En Côte d’Ivoire, les grands partis politiques hésitent encore à confier leur mouvement de jeunesse aux jeunes filles. Ces dernières n’auraient-elles pas les qualités nécessaires ? Qu’est-ce qui freine leur ascension ? Une enquête que nous avons menée avec le soutien de l’Institut PANOS.
L’arrivée massive des femmes qui ont pris le contrôle du Rassemblement des républicains (Rdr) lors du dernier congrès les 9 et 10 septembre est-elle un signe des temps qui changent ? Ce virage doit-il être simplement considéré comme un épiphénomène, le temps que la nature reprenne ses droits dans le monde politique ivoirien et remette les différents acteurs à leur place ? Nous avons passé en revue les pépinières des principaux partis politiques à la recherche de jeunes femmes capables d’être des Hortense Aka-Anghui, Henriette Dagri-Diabaté, Kandia Camara, Marie Odette Lorougnon… de demain.
A l’appel des présidents des jeunesses des principaux partis politiques (Pdci, Fpi, Rdr Udpci, Mfa) aucune femme. En effet, entre Valentin Kouassi (Jpdci urbaine), Yao N’guessan Justin Innocent (Jpdci rurale), Navigué Konaté (Jfpi), Dah Sansan (Rjr), Franck Adiko (Judpci)…le constat est clair. Ici, les enjeux se conjuguent toujours au masculin. Même si dans les textes aucune disposition n’empêche les jeunes filles de briguer ces postes, les grands partis politiques hésitent encore à leur confier leur mouvement de jeunesse. La problématique de la faible représentativité des femmes dans l’arène politique ivoirienne qui continue d’être dénoncée par des associations politiques et des organisations de la société civile commence très tôt.
L’audace, un atout
Mlle Toukoh Camara a 31 ans. Depuis bientôt un an, elle occupe le poste de présidente des jeunes filles au Mfa, un parti politique traversé par de multiples crises. « C’est surtout par mon audace, ma détermination et mon assiduité à participer à toutes les activités du parti qui ont fait que la présidente des femmes du Mfa m’a remarquée », confie-t-elle.
Cette commerçante se bat sans complexe aux côtés des dirigeants pour permettre au Mfa qui comptait parmi les cinq plus grandes formations de retrouver sa place sur l’échiquier politique. Tendue vers cet objectif, la jeune femme ne ménage ni son temps ni son énergie. Son petit niveau d’étude (la classe de 3ème) ne saurait être un obstacle. « Qu’une jeune fille soit présidente des jeunes du Mfa, est possible. Et ce ne sera pas un traitement de faveur. Cela relève du mérite », indique la jeune femme, avec un brin de fierté. « J’ai des représentantes dans toutes les communes d’Abidjan. Et notre collaboration se passe correctement », explique-t-elle. Selon elle, l’engagement politique est avant tout une question de volonté et de disponibilité.
Une disponibilité qui fait défaut à la grande majorité des jeunes femmes surtout pour celles qui aspirent au mariage. Le mariage et la maternité perturbent l’ascension politique. « Il est par ailleurs difficile de militer efficacement dans un parti politique quand on est engagé dans une vie de couple. L’indisponibilité s’accentue avec les maternités », ajoute-t-elle.
« Ce n’est pas facile de participer aux meetings. Rien ne semble garantir ni pérenniser le combat politique mené par la jeune fille qui intègre un foyer », a laissé entendre la secrétaire générale des femmes du Mouvement des forces d’avenir (Mfa), Koffi Cynthia. « Pendant ce temps, les autres membres du parti ne vous attendent pas. Ils avancent. Si vous n’êtes pas active dans une affaire, vous perdez votre poste de responsabilité au sein du parti », a dénoncé Mme Koffi.
Selon M. Dah Sansan, président de la Rjr, le Rassemblement des républicains (Rdr) est un parti qui n’exclut pas les femmes dans son organisation. « Nous accordons une place de choix à la jeunesse féminine. Nous enregistrons ainsi au sein de notre parti, un secrétariat général chargé de la jeunesse féminine », affirme-t-il. « Mais concernant la responsabilité accordée à la base, la préférence va aux hommes expérimentés », reconnaît le président de la jeunesse du parti au pouvoir. Pour l’heure, le quota de représentativité des femmes dans le bureau du Rassemblement des jeunes républicains est de 30%.
