Le décès soudain de Cheick Tioté à l’âge de 30 ans, lundi, victime d’un arrêt cardiaque lors d’un entraînement avec son club chinois de Beijing Enterprises Group FC (Ligue 2), a bouleversé le monde du football, et pas seulement en Côte d’Ivoire. Jeune Afrique a pu recueillir plusieurs témoignages de ceux qui ont côtoyé l’ancien défenseur international (55 sélections), passé par Anderlecht, Roda et surtout Newcastle United.
Vahid Halilhodzic a rappelé moins de deux heures après le message laissé sur son portable, alors que le Bosniaque prépare les qualifications pour la Coupe du monde 2018 avec le Japon. L’ex-sélectionneur des Éléphants (2008-2010) est abattu par l’annonce du décès de Tioté, à qui il avait donné sa chance en équipe nationale pour la première fois en 2009. « Je suis bouleversé. C’était un garçon attachant, modeste, vraiment adorable. Le monde est cruel. Cheikh était discret, il ne parlait pas beaucoup, mais sur le terrain, c’était un vrai guerrier. Je pense à sa femme, à ses enfants, à toute sa famille et à ses proches. Il est parti à 30 ans, ce n’est pas un âge pour mourir ».
Le sélectionneur du Japon avait appelé pour la première fois Tioté en sélection en mars 2009 sans le faire jouer. Le natif de Yamoussoukro attendra le mois d’août suivant et un match amical face à la Tunisie à Sousse (0-0). « Il jouait au Pays-Bas, à Twente, quand je l’avais repéré. Je me souviens de quelques séances d’entraînement où il donnait tout, comme en match. Un jour, Yaya Touré était même venu me dire, après quelques duels acharnés : ‘coach, il faut le calmer un peu’. Cheick était très professionnel, rigoureux, très à l’écoute. »
Georges Kouadio, qui avait brièvement succédé à Halilhodzic en 2010, conserve également une excellente image de Tioté. « C’était un homme humble, honnête. Il faisait son métier avec beaucoup de sérieux. Ce n’est pas celui qu’on entendait le plus. Il était réservé. C’était un bon défenseur, et la Côte d’Ivoire perd beaucoup. »
« Un joueur qui donnait tout sur le terrain »
Cheick Tioté avait vraiment débuté le football au CFBibo, un centre de formation situé à Treichville, un quartier très populaire d’Abidjan. Mamadou Bibo, qui a créé cette académie, se souvient parfaitement de lui. « Il allait à l’école à Treichville. C’est un de ses amis qui m’avait parlé de lui. J’étais allé le voir jouer, et au début, je doutais un peu. Finalement, il m’a convaincu et il est venu au centre de formation. En 2005, les Belges d’Anderlecht ne l’avaient pas tout de suite fait signer. Mais ils étaient revenus pour l’observer, et la seconde fois, ils n’avaient pas hésité. Tioté était un joueur qui donnait tout sur le terrain. Perdre était une épreuve, même un match amical, même un match de quartier. »
Le joueur avait perdu très jeune son père, officier dans l’armée ivoirienne. « Il venait d’une famille très modeste. Plus tard, il a perdu sa mère. Je l’ai traité comme mon fils et plus tard, il a assumé son rôle auprès de ses nombreux frères et sœurs », poursuit le formateur. « Je lui avais laissé un message lundi. Il ne m’avait pas répondu tout de suite, mais je n’étais pas inquiet. Et j’ai appris la terrible nouvelle un peu plus tard. »
L’ancien défenseur des Éléphants est aussi devenu champion d’Afrique en 2015, sous les ordres de Hervé Renard
L’ancien défenseur des Éléphants est aussi devenu champion d’Afrique en 2015, sous les ordres du Français Hervé Renard. « C’est avec une immense tristesse que nous avons appris son décès. Je dