La réélection des plus prévisibles de Paul Biya, 85 ans, pour un septième mandat à la présidence du Cameroun, est passée comme une lettre à la poste — du moins sur la scène internationale. Quelques papiers et réactions à l’annonce des résultats le 22 octobre — 71,2 % des voix —, des félicitations de Paris et c’est reparti pour un tour, après de longues années de pourrissement dans ce pays. En 2010, un rapport de l’ONG International Crisis Group s’était inquiété d’une possible guerre, tant le problème de la succession — un cancer non traité — produisait déjà ses métastases. C’est du côté du Cameroun anglophone que le conflit a éclaté, dans une région lassée des négligences du pouvoir central à son égard puis révoltée par la répression à son encontre.
Non moins prévisible, le chaos se profile en République démocratique du Congo (RDC) avec la « machine à voter » — un morceau qui promet d’être mémorable. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni), après deux ans de report du scrutin présidentiel par « manque de moyens », a sorti l’engin de son chapeau, décidant d’en commander 107 000 à une société privée sud-coréenne — un contrat de 158 millions de dollars. Cet outil n’a pas été certifié. Les autorités de Séoul ont mis en garde contre les (in)conséquences de son (més)usage.
La machine est présentée comme une imprimante par la Ceni : l’électeur touche sur un écran tactile la photo de son candidat, qui s’imprime, et sert de bulletin de vote à glisser dans l’urne. À raison d’une machine par bureau de vote, la technologie annule le secret du vote et ne fonctionnera pas toujours, en raison des coupures d’électricité. Comme ailleurs en Afrique centrale, tout un peuple part aux élections alors que les résultats semblent joués d’avance. Joseph Kabila, en place depuisı 2001, a opté pour une solution à la Poutine-Medvedev. Il va pousser son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary, 58ı ans, ex-gouverneur de la province du Maniema. Que sait-on de cet homme ? C’est un ministre de l’intérieur qui a été sanctionné en mars 2017 par l’Union européenne pour avoir réprimé à tour de bras les manifestations réclamant la tenue du scrutin à la date prévue, fin 2016… Comme Paul Biya, il a toutes les chances de l’emporter, compte tenu de l’ampleur de la fraude qui se prépare.
La communauté internationale aux abonnés absents
À se demander à quoi sert de faire des élections dans la seule région d’Afrique où les chefs d’État peuvent encore l’être à vie. Quinze ambassadeurs représentant les membres du Conseil de sécurité ont fait le déplacement le 8 octobre à Kinshasa, pour s’assurer que le scrutin ait lieu à la date prévue et dans les bonnes conditions. Ils savent qu’il n’y a aucun suspense sur les résultats. Et qu’il y aura sans doute une crise.
Dans ce contexte, l’annonce faite en juin dernier de Pierre Nkurunziza, président du Burundi, de se retirer de la course en 2020, a paru des plus surréalistes. Personne n’y a cru une seconde. D’autant moins que le régime de Bujumbura avait organisé un mois plus tôt un référendum constitutionnel remporté à 73 % des suffrages, dans des circonstances là encore répressives et contestées par l’opposition. Le chef de l’État, qui devait se retirer en 2015 au bout de deux mandats, s’est présenté pour un troisième en faisant le forcing, sans même modifier la Constitution. Il a été le premier, dans une région des Grands lacs difficile à séparer de l’Afrique centrale, à envoyer le signal qu’il est possible de se maintenir au pouvoir, malgré le soulèvement populaire qui a balayé Blaise Compaoré en octobre 2014 au Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, pour cause de « tripatouillage » constitutionnel. Le régime burundais, responsable d’au moins 1 000 morts, 800 disparus, 6 000 prisonniers et 250 000 réfugiés depuis 2015, a maintenant toute latitude pour retailler la loi fondamentale et se maintenir jusqu’en 2034. Il n’a même pas jugé utile de se rendre aux dernières négociations inter-burundaises organisées fin octobre en Tanzanie, pays médiateur dans la crise.
« Dans le cas du Burundi, il paraît très clair qu’il n’y a pas de communauté internationale — ou alors elle se trouve aux abonnés absents… En fait, il n’y a pas de numéro que nous puissions appeler »,note l’opposant Alexis Sinduhije, ancien journaliste, fondateur de la Radio publique africaine (RPA) et du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), un parti qui mobilise la jeunesse sur son programme non ethnique.
Pétrole, coltan et « partenaires extérieurs amicaux »
Comment expliquer l’évolution politique du cœur de l’Afrique, sinon régressive, du moins stagnante ? En Afrique de l’Ouest, les alternances au pouvoir se multiplient. Même au Nigeria, malgré sa forte tradition de coups d’État et ses niveaux de corruption. Seul le Togo fait figure d’exception, toujours sous l’emprise du clan Eyadéma. Pour le politologue Gilles Yabi, Béninois basé à Dakar, « l’Afrique centrale n’a pas fait de transition démocratique effective dans les années 1990, contrairement à l’Afrique de l’Ouest. C’étaient des transitions parfaitement contrôlées par les régimes en place pour la plupart, ou avec des remises en cause violentes. Je ne parlerais donc pas de régression démocratique, dans la mesure où il n’y avait pas eu de réel progrès pour commencer ».
Dans une analyse où il tirait les leçons de la chute de Blaise Compaoré, suite à un soulèvement populaire (armée comprise) au Burkina Faso, Gilles Yabi pointait par ailleurs le facteur économique qui pèse de tout son poids dans des pays autrement plus riches que ceux du Sahel : « Les progrès ont été entravés dans les pays riches en ressources naturelles par la forte capacité des présidents sortants à acheter les soutiens politiques, chez eux comme parmi les partenaires extérieurs amicaux. En Guinée-Équatoriale, au Congo-Brazzaville, en Angola, au Gabon et au Cameroun, la tradition politique de la concentration des pouvoirs et des ressources entre les mains du président rend particulièrement facile pour les élites dirigeantes la prévention ou la répression de toute action collective significative, susceptible de menacer le statu quo. La manipulation de la diversité ethnique par les pouvoirs en place est un instrument supplémentaire qui complique la tâche de ceux qui essaient de créer de larges mouvements cohésifs en faveur de changements démocratiques ».
L’ethnie, un instrument puissant de division
Tel est le cas au Burundi, où le pouvoir ne cesse d’agiter le démon de l’ethnie, en jouant des rivalités entre Hutus et Tutsis. Lui-même Hutu, le président Pierre Nkurunziza a recours à un discours de haine qui évoque celui du Rwanda d’avant le génocide en 1994. Comme au Rwanda, elle dit kora (travail) pour parler de l’élimination des Tutsis, minorité traitée de mujeri (chiens enragés), comme elle l’était de « cafards » au Rwanda. Le régime de Bujumbura présente par ailleurs tous les Tutsis comme des alliés objectifs du Rwanda, s’efforçant de brouiller la lecture internationale de la crise — qui se résume à un peuple en lutte pour sa démocratie — en la reliant systématiquement à Paul Kagamé.
L’opposant Alexis Sinduhije, en exil, résiste à cette propagande qui n’a rien d’une fatalité : « Je ne vois pas de complot des Hutus contre les Tutsis au Burundi, dit-il, mais un pouvoir qui tue ses citoyens indistinctement, sans considérer leur ethnie. Il y a plus de Hutus tués par ce gouvernement que de Tutsis, d’ailleurs. Ils ont une même caractéristique, le fait d’être opposants. En vérité, nous savons bien que nous sommes tous pareils et que le réel problème est ailleurs. Il tient au fait que les pouvoirs au Burundi, quelle que soit leur ethnie, tendent à être dictatoriaux et militarisés. » Le phénomène est vrai de nombre de pays d’Afrique centrale, menés par d’anciens militaires.
Le rapport à la mort, qui « gouverne tout »
Paul Biya, président absentéiste, posera donc souriant pour la photo, comme à son habitude, au prochain sommet France-Afrique. Au-delà des considérations sur l’incohérence de la diplomatie française ou occidentale au sujet de l’évolution politique du continent, l’anthropologue gabonais Joseph Tonda livre une explication plus profonde. « Le vrai souverain en Afrique centrale, dit-il, c’est la mort. Paul Biya partira mort. Tout s’organise en fonction de cette mort qui a vu disparaître les héros de l’indépendance, Patrice Lumumba ou Ruben Um Nyobè… » Le cas de Mobutu Sese Seko, dont le nom lui-même signifiait « le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter », paraît le plus emblématique du mal qui ronge l’Afrique centrale.
« Mobutu, en créant le Zaïre, a aboli le temps sur le plan symbolique, poursuit Tonda. Un fleuve, une monnaie et un pays sont devenus Zaïre. Et les sujets des Zaïrois, dont Mobutu a transformé l’apparence avec une politique du vêtement, l’abacost. Il s’est posé comme le premier Dieu africain vivant et il a fait tache d’huile, en réveillant le fantasme du souverain vivant dans l’illusion de l’immortalité ».
Lorsque les chefs d’État s’arrogent le pouvoir de vie et de mort sur leurs concitoyens et conçoivent leurs pays comme des territoires privés, ils perpétuent selon Tonda un schéma à la fois pré-colonial et colonial. « On retrouve la puissance des anciens royaumes du Congo où les rois avaient intérêt à ce que leurs sujets vivent, ces derniers voyant dans leur chef un souffle, une énergie vitale. Ce qui renvoie à la servitude volontaire des peuples d’Afrique centrale dans le culte du chef. On perçoit aussi dans le fonctionnement des chefs d’État de la sous-région toute la force du rapport colonial avec le territoire, qui a été la propriété d’intérêts particuliers. On peut parler, dans l’appropriation des pays par leurs présidents comme des “terrains de jeu”, d’un processus d’auto-colonisation ». Les pays dirigés par les immortels de la trempe de Mobutu sont-ils susceptibles de retomber dans les gouffres déjà connus par l’ex-Zaïre ? La question reste posée.
Avec mondediplomatique