La fiche de poste
Ce dernier estime que les femmes n’ont pas une très bonne culture de l’activité politique. « La politique est une question de culture. A la création du parti, il fallait trouver des hommes expérimentés et aguerris pour mener le combat et tenir le fer quand c’était très chaud. Cette tâche ne pouvait être assignée aux femmes », justifie-t-il.
Une idée partagée par un autre cadre du parti qui nous invite à nous rappeler les conditions de création des partis politiques aux premières heures du multipartisme. « Feu Djeni Kobina, l’un des fondateurs du Rdr, aimait comparer les jeunes de son parti politique à des grenadiers voltigeurs. Dans les années de braises, les jeunes étaient ceux-là mêmes qui allaient à la confrontation et à l’affrontement. Dans cette configuration, il était difficile de confier la présidence d’un mouvement de jeunesse à une jeune fille », rappelle ce militant.
Selon plusieurs sources au sein des partis politiques, dans la distribution des rôles, la présidence de la jeunesse revient aux caïds. « Dans nos pays, les mouvements de jeunes peuvent être comparés à un groupe de blakoros (Ndlr: une bande d’irresponsables dans la société malinké) c’est-à-dire qui ne reculent pas devant les tâches que les sages n’osent pas accomplir », soutient ce cadre.
« On n’hésite pas à les transformer parfois en instruments de répression interne. On utilise les jeunes pour gérer parfois les contradictions internes au sein même des partis. Pour porter la violence, on ne peut pas vraiment faire confiance à une jeune fille », nous explique un ex-militant du Fpi.
Un militant du parti au pouvoir nous invite à nous demander pourquoi la plupart des partis de l’opposition ont mis des membres de la Fesci (Fédération estudiantine et scolaire de la Côte d’Ivoire, connue pour ses revendications virulentes) à la tête de leur mouvement de jeunesse.
« L’Udpci a connu ses plus belles années sous le règne de Blé Guirao, ancien fesciste. Et c’est appuyé également sur son passé de fesciste que Karamoko Yayoro a pu prendre la tête du Rassemblement des jeunes républicains. Sans oublier Damana Pickass et tous les autres », nous rappelle un cadre du parti arc-en-ciel.
En plus de cette « fiche de poste » qui disqualifie les jeunes femmes, les interlocuteurs égrènent d’autres raisons. « Il ne faut pas oublier que les jeunes filles se contentent trop souvent de faire de la figuration. Certaines se satisfont d’être des oreilles et des épaules réconfortantes pour les leaders. Et c’est bien dommage », nous dit un enseignant qui a été un sympathisant du Rdr.
« Beaucoup de femmes ne connaissent pas leur valeur. Sinon l’électorat ivoirien est constitué de plus de femmes. Mais nombreuses sont celles qui ne sont pas formées. Ces dernières se laissent manipuler par des hommes politiques pour des miettes », a déploré le député Issiaka Ouattara du Mfa. « Au sein du parti, je suis en train d’œuvrer pour la parité hommes et femmes. Au niveau du secrétariat sur 50 membres, nous avons 20 femmes. Au niveau national, je travaille pour que les femmes aient des postes représentatifs », a-t-il annoncé, en réagissant sur la faible représentativité des femmes dans les instances politiques.
Au Mfa comme dans certains partis politiques en Côte d’Ivoire, le bureau est composé de 50 membres dont 15 femmes. « La faute n’incombe pas forcément aux hommes ni au président du parti. Mais aux femmes. Elles ont une part de responsabilité. Il faut qu’elles manifestent de l’intérêt pour la politique avant qu’on ne les sollicite », a noté Mme Koffi Cynthia. C’est pourquoi, elle salue l’engagement de Mme Yasmina Ouégnin (député de la commune de Cocody) qui est un bel exemple à suivre.
A l’en croire, c’est seulement par la détermination que des jeunes femmes leaders pourront se frayer un chemin dans l’arène politique ivoirienne. Toutefois, elle reconnaît que la détermination croissante des filles est souvent freinée par la rareté des formations internes.
Le manque de formation
Dans certains cas, souligne-t-elle, lorsqu’on trouve des femmes motivées, elles sont très peu formées pour mener une belle carrière politique. « Une femme bien formée se bat plus efficacement pour ses administrés que des hommes », a-t-elle fait remarquer. Avant d’encourager la femme à se faire confiance et à oser prendre des initiatives.
« Le renforcement des capacités des femmes est effectivement une urgence », laisse entendre M. Dah Sansan, président de la jeunesse du Rdr. « Il existe plusieurs structures de formation disposées à former gratuitement les femmes. Aujourd’hui, rien n’est fermé. Les femmes doivent saisir ces opportunités de formation pour réussir à rivaliser avec les hommes aux différents postes de responsabilité », exhorte la secrétaire générale des femmes du Mfa.
Heureusement, elles sont nombreuses à avoir compris comme le disait l’ancienne ministre de la Famille, de la Femme et de l’Enfant, Euphrasie Yao, que « le bon moment, c’est maintenant ».
En Côte d’Ivoire, le combat pour une meilleure représentativité des femmes y compris des jeunes filles dans la vie politique suscite une série de plaidoyers menés par des Organisations de la société civile. Elles puisent leurs premiers arguments dans deux articles (36 et 37) relatifs à la promotion de la parité et du genre de la Constitution ivoirienne de 2016.
Il y a aussi au plan international un contexte favorable à l’évolution des mentalités pour faire bouger les lignes. Et la célébration de la journée internationale de la femme placée le 8 mars de chaque année est une occasion pour appeler les décideurs à bâtir un monde égalitaire.
Ainsi, lors de la célébration en 2017, les Nations unies ont invité tous les acteurs à « franchir le pas pour l’égalité entre les sexes pour un monde 50-50 d’ici 2030, en faisant en sorte que le monde du travail accueille toutes les femmes ».
« Nous voulons bâtir un monde du travail différent pour les femmes. En grandissant, les filles doivent être exposées à un large éventail de carrières et être encouragées à faire des choix qui les mènent à des emplois…au-delà des services ménagers », a souhaité la directrice exécutive de l’ONU-Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka.
Mais en même temps, celle qui dans ce discours défend les femmes et bien entendu les jeunes filles, n’a pas manqué de faire cette précision. « Les femmes elles-mêmes devront présenter des solutions permettant de faire tomber les barrières actuelles à leur participation. Comme le propose le Groupe de haut niveau sur l’autonomisation économique des femmes du Secrétaire général des Nations unies. Les enjeux sont élevés: faire avancer l’égalité des femmes pourrait stimuler le PIB mondial de 12 billions de dollars EU d’ici 2025 ».
Si les enjeux semblent être bien compris, les pas vers ce monde égalitaire sont encore lents. Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers la loi sur la parité. Il revient aux femmes de se former pour occuper pleinement et efficacement les places qui leur reviendront.
Isabelle Somian
Mobile:22544668893
Email:hiwabel@yahoo.fr
Encadré
Depuis le 8 novembre 2016, notre pays s’est doté d’une nouvelle Constitution. Laquelle stipule en son article 36 que « l’Etat œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues ».
Le ministère de la Femme, de la Protection de l’Enfant et de la Solidarité, dirigé par Pr Mariatou Koné, a décidé de s’appuyer sur cet article en le traduisant en acte. Son objectif est que la loi sur la représentativité des femmes soit adoptée. Un projet de loi est déjà élaboré dans ce sens. « Nous sommes certains que la loi va être votée parce que le Président de la République lui-même a donné l’exemple dans son parti politique. Une femme présidente du parti, une femme secrétaire générale du parti, sur trois secrétaires généraux, deux sont des femmes. Je crois qu’il a donné l’exemple. Je suis certaine que tout le monde va suivre et que nous aurons notre loi sur la parité dans les assemblées élues », a-t-elle rassuré dans un communiqué publié par son service de communication le vendredi 27 octobre 2017.
Pour les femmes de Côte d’Ivoire, on peut donc dire que les nouvelles et les perspectives sont bonnes. Et elles devront être prêtes quand viendra l’heure du partage équitable du pouvoir. Rappelons que l’Etat de Côte d’Ivoire dispose depuis quelques années d’un compendium des compétences féminines visant à renforcer la visibilité, la participation et le leadership des femmes dans la gestion des affaires publiques et privées.
Un cadre qui offre une bonne marge de manœuvre aux objectifs que se sont fixées les femmes de Côte d’Ivoire. Il est dirigé par Mme Euphrasie Yao Kouassi. Les formations politiques pourront toujours puiser dans ce vivier de compétences.
Avec connectionivoirienne.net