Presque plus de bus sur les routes d’Abidjan. Des heures interminables d’attente pour les usagers. Des dépôts et gares quasi déserts. La Société des transports abidjanais (Sotra) est depuis quelques mois pris dans un tourbillon de déficit logistique et financier. Que se passe-t-il dans cette entreprise publique en charge du transport urbain à vocation sociale dans la capitale économique ivoirienne? Clés de compréhension d’une lutte serrée contre la faillite.
Dans la commune de Yopougon, dans la banlieue ouest d’Abidjan, le calvaire des usagers de la Sotra se conjuguent depuis plusieurs mois en termes de longues attentes, parfois pendant des heures, des bus surchargés, qui tombent très souvent en panne en pleine course. Une situation qui n’est pas spécifique à la seule commune de Yopougon. Car dans toutes cités de la capitale économique ivoirienne, ce brusque déficit de bus se fait entendre et sentir des usagers plongés dans un désarroi apparent.
Pourtant, pour comprendre la crise qui secoue la Sotra ces jours-ci, il faut remonter aux cinq dernières années de la crise sociopolitique ivoirienne (2002-2011), soldée par une crise postélectorale marquée par des affrontements armés.
Fragilisée par la crise
La Sotra, avec une situation financière plutôt fragile au début des années 2000, tentait d’amorcer, avec plan stratégique de développement mis en œuvre à partir de fin 2001, une nouvelle relance. Ainsi, le DG d’alors Phillipe Attey, se lance dans une série de réformes et de restructuration qui s’avèrent payantes. Dans les cinq ans qui suivent le début de cette nouvelle dynamique managériale est marquée par le lancement des bus Exprès dans diverses communes avec le ticket du voyage à 500F CFA, le renforcement de la flotte des bateaux bus, l’harmonisation du coût des tickets du bus ordinaire à prix unique de 200 FCFA. En interne, l’on assiste à une harmonisation des deux assurances de couverture sanitaire de la boîte, à savoir la mutuelle inter-dépôt et l’assurance maladie. Avec cette autre réforme, l’employeur et les travailleurs devaient désormais se partager les charges des cotisations à 50% chacun.
Un élan bien lancé, mais qui n’aura duré que le temps d’un feu de paille. Car, dès les années 2005, les dirigeants de la boîte vont se lancer dans de nouvelles orientations qui vont très vite dévoiler leurs failles. A commencer par l’achat de près de 600 bus d’occasion de la marque TATA en Inde. Des engins que l’état désastreux des routes d’Abidjan va éprouver en un temps record, effritant du coup le parc auto. Ainsi commence lentement et progressivement une période d’étranglement financière.
Entre temps, en 2007, la société lance avec succès un emprunt obligataire qui lui permet de récolter 10 milliards de FCFA sur le marché financier, complétés à 12 milliards grâce à un apport d’un partenaire bancaire. Mais cette somme parait tout de même dérisoire à côté des défis à relever. C’est ainsi que commence une série de mesures préjudiciable à l’entreprise et à ses employés : la création d’un institut qui n’apporte aucune valeur ajoutée, l’accumulation des arriérés de cotisations de retraite des agents auprès de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), l’acquisition de bus usagés, etc.
La crise et les tensions politiques aidant, des bus sont constamment affaités à des activités politiques, et pouvaient passer plusieurs semaines dans des villes de provinces alors qu’Abidjan en manquait.
A la fin des années 2010, la Sotra est prise au coup par ce goulot d’étranglement financier. Ses retraités de 2009-2010 se retrouvent sans pension, la CNPS refusant de les payer évoquant les arriérés de cotisation qui s’élèverait à plus du milliard de francs CFA. Et vint la crise postélectorale (2010-2011) qui enfonce le clou.
Encore des bus d’occasion
C’est dans cette situation qu’en 2011, l’actuel directeur général de la Sotra prend les rênes de l’entreprise. Pour faire face à l’urgence ,dès 2012 et 2013, la société se procure des autobus d’occasion. « Bien qu’usagé, ce matériel entièrement révisé a permis de soulager les populations pendant un certain temps », justifie un long communiqué de presse publié le 16 février 2017 par de la société.
« La mise au rebut d’une partie de ce matériel dont l’obsolescence était programmée, s’est malheureusement faite en décalage avec l’acquisition du matériel neuf de remplacement », poursuit le document. Si bien que depuis la mi-2016, se rendre au travail chaque matin relève désormais d’un parcours du combattant pour les usagers. Surtout que l’on assiste à une poussée démographique galopante d’Abidjan, dont la population a presque doublée en dix ans franchissant la barre des 5 millions d’habitants selon le récensement général de 2014. Et les plus touchés par cette pénible situation, sont les élèves et étudiants, car obligés pour plusieurs d’entre eux emprunter le bus pour se rendre au cours.
« De mémoire de travailleur, je n’ai jamais vu la Sotra dans un tel état. Même aux heures de pointe, les gares sont vides. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce que ne va pas ? », s’interroge, désemparé, un usager à la Gare sud dans la commune du Plateau.
Pendant ce temps, la direction de la Sotra noue des partenariats pour le renforcement de son parc. En 2015, la Banque Africaine d’Import-Export (Afreximbank) lui accorde une facilité de 50 millions d’euros (32,750 milliards FCFA), en vue de renforcer ses capacités grâce à l’acquisition de 500 bus supplémentaires, 12 bus d’eau, un nouveau système de billetterie, l’amélioration de la gestion des dépôts et du contrôle de carburant. Malheureusement, jusqu’à ce jour, cet accord qui avait pourtant été annoncé en grande pompe, est resté sur papier sans connaitre de suite concrète. Interrogée par La Diplomatique d’Abidjan (LDA, www.ladiplomatiquedabidjan.com) sur le sujet, la Sotra n’a pas fourni de satisfaction à cette préoccupation, préférant qu’on ne s’en remette à son communiqué du 16 février.
Mais ce n’est partie remise. Puisque la direction va poursuivre ses recherches de financement pour éviter à la Sotra la faillite qui avance à grand pas.
500 bus neufs en route
Ainsi, le 15 juin 2016, un mémorandum d’entente est signé entre la Sotra et le Constructeur TATA Motors en vue du renforcement du parc autobus de la Sotra. Le 10 août 2016, ce mémorandum d’entente est suivi de la signature d’un contrat entre les deux entités, pour l’acquisition de 500 autobus neufs. Le 28 décembre 2016, l’Etat de Côte d’Ivoire, confirme son appui institutionnel au projet en signant une convention de prêt avec EXIMBANK – Inde pour le financement de l’acquisition de 500 autobus neufs, sortis directement d’usine. Ces engins, dont des « TATA Marcopolo » sont attendus à Abidjan fin mars, annonce l’entreprise.
Objectif, 2000 bus d’ici 2020
L’acquisition de ces autobus, très attendus par les usagers, constitue le premier lot d’un programme présidentiel d’acquisition de 2000 autobus à l’horizon 2020 pour faciliter la mobilité de la population abidjanaise, précise-t-on.
Concurrence
Toutefois, ces bonnes nouvelles en perspective ne sauraient occulter le grand challenge qui attend la Sotra, désormais concurrencée dans le secteur du transport lagunaire. En effet, deux nouvelles sociétés de transport par bateaux bus sont en phase de démarrer leurs activités sur la lagune Ebrié. Il s’agit de la Société de transport lagunaire (STL), disposant déjà de près de dix bateaux, et de la Compagnie ivoirienne de transport CITRANS. Leurs bateaux, beaucoup plus confortables et spacieux (pouvant transporter jusqu’à 200 passagers), pourraient inquiéter la Sotra sur ce terrain.
Mais aussi, le ralentissement des activités de la Sotra a induit un boom des taxis intercommunaux ou wôrô-wôrô et des minicars sur des lignes de prédilection des autobus. La Sotra devra également batailler pour récupérer ses clients, surtout les travailleurs, qui sont désormais, malgré eux, abonnés à ce type de transport.
« Excuse »
En attendant, l’entreprise qui se dit « très préoccupée » par la situation actuelle de ses usagers, dit regretter ces désagréments. « La SOTRA s’excuse auprès de l’ensemble de sa clientèle et réaffirme son engagement à remplir convenablement la mission de service public qui lui a été confiée », plaide-t-elle.
Avec ladiplomatiquedabidjan