Candidature à l’Exposition universelle de 2020, nouveaux projets de développements, zones franches, secteurs émergents : Dubaï poursuit sa conquête du désert…
Les grosses berlines abandonnées sur les parkings de l’aéroport ne sont plus que de lointains souvenirs. C’était en 2009, quand, emportés par des dettes immobilières trop lourdes, les expatriés désireux de quitter au plus vite une métropole en pleine houle immobilière et financière n’hésitaient pas à laisser sur place ces preuves momentanées de leur réussite. Mais aujourd’hui, la chute soudaine de la croissance (-2,5 %) est oubliée. Et, du haut des 828 mètres de ce qui devait être la tour Burj Dubaï, mais qui fut rebaptisée Burj Khalifa en l’honneur du Sheikh d’Abu Dhabi venu à l’époque en aide à la cité-état, Dubaï semble narguer le monde de sa puissance futuriste. Inauguré en 2010, c’est-à-dire en plein coeur de la tempête, le plus haut gratte-ciel de la planète symbolise en effet le début du renouveau. Un renouveau qui se cristallise aujourd’hui autour d’une attente : celle du mois de novembre prochain. Non pas parce que les températures caniculaires auront cédé la place à une chaleur plus supportable, mais parce que les résultats de la candidature de Dubaï à l’Exposition universelle de 2020 seront enfin tombés.
Accueillir l’expo 2020
Si, comme le souhaitent ardemment les autorités, le petit émirat de deux millions d’habitants est retenu, alors une nouvelle ère commencera. Car la Metropolis à la silhouette mouvante ne recule devant aucune métamorphose. En prévision de l’Expo 2020, un site de 438 ha a été choisi, où devrait surgir une véritable ville dans la ville, située à équidistance du “downtown” et d’Abu Dhabi sa voisine, entre ce qui sera bientôt devenu le plus grand aéroport du monde et le troisième plus grand port à l’échelle planétaire. “Nous sommes en lice avec d’autres pays émergents comme la Turquie, le Brésil, la Russie ou la Thaïlande, mais nous pensons que Dubaï a toutes les chances de gagner, car son infrastructure est incomparable pour ce genre d’événements. Avec, notamment, un parc hôtelier qui atteindra les 80 000 chambres d’ici 2020”, affirme Ikaraam Ullah, économiste à la Dubai Chamber. Il s’agirait alors de la première Exposition universelle à se tenir au Moyen-Orient et la troisième sur le continent asiatique après Osaka en 1970 et Shanghai en 2010. Évidemment, les répercussions économiques et touristiques seraient phénoménales, puisque l’émirat s’attend à accueillir 25 millions de visiteurs. Soit un saut énorme par rapport à l’année 2012, qui n’a vu qu’une petite dizaine de millions de touristes passer par la métropole, un chiffre néanmoins très satisfaisant et supérieur à l’avant-crise. Mais c’est certain, l’Expo 2020 donnerait encore un peu plus d’envergure à Dubaï : toujours plus de routes, plus de lignes de métro, de train et de tramway, un nouveau centre de congrès pachydermique, des constructions extravagantes comme le Mohammed bin Rashid City, vaste quartier de divertissements où se côtoieraient un parc à thèmes Universal Studios, un méga centre commercial, une centaine de nouveaux hôtels, des marinas… Du même coup, Dubaï consoliderait sa position de destination leader au plan régional pour le Mice, les salons et les congrès internationaux. “Le projet Expo 2020, initié en 2012, contribue également à la volonté de diversifer l’économie d’un pays qui ne détient presque plus de ressources pétrolières, sinon off-shore”, continue Ikaraam Ullah. Déjà aujourd’hui, le PIB de la cité-état provient à 90 % des services. Un chiffre qui grossit encore avec le rôle accru de la finance : cette année, l’émir MohammedBin Rashid Al Maktoum a annoncé son intention de faire de Dubaï LE centre de la fnance islamique, en développant les produits “sharia compliant” à l’image des sukuks, obligations conformes à la loi coranique, et en soutenant l’essor de la Noor Islamic Bank, fondée en 2008.
Entre l’europe et l’Asie
Parmi les différentes facettes de cette stratégie de diversification, faire de Dubaï la plaque tournante entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe, est sans doute la plus cruciale. Ainsi les extensions du port de Jebel Ali, troisième opérateur portuaire mondial, devraient prochainement permettre de passer d’une capacité de 12,5 millions à 15 millions de conteneurs par an. Déjà, plus de 6 000 entreprises, principalement étrangères, ont installé leurs bureaux régionaux sur la zone franche du port. Point clé du commerce mondial, Dubaï favorise aussi l’implantation de sièges de grands groupes dans les secteurs de l’aéronautique, de l’armement, de l’industrie, des services hôteliers ou de la distribution. Parallèlement, l’aéroport international Al Maktoum devrait passer au premier rang mondial d’ici fn 2015, et sa capacité d’accueil atteindre les 90 millions de passagers en 2018. “Les Émirats sont actuellement l’une des rares régions au monde à connaître une croissance de leurs aéroports, et le trafc aérien de Dubaï a augmenté de 6 % entre décembre 2011 et décembre 2012”, explique François Sporrer, directeur Proche et Moyen-Orient d’Ubifrance. Mais la diversifcation de l’économie s’étend également à l’industrie avec les dérivés pétroliers, à la sidérurgie avec l’aluminium, tandis que l’immobilier continue de séduire une clientèle aussi bien régionale qu’internationale. “En 2008, l’immobilier représentait 30 % du PIB. Sa part a beaucoup chuté après la crise et la ville s’est surtout centrée sur son devenir de hub logistique”, poursuit François Sporrer. Néanmoins, malgré la désertion de certains quartiers considérés comme peu attrayants, les prix fambent. Dans une certaine mesure, le phénomène rassure, car il indique une meilleure santé économique. Mais il inquiète aussi : Dubaï serait-il en passe de replonger dans la bulle immobilière ? “On achète à Dubaï pour investir plus que pour vivre, et la course au plus haut, au plus impressionnant et au plus extravagant du monde n’a pas vraiment cessé”, souligne-t-il. Malgré tout, la construction de nouveaux quartiers se fait aujourd’hui avec plus de circonspection et de rigueur, selon des plans de développement urbain plus réfléchis, dans un esprit comparable à celui des zones franches qui font la force de Dubaï depuis leurs créations dans les années 80. Ces zones se concentrent par secteurs, comme la finance, les services, les transports,le commerce, etc. Elles attirent les investisseurs étrangers, leur donnant la possibilité de faire des affaires sans partenaires locaux. Regroupées par thèmes comme Media City, Internet City, Knowledge City, Healthcare City ou DIFC – le district financier –, elles créent de facto des pôles d’excellence qui se nourrissent mutuellement.
Start-ups et clusters
La réussite de ces “clusters” tient aussi à la stabilité politique et sociale de Dubaï et à sa traditionnelle ouverture sur le monde. Ainsi, les Émirats Arabes Unis, qui occupaient en 2011 la 40e place sur la liste des pays où il est le plus facile de faire des affaires, publiée chaque année par la Banque mondiale, sont passés à la 26e place en 2012. Un bond en avant dû à un fort encouragement des startups, un très bon réseau internet et une économie saine. En janvier, on notait une augmentation de 13 % des exportations, tandis que les prévisions pour 2013 tablent sur une croissance du PIB située entre 3 et 5 %, supérieure aux attentes au plan mondial, estimée autour des 2 %. “D’une certaine manière, les Émirats ont bénéficié du printemps arabe, analyse François Sporrer. Les visiteurs de la région, qui autrefois optaient pour l’Égypte ou le Liban, choisissent Dubaï désormais.” Cette stabilité, manifestée notamment dans l’intervention des Émirats et du Qatar aux côtés de l’OTAN en Lybie, rassure l’Occident, même si les visiteurs du Moyen-Orient restent le principal moteur touristique. À titre d’exemple, les Saoudiens effectuent à eux seuls 30 % des achats de luxe à Dubaï. “La ville connaît un dynamisme qui s’aligne pratiquement sur celui de Singapour, et depuis deux ans, tout est reparti avec force : les hôtels ouvrent, les chantiers redémarrent”, constate également Isabelle Leroy, directrice du French Business Council. Selon elle, la communauté française connaîtrait une croissance inédite, atteignant un pic de 15 % annuel depuis deux ans. En tout, près de 20 000 Français seraient officiellement enregistrés dans les Émirats, dont plus de 14 000 à Dubaï. Une population jeune, puisque 60 % est âgée de moins de 40 ans. Pourtant, il ne faut pas rêver : Dubaï n’est plus l’Eldorado. “L’époque des salaires très hauts et surtout des grands avantages pour les expatriés est, sinon révolue, du moins un peu lointaine, met en garde Isabelle Leroy. Dubaï est un marché très compétitif, où un grand nombre de nationalités sont présentes, avec chacune ses domaines d’excellence, puisqu’à peine plus de 15 % des habitants de Dubaï sont émiratis.” Si les Français continuent à être bien positionnés dans les produits traditionnels comme le luxe, l’hôtellerie ou l’agroalimentaire, ils commencent à s’illustrer dans des domaines émergents tels que la technologie, le médical et le développement durable.
Un effort durable
En effet, Dubaï prend conscience de l’importance d’une attitude plus écologiquement correcte. Récemment, plusieurs initiatives ont été prises dans ce sens. La principale : encourager l’installation de nombreux panneaux solaires afin de pourvoir à 10 % des besoins de la ville-état. Par ailleurs, on parle d’une baisse significative de la consommation d’énergie et d’un développement des transports en commun, avec l’ajout, notamment, de rames sur les deux lignes de métro déjà construites et la création d’une troisième ligne ainsi que la construction d’ici 2018 d’une liaison ferroviaire reliant entre eux les émirats et se poursuivant jusqu’à Oman. Ainsi Alstom construit actuellement un réseau de tramways dans le quartier de la Marina, tandis que le groupe Emaar a créé Byky, un système similaire à celui du Vélib’ parisien, avec des stations implantées dans les micros quartiers comme Dowtown Burj Khalifa. “Le développement durable est une vraie préoccupation des autorités. Elles comprennent enfin qu’à long terme, négliger l’écologie serait préjudiciable”, conclut Isabelle Leroy. Mais ce n’est pas tout. Des domaines de niche voient le jour à Dubaï : les sociétés spécialisées sur la 3D, les hologrammes et les nouveaux médias prennent du poids, avec l’implantation de sociétés comme Fractal ou Dassault qui a récemment ouvert un système de simulation pour l’aéronautique. En 2006, Lammtara Pictures, une société de production locale, a lancé Freej, un dessin animé mettant en scène des caricatures d’Émiriens déjantés, portants vêtements traditionnels et masques parodiés. “Depuis, on note une demande grandissante pour ce genre de séries à travers le Moyen-Orient, explique Mohammed Harib, producteur-créateur de Freej et directeur de Lammtara Pictures. Voilà pourquoi Dubaï développe ce savoir-faire.” L’idée était venue au business man, alors qu’il était encore à l’université et s’amusait à dessiner sa grand-mère, voilée mais espiègle, pour en faire une sorte de super-héros. Prochainement, la super-mamie dubaïote devrait investir les écrans européens. En clair : il n’y a pas d’âge à Dubaï pour conquérir le monde.
Avec : voyages-d-affaires