Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a jugé vendredi qu’il était “temps que l’Europe passe des paroles aux actes en matière de souveraineté économique”, pour se défendre face aux sanctions que les Etats-Unis veulent appliquer aux entreprises étrangères travaillant en Iran.
Avec “tous nos alliés européens, nous discutons collectivement avec les Etats-Unis pour obtenir (…) des règles différentes” concernant les entreprises européennes en Iran, mais “il faut que nous travaillions entre Européens à la défense de notre souveraineté économique”, a déclaré sur Europe 1, le ministre, qui doit recevoir dans la journée son homologue néerlandais.
“Fin mai, je réunirai le ministre des Finances britannique, le ministre des Finances allemand, et à trois nous allons regarder ce que nous pouvons faire (…) en réponse à ces décisions américaines sur l’extraterritorialité”, a-t-il indiqué.
Les Européens travaillent “sur trois propositions très concrètes”.
“La première réponse, c’est le règlement de 1996, un règlement européen qui permet de condamner les sanctions extraterritoriales”, a-t-il déclaré.
Créée pour contourner l’embargo sur Cuba, cette loi dite “de blocage” permet aux entreprises et tribunaux européens de ne pas se soumettre à des réglementations sur des sanctions prises par des pays tiers et stipule qu’aucun jugement décidé par des tribunaux étrangers sur la base de ces réglementations ne saurait s’appliquer dans l’UE. Elle n’a toutefois jamais eu à être appliquée.
“Nous souhaitons renforcer ce règlement et y inclure les dernières décisions prises par les Etats-Unis”, a souligné M. Le Maire.
“La deuxième piste de travail, c’est celle de l’indépendance financière européenne: comment fait-on pour doter l’Europe d’instruments financiers qui lui permettent d’être indépendante face aux Etats-Unis?”
Enfin, le ministre a évoqué l’existence d'”un bureau de contrôle des actifs étrangers qui permet au ministre des Finances américain de suivre les activités des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas les décisions américaines, de les condamner et les poursuivre”. “Pourquoi ne nous doterions-nous pas en Europe du même type de bureau européen capable de regarder les activités des entreprises étrangères et de vérifier qu’elles respectent les décisions européennes?”, a-t-il suggéré.
M. Le Maire a dit avoir appelé mercredi son homologue américain, le secrétaire au Trésor Steve Mnuchin, pour demander “soit des exemptions”, soit “des délais d’application plus longs” pour les entreprises françaises présentes en Iran, sans se faire “trop d’illusions sur la réponse américaine”.
Les intérêts économiques des Européens en Iran, pays par pays
Le rétablissement des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, annoncé par Donald Trump, pourrait avoir des conséquences économiques importantes pour les signataires européens de l’accord nucléaire de 2015. Tour d’horizon des principaux pays concernés.
Allemagne
L’Allemagne est le premier exportateur européen vers l’Iran. Elle a vu ses échanges avec la République islamique progresser depuis 2015, livrant pour 2,57 milliards d’euros de biens en 2016 (+22% sur un an), puis 2,97 milliards l’an dernier (+15,5% sur un an). Berlin y exporte surtout des machines, produits pharmaceutiques et produits alimentaires. Téhéran a de son côté vendu pour 314 millions d’euros de biens en 2016 et 410 millions l’an dernier.
Siemens, présent dans le pays depuis 1868, s’était relancé en Iran en mars 2016 en s’associant à l’iranien Mapna dans les turbines à gaz et les générateurs pour centrales électriques, puis avait signé en janvier dernier un contrat portant sur 12 compresseurs pour deux usines de traitement du gaz naturel. Daimler avait de son côté signé dès janvier 2016 des protocoles d’accord avec deux groupes iraniens pour produire et commercialiser des camions Mercedes-Benz.
Italie
Les exportations vers l’Iran ont crû en 2016 de près de 30% sur un an, dépassant 1,5 milliard d’euros. En 2017, elles ont de nouveau connu une hausse de 12,5%, à 1,7 milliard d’euros.
En janvier, l’Italie avait accordé une ligne de crédit de 5 milliards d’euros afin de soutenir les investissements italiens dans le pays.
Si le groupe Eni n’a pas, par prudence, signé d’accord avec Téhéran depuis la fin des sanctions, la société de chemins de fer Ferrovie dello stato italiane en a conclu un pour la construction de deux lignes ferroviaires à grande vitesse. Le groupe de construction navale Fincantieri a aussi signé plusieurs accords de coopération et développement.
L’AFP a également interrogé vendredi l’entrepreneur italien Alberto Presezzi, présent en Iran via une société de compresseurs et turbines, et qui se trouvait mercredi à Téhéran afin de “négocier un contrat important” lors d’un salon international.
Il a souligné que tout retard ou hésitation côté européen “donnerait un avantage aux autres acteurs, surtout aux Chinois, qui sont très agressifs dans le pays et qui se présentent avec des lignes de financement importantes”.
France
Selon une source diplomatique, les exportations tricolores sont passées de 562 millions d’euros en 2015 à 1,5 milliard en 2017, un niveau proche de celui constaté avant la mise en place des sanctions renforcées. Les importations ont elles explosé, atteignant 2,3 milliards d’euros – leur niveau le plus élevé depuis 2008 – contre 66 millions d’euros en 2015.
Depuis l’accord, Total s’est associé au groupe chinois CNPC pour investir 5 milliards de dollars dans l’exploitation du gisement South Pars. Mais pour l’heure, le groupe pétrolier n’y a pas dépensé plus de 100 millions de dollars, selon une source proche du dossier.
Le constructeur automobile PSA, qui jouit en Iran d’une part de marché de 30%, a évoqué l’an dernier un accord de distribution pour la marque DS en Iran et des discussions pour d’autres partenariats. Renault vend également ses voitures en Iran.
Royaume-Uni
Les exportations de biens du Royaume-Uni vers l’Iran ont atteint 167 millions de livres (191 millions d’euros) en 2016, un plus haut depuis 2011. Ce chiffre est toutefois bien loin de celui du début des années 2000 quant les exportations pesaient autour de 400 millions de livres. Les importations sont bien plus faibles, à 41 millions de livres en 2016.
Peu de grosses entreprises britanniques sont présentes en Iran: BP, dont les origines remontent pourtant à l’Anglo-Persian Oil Company au début du 20e siècle, n’y a ainsi aucune activité. De même pour Royal Dutch Shell, qui a toutefois signé fin 2016 des accords pour explorer la possibilité d’investissements en Iran dans des champs gaziers et pétroliers.
Selon Allie Rennison, une responsable de l’organisation patronale Institute of Directors, les entreprises britanniques ont en revanche de gros contrats en Iran dans les infrastructures, le solaire, l’ingénierie ou encore la santé.
Airbus
Le groupe européen Airbus, qui a des sites en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne, a pour sa part enregistré des commandes de compagnies aériennes iraniennes (Iran Air Tour, Zagros Airlines) pour 100 avions au total, dont des A320neo, valorisés à près de 10 milliards de dollars.