Mode d’emploi Entre nécessaire prudence et audace calculée, les entreprises doivent manoeuvrer finement en période d’incertitude politique.
Election surprise de Donald Trump aux Etats-Unis, vote inattendu des Britanniques en faveur du Brexit, etc., l’émergence d’incertitudes sur des marchés reconnus pour leurs solides fondations démocratiques bousculent les certitudes des entreprises. Habituées à gérer le risque politique dans des pays réputés pour leur instabilité, elles font aujourd’hui face à une situation inédite. « Cela suppose une approche différente, précise Anne Piot d’Abzac, directrice des risques d’Ipsen et vice-présidente de l’Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise. Dans des pays où le risque de confiscation est élevé, des décisions radicales sont envisageables car l’exposition des entreprises y est souvent réduite. Mais, dans les pays occidentaux, ce type de solutions n’est a priori pas envisageable. » Quatre conseils pour naviguer dans le brouillard politique qui s’abat sur le monde.
Evaluer son exposition
Pour peu qu’elle existe, une mise à jour de la cartographie des risques s’impose. Objectif : anticiper les évolutions réglementaires négatives qui pourraient bousculer tout un secteur d’activité. « A l’issue du vote ouvrant la voie à un Brexit, de nombreuses sociétés, particulièrement exposées au Royaume-Uni, ont mis en place des groupes de travail spécifiques pour suivre les évolutions de ce dossier », relève Anne Piot d’Abzac. Leurs membres identifient les sujets à monitorer et évaluent la probabilité de réalisation de ce qui pourrait parfois rester de simples promesses de campagne. Outre le recours aux moyens d’information classiques, les entreprises peuvent se servir de capteurs plus proches du terrain susceptibles de les alerter sur des thèmes qui auraient pu leur échapper. Dans cette quête, associations professionnelles, avocats, mais aussi assureurs sont de précieux alliés. Armés de robustes modèles statistiques et de leur expérience, leurs analystes sont plus à même de déterminer le degré de crédibilité d’une mesure. « Le marché de l’assurance peut servir de baromètre : plus les assureurs coteront facilement un risque, moins il aura de chances de survenir, et inversement », indique Emmanuelle Biehler-Marghieri, directrice du département risques politiques et financiers de SIACI Saint Honoré.
Réaliser des projections
Une fois évalués, les risques doivent être intégrés au plan stratégique. « Différents scénarios sont élaborés pour anticiper l’impact business de telle ou telle mesure, note Anne Piot d’Abzac. Fiscalité, compliance, risque de change ou humain, tout doit être pris en compte. » Le groupe de travail rapporte ensuite ses conclusions au comité exécutif, voire au comité d’audit si l’impact supputé est vital pour l’entreprise. « Il revient à la direction générale d’adapter la stratégie à moyen terme en fonction de cette nouvelle donne, poursuit la directrice des risques. Des investissements pourraient être différés ou réorientés vers des zones ou des activités plus sûres. » Au demeurant, le lobbying ne doit pas être négligé. « L es entreprises ont en effet tendance à faire évoluer leur environnement en amont », affirme Hugues Poissonnier, économiste et enseignant en stratégie à Grenoble Ecole de Management.
Couvrir ses arrières
Si tous les risques que courent l’entreprise n’y sont pas éligibles, un certain nombre peuvent être couverts par des assurances. Le risque « politique » est toutefois envisagé de façon stricte par les assureurs, dans les cas de confiscation, d’expropriation, de violence politique, de désinvestissement forcé, de discrimination sélective, de force majeure ou d’inconvertibilité des devises. « Idéalement, il faut se couvrir au moment où le contrat entre en vigueur, souligne Emmanuelle Biehler-Marghieri. Mais, tant qu’il existe un aléa, l’entreprise peut tenter de s’assurer. Si certaines détectent une problématique d’investissement aux Etats-Unis à la suite de l’élection de Donald Trump, leurs dossiers seront étudiés au cas par cas, même si le scrutin est passé. » De son côté, Ludovic Subran, directeur de la recherche économique d’Euler Hermès, a en tête les 800 nouvelles mesures protectionnistes mises en place à travers le monde : « Le protectionnisme est une nouvelle forme de risque politique, mais il est difficilement assurable », précise-t-il. Un risque de non-paiement aux Etats-Unis ? Quasi inconcevable il y a encore quelques semaines. Pourtant, sur le port de Houston, des entreprises s’interrogent aujourd’hui sur la taxe qui pourrait être appliquée à leurs marchandises en cale, en cas de remise en cause de l’Alena. Et les assureurs crédit ont vu ces derniers jours venir à eux des clients canadiens et mexicains.
Profiter des effets d’aubaine
L’incertitude politique engendre son lot de risques, mais aussi d’opportunités. En revenant sur la régulation financière de l’ère Obama, et notamment sur la loi Dodd-Frank, Donald Trump pourrait ouvrir de nouvelles fenêtres de tir pour le secteur bancaire ; idem pour l’industrie minière ou celle de l’acier, ArcelorMittal en tête, qui pourraient profiter de la relance annoncée de la production de charbon et d’une potentielle renégociation des accords sur l’acier avec les Chinois. « A cela, les entreprises doivent aussi être attentives et se préparer à déclencher, le cas échéant, de nouveaux investissements qu’elles n’avaient pas prévus initialement », prévient Anne Piot d’Abzac.
En matière de fusion et acquisition, le flou politique peut parfois s’avérer payant : le prix d’une cible pourrait être revu à la baisse et les négociations avec le vendeur facilitées. « Même si, dans leur immense majorité, les cibles britanniques ne se bradent pas suite au référendum sur le Brexit, une bonne affaire n’est pas exclue, assure Jean-Noël Mermet, fondateur de Frenger International. Les acheteurs doivent cependant évaluer la cible en fonction de sa performance actuelle et non de ses données historiques qui, eu égard au changement de situation politique, ne veulent plus dire grand-chose. » Même en cas d’occasions immanquables, la prudence s’impose donc, là encore, comme le maître mot.