer à des notices d’utilisation. C’est pourquoi nous avons réfléchi à la façon d’informer nos techniciens, en direct sur leurs zones d’action, grâce à la réalité augmentée.
Quelles solutions proposez-vous ?
L. M. – Nous offrons à nos clients une plate-forme de maintenance industrielle 4.0, dont l’objectif principal est de permettre un accès rapide à toutes sortes d’informations relatives aux équipements. Elle permet aux opérateurs de visualiser en temps réel tout un étage d’usine, par exemple. Nos objectifs sont les suivants : augmenter l’efficacité du personnel, réduire les coûts de maintenance des machines, améliorer la sécurité et minimiser l’erreur humaine.
Lisbonne est-elle un bon écosystème pour une start-up ?
L. M. – Un excellent, même. Beaucoup de grandes entreprises ont leurs sièges à Lisbonne, ce qui génère du business. Par ailleurs, nous disposons de très bonnes universités qui forment de jeunes professionnels prêts aux challenges. Et puis c’est une ville de culture, au climat fort agréable, ce qui n’est pas négligeable. C’est dans ce bel environnement que nous avons pu nous développer et préparer l’étape suivante : nous implanter dans d’autres pays d’Europe, en Espagne, en Italie et en Slovénie. Nous venons aussi de tester une plate-forme liée à l’énergie dans les domaines de l’automobile, de l’immobilier et de la restauration. Nous voulons changer la manière dont les informations circulent et offrir de nouveaux standards visuels à l’industrie 4.0.
Avec : voyages-d-affaires.com