Selon le directeur du programme des urgences sanitaires de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Ibrahima-Soce Fall, aucun pays de la région Afrique de l’OMS n’est, dans l’absolu, à l’abri d’une épidémie Ébola.
Il faut comprendre, explique-t-il, que la niche écologique joue un rôle important dans l’évaluation du risque épidémiologique posé par une région donnée.
L’orateur rappelle qu’en tant que virus zoonotique, Ébola peut se retrouver à l’état naturel chez certains animaux, comme les singes et les chimpanzés.
“Il y a certes un déclin, en termes de nouveaux cas, mais malgré l’accessibilité et les zones rouges, nous ne pouvons pas dire que l’épidémie se stabilise.”
Tedros Adhanom Ghebreyesus – Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
Beaucoup de pays sont dans cette niche écologique, fait-il valoir. Toutefois, précise-t-il, “pour le risque actuel, nous considérons que la région africaine est à haut risque. Mais les pays les plus à risque sont ceux qui sont frontaliers de la République démocratique du Congo (RDC).”
Ibrahima-Soce Fall s’exprimait lors d’une conférence de presse organisée en marge de la 68esession de la région Afrique de l’OMS, à Dakar.
Ibrahima-Soce Fall et Tedros Adhanom Ghebreyesus de l’OMS, en conférence de presse, le 29 août, à Dakar. – Crédit Photo : SDN/Bilal Taïrou
Pour sa part, le directeur général de l’OMS, également présent dans la capitale sénégalaise, estime que l’épidémie à virus Ébola qui sévit en RDC est “loin d’être stabilisée.”
Tedros Adhanom Ghebreyesus indique qu’au-delà des défis médicaux liés à la riposte, le principal défi reste d’ordre sécuritaire, dans une région en proie à l’instabilité.
“La première source d’inquiétude tient au fait qu’il s’agit d’une zone de conflit très active ; ensuite, la région est densément peuplée et, enfin, il s’agit d’une zone avec des mouvements de population importants”, précise Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Le directeur général de l’OMS, qui s’est rendu dans la région à la mi-août, souligne qu’avant sa visite à Beni, dans la province du Nord-Kivu, il était inquiet, tout en assurant qu’il l’était encore plus après.
Le principal problème réside, selon lui, dans les difficultés d’accès aux nouveaux cas de maladie à virus Ébola, dans des zones dites “rouges”, où opèrent plusieurs groupes rebelles.
“Il y a certes un déclin, en termes de nouveaux cas, mais malgré l’accessibilité et les zones rouges, nous ne pouvons pas dire que l’épidémie se stabilise”, poursuit-il.
Sur le plan purement médical, Ibrahima-Soce Fall estime qu’il est important de considérer les traitements expérimentaux comme une “opportunité” pour l’Afrique.
“Dans un passé encore récent, ces traitements étaient réservés aux seuls Européens intervenant dans les situations d’urgence en Afrique”, fait-il remarquer.
Or, pour la première fois, ils sont accessibles aux Africains, dit-il, ajoutant que c’est une opportunité qu’il faut saluer.
Ibrahima-Soce Fall estime par ailleurs que “toutes les mesures nécessaires sur le plan éthique et scientifique ont été prises pour que la vie d’aucun patient ne soit mise en danger.”
Aujourd’hui, nous n’avons pas de traitement contre la maladie à virus Ébola et aucun vaccin n’a encore été homologué ; par conséquent, il est trop tôt de dire que la science a vaincu le virus Ébola.
Annick Antierens – Conseillère médicale stratégique de MSF
Dans une interview avec SciDev.Net, Annick Antierens, conseillère médicale stratégique de Médecins Sans Frontières (MSF) précise, pour sa part, que les médicaments [expérimentaux] sont utilisés dans le cadre du protocole d’utilisation contrôlée en situation d’urgence d’interventions non homologuées [Monitored Emergency Use of Unregistered and Investigational Interventions – MEURI], développé par l’OMS.
Le protocole MEURI a été développé spécifiquement pour ce type de scénario : une épidémie avec un taux de mortalité élevé, sans médicaments homologués, dans un contexte qui ralentit sérieusement l’organisation d’essais cliniques.
Si des essais cliniques sont attendus et que le protocole MEURI n’est pas utilisé, de nombreux patients n’auraient jamais accès à un traitement potentiellement vital, poursuit Annick Antierens.
Compte tenu de la rapidité avec laquelle l’épidémie d’Ébola peut réapparaître et disparaître, il serait effectivement difficile, soutient-elle, d’utiliser un médicament potentiel.
Les épidémies de Likati, en 2017 et de Bikoro, en 2018 étaient toutes les deux terminées avant que tout médicament potentiel ne puisse être utilisé, rappelle-t-elle, avant d’insister : “Même si le protocole MEURI est un outil très utile, tout le monde convient que des essais cliniques sont nécessaires – en fait, le protocole lui-même déclare que les essais cliniques restent nécessaires et doivent être organisés le plus rapidement possible.”
Même son de cloche, du côté du directeur général de l’OMS, qui insiste sur le caractère exceptionnel des mesures mises en œuvre, rappelant que les traitements expérimentaux sont administrés avec le consentement des patients et que ces derniers font l’objet d’un suivi rigoureux de la part de médecins.
Toutefois, insiste Annick Antierens, l’existence de traitements expérimentaux ne devrait pas conduire à un relâchement de la vigilance par rapport au virus Ébola.
“Aujourd’hui, nous n’avons pas de traitement contre la maladie à virus Ébola et aucun vaccin n’a encore été homologué et il est trop tôt de dire que la science a vaincu le virus Ébola”, avertit la responsable de MSF.
De plus, affirme-t-elle, les outils pharmaceutiques ne suffisent pas à eux seuls à arrêter une épidémie de type Ébola.
Il y a lieu, poursuit-elle, de sensibiliser la population aux risques, de rechercher activement des patients atteints de la maladie à virus Ébola, d’assurer un suivi approfondi de tous les contacts des patients atteints d’Ébola, ainsi qu’un soutien aux soins de santé réguliers – non liés à la maladie à virus Ébola – et des rituels d’inhumation sûrs pour les victimes.
Selon Annick Antierens, cela est souvent très difficile, en raison de l’éloignement des zones d’épidémie ou, comme aujourd’hui, à cause de l’insécurité.
La science pharmaceutique n’est pas en mesure de répondre à ces défis, ajoute-t-elle.
Enfin, précise la chercheuse, il y a encore beaucoup de questions sans réponse sur le virus Ébola et la maladie à virus Ébola. Ces questions sont liées, entre autres, aux facteurs pronostiques, à la physiopathologie de la maladie, à la transmission et à l’infectiosité.
De même, la présence de cas sub ou acliniques, l’effet du traitement d’association, l’étendue et la durée de la protection vaccinale comportent des zones d’ombre.
Tout ceci fait dire aux conférenciers qu’en dépit des avancées notables enregistrées, la lutte contre Ébola est loin d’être gagnée.
Avec scidev