Après dix ans d’existence, le site a publié près d’un million de documents par année. Certaines révélations ont eu un écho médiatique sans précédent.
Ce mardi matin, Julian Assange tenait une conférence de presse pour les dix ans de sa créature, Wikileaks. Le sourire aux lèvres, il s’est amusé de l’impatience de ses auditeurs. Car chacun s’attendait à de nouvelles révélations.
Et pour cause, le site n’en est plus à son premier scandale . Tour d’horizon des dix plus grosses « fuites » de Wikileaks, selon leur propre sélection.
Année 2008 – Guantanamo Files
Icône de la présidence Bush, complexe de celle d’Obama, la prison de Guantanamo est aujourd’hui difficile à défendre. Ouverte le 11 janvier 2002, à la suite de l’attentat du World Trade Center, elle est destinée aux prisonniers soupçonnés de « terrorisme ».
Les documents publiés par Wikileaks prouve la mise en place d’une mécanique tortionnaire dont près de 800 prisonniers -âgés de 14 à 89 ans – en sont les victimes. Humiliés, torturés, abusés, les personnes incarcérées sont soumises à des traitements « inhumains ». Ecrits entre 2002 et 2008, ces documents racontent notamment que les détenus sont appelés par leur numéro de prisonnier afin de les deshumaniser complètement.
Le New York Times a réalisé une infographie complète de cette affaire après les révélations de Wikileaks.
14 septembre 2009 – The Minton Report
Cette affaire pourrait se résumer en un seul mot : « Trafigura ». C’est le nom d’une multinationale hollandaise basée à Londres et spécialisée dans le transport de pétrole et de matières premières. En premier lieu, elle est accusée d’avoir affrété en 2006 un cargo transportant des déchets toxiques en Côte d’Ivoire, où ils devaient y être traités. Pour faire des économies, l’entreprise a finalement décidé de déverser ces résidus chimiques dans plusieurs décharges d’Abidjan, la capitale économique du pays. A la clé : un scandale à l’audience internationale.
Et c’est là que la vraie histoire commence. Trafigura exige un rapport interne, « the Minton Report », afin de déterminer à quel point les déchets étaient toxiques. L’idée est de contrer les accusations en minimisant l’impact. Seulement, ce rapport ne tire pas les conclusions que souhaiterait la firme. Au total, on dénombre 108.000 victimes, certaines décédées, d’autres intoxiquées et gravement malades.
A la vue de ces chiffres accablants, l’entreprise cache le rapport que Wikileaks parvient à se procurer. Et diffuse en septembre 2009. S’ensuit une bataille judiciaire que le Guardian et la BBC – qui comptaient publier le rapport – perdent. Les deux médias ont l’interdiction de diffuser le « Minton Report ».
Le quotidien britannique en informe ses abonnés, qui s’emparent de twitter pour exercer une pression sur le cabinet assurant la défense de Trafigura. En quelques heures, le hashtag #Trafigura est le plus twitté d’Europe. Le lendemain, les avocats cèdent et le rapport est publié.
5 avril 2010 – The Collateral Murder
Une vidéo seulement. Nul besoin de milliers de documents pour comprendre la gravité de l’affaire. Diffusée au mois d’avril 2010, elle est vue par quatre millions de personnes sur Youtube dans les trois jours qui suivent sa publication.
Au commencement, une phrase de George Orwell : « Le langage politique est conçu pour rendre le mensonge crédible et le meurtre respectable, et pour donner à ce qui n’est que du vent une apparence de consistance. »
Une bavure dramatique
Le 12 juillet 2007, des militaires américains patrouillent en hélicoptère au dessus d’un quartier de Bagdad. Des personnes se baladent dans la rue, dont un reporter de Reuters, Namir Noor-Eldeen, accompagné de son collaborateur Saeed Chmagh muni d’une caméra.
Les soldats pensent qu’il s’agit d’une arme et tirent alors plusieurs rafales de mitrailleuse sur les hommes. Douze personnes sont tuées, dont les deux reporters et un enfant de neuf ans. Si les images sont déjà terribles, les rires des militaires le sont encore plus. On les entend insulter les victimes de « bâtards ».
Cette affaire contraint le Pentagone à ouvrir une enquête. Les forces américaines restent impassibles : les journalistes sont des « dommages collatéraux », les autres des « insurgés ».
22 octobre 2010 – The Iraq and Afghanistan War Logs
Près de 400.000 rapports militaires couvrant la guerre en Irak de 2004 à 2009 et en Afghanistan sur la même période. Ils recensent entre autres le nombre exact de civils tués en Irak et détaille les tortures perpétrées par la police et les militaires sur les prisonniers.
De nombreux crimes de guerre sont aussi explicités. Publiés le 22 octobre 2010, ces documents sont répertoriés et classés dans un site web conçu par Wikileaks .
28 novembre 2010 – Le « Cablegate »
Cette affaire est la dernière du millésime de 2010. Tout commence donc cette année là lorsque Wikileaks diffuse plus de 250.000 dépêches diplomatiques envoyées au siège du département d’Etat des Etats-Unis à Washington. De quoi donner quelques sueurs froides à la Maison Blanche. Ces documents racontent cinquante ans de relations diplomatiques que les Etats-Unis ont entretenu à travers le monde. Cette « collection » ne cesse d’ailleurs de s’étoffer depuis la révélation initiale.
A l’origine, la plateforme ne publie rien d’elle-même, afin de préserver la confidentialité et la sécurité de certaines personnes impliquées, et laisse ses cinq journaux partenaires distiller les révélations. En 2011, Wikileaks décide de finalement laisser en libre service les télégrammes.
Le site explique que ces « câbles » ont permis de mieux comprendre « les stratégies et les motivations des responsables américains telles qu’ils les ont exprimé entre eux, pas comme ils ont l’habitude de les exprimer au public. » Pour la Syrie par exemple, ces documents prouveraient que dès 2006, « déstabiliser le gouvernement syrien était une motivation centrale de la politique américaine. »
Le « Cablegate » est indissociable du personnage de Chelsea Manning – un militaire transsexuel – qui a transmis des dizaines de milliers de documents confidentiels au site. En août 2013, elle a été condamnée à 35 ans de prison par une cour martiale, qu’elle purge dans une prison militaire.
avec lesechos