En août dernier, Washington a sanctionné les entreprises européennes qui travaillent avec Gazprom sur la construction du gazoduc Nord Stream 2. Pour quelle raison les États-Unis sont-ils prêts à sacrifier les intérêts de l’Europe en coupant la route au gaz russe? Quel est le danger dont ils auraient peur?
Les États-Unis essayent par tous les moyens d’arrêter la réalisation du projet russe de gazoduc Nord Stream 2 qui doit relier la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique. Les sanctions, non seulement sur les entreprises russes, mais même européennes sont là pour le prouver. Quelle raison pourrait motiver cette politique? Certes en ce moment les États-Unis sont devenus, avec le gaz et le pétrole de schistes, un exportateur net d’hydrocarbures, cependant ils ne peuvent pas fournir l’Europe en gaz au point de remplacer les quantités livrées par la Russie, et ne possèdent pas les infrastructures portuaires nécessaires pour exporter le gaz naturel liquéfié (GNL). Alors pourquoi s’obstinent-ils, en pénalisant leur allié de toujours, l’Europe, à vouloir empêcher l’arrivée du gaz russe?
Un bref retour sur le fonctionnement du système financier et monétaire international est nécessaire pour cerner les dessous des cartes.
Empêcher le gaz russe d’arriver en Europe, pour quelle raison?
Le Président américain Richard Nixon avait annoncé le 15 août 1971 sa décision de mettre fin à la convertibilité en or du dollar. Suite à ça, est arrivée l’instauration du flottement généralisé des monnaies en mars 1973. Et en 1976, lors des accords de la Jamaïque, la démonétisation de l’or à l’échelle internationale a été officialisée. À cause de ces trois évènements majeurs, les accords de Bretton Woods, qui ont permis la reconstruction du monde après la Deuxième Guerre mondiale, basés sur le système étalon or et dont le dollar américain était la monnaie de réserve, se sont effondrés.
À partir de là, en particulier suite au premier choc pétrolier de 1973 qui a marqué la naissance des pétrodollars, la valeur de la monnaie américaine n’est plus fixée par le gouvernement des États-Unis, mais par les marchés financiers où s’échange le pétrole. Car le dollar était, désormais, totalement indexé au prix de l’or noir. Cependant, les réserves mondiales de pétrole conventionnel diminuent, avec un pic prévu théoriquement vers 2040. Le pétrole de schiste, dit non-conventionnel, dont le prix d’extraction est élevé, ne peut pas remplacer ce premier. Or, les tenants du système, dont font partie les banques internationales et les grands pétroliers américains, n’envisagent pas, en tout cas pour l’instant, de sortir du modèle énergétique basé sur les hydrocarbures, ce qui ferait du gaz la seule énergie de substitution sérieuse au pétrole.
Et c’est là où se trouve le nœud gordien pour comprendre la motivation profonde de la politique américaine envers la Russie. En effet, cette dernière, en plus d’être le plus grand producteur mondial d’or bleu, en possède aussi les plus grandes réserves. Le gaz, prenant de plus en plus la place du pétrole en s’acheminant vers un marché fort et organisé, propulsera inévitablement la Russie au premier plan de l’économie mondiale. Cette économie aura un système financier qui utilisera un dollar indexé sur la valeur de l’or bleu et non plus sur celle de l’or noir. Ceci permettrait à Moscou d’avoir son mot à dire sur la valeur du dollar et donc son contrôle.
Pour bien saisir le sens de cette perspective d’un point de vue des États-Unis, qui pourraient voir leur monnaie, l’arme fatale avec laquelle ils tiennent le monde, échapper à leur contrôle, il est intéressant de s’attarder sur ce qu’a déclaré le général Michael Hayden, ancien directeur de la NSA puis de la CIA:
«la guerre financière est le principal moyen de la guerre au XXIe siècle. Et les sanctions sont ses munitions à guidage de précision (MGP)».
La façon avec laquelle les États-Unis utilisent le dollar pour s’enrichir continuellement a été décrite, lors d’un forum du comité central du Parti communiste chinois à l’automne 2015, par le général major chinois Qiao Liang, imminent stratège de l’Armée populaire de libération, dont le point de vue peut être considéré comme celui des dirigeants chinois. En effet, après avoir considéré que le plus important événement du XXe siècle n’était pas les deux guerres mondiales mais la fin à la convertibilité en or du dollar en 1971, il déclare:
«Les Américains ont trouvé une solution: émettre une dette pour ramener le dollar aux États-Unis. Ils ont commencé à jouer à l’imprimerie avec une main et à emprunter de l’argent avec l’autre. L’impression d’argent peut faire de l’argent. Emprunter de l’argent peut aussi faire de l’argent. Cette économie financière (utiliser l’argent pour gagner de l’argent) est beaucoup plus facile que l’économie réelle (basée sur l’industrie)».
Pour Washington, quelle que soit la couleur politique de celui, ou de celle, qui dirige le Bureau ovale, voir un pays tiers, et qui plus est la Russie, se mêler de la gestion du dollar, considérée comme la plus importante question de sécurité nationale, et avoir un bras d’influence y compris sur la dette et le déficit américains, est une situation totalement hors de question.
Alors que font les États-Unis pour parer à cette éventualité?
Les États-Unis à pied d’œuvre pour sauver le soldat dollar
Le Président américain a signé en août dernier la loi introduisant de nouvelles sanctions contre l’Iran, la Russie et la Corée du Nord. Les sanctions en question permettent d’infliger des amendes aux entreprises européennes pour leur participation à des projets énergétiques communs avec la Russie, en particulier dans la mise en œuvre du projet de gazoduc Nord Stream 2, financé par le géant russe Gazprom et cinq sociétés européennes Engie (France), OMV (Autriche), Royal Dutch Shell (Royaume-Uni et Pays-Bas), Uniper et Wintershall (Allemagne).
Tous les pays qui travaillent avec la Russie sur la question du gaz, l’Algérie, l’Iran, le Venezuela et le Qatar, qui abrite le siège du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), ont vécu des déstabilisations. Le FPEG a vu le jour en décembre 2008, à Moscou, avec l’adoption d’une charte organisant son travail ce qui pourrait en faire une sorte d’OPEP du gaz.
L’Algérie a vu sa plus grande raffinerie de gaz, de Tiguentourine, attaquée par des terroristes en janvier 2013, où ces derniers ont pris environ 800 personnes en otages, en plus de la situation instable dans la région du Sahel, à l’origine du sabotage de la construction du gazoduc qui allait relier les gisements du Nigeria au réseau algérien.
De surcroît, le Qatar subit un embargo instauré par les pays du Golfe pour ses relations avec l’Iran.
Le Venezuela et l’Iran vivent des manifestations soutenues publiquement par les autorités américaines, en plus d’une rhétorique guerrière, à l’égard de ce dernier, à l’instar de celle développée contre l’Irak en 2003, à cause d’un prétendu soutien militaire aux rebelles houthis.
Sans oublier que dans le littoral de la Syrie, pays qui a subi une guerre terroriste pendant sept ans, un grand gisement de gaz a été découvert avant le début des évènements.
N’est-il pas temps de mettre un terme au bellicisme et collaborer pour le bien-être de toute l’humanité? Vu tous les dangers qui pointent à l’horizon, y compris celui de l’utilisation des armes atomiques, cela vaut peut-être le coup d’essayer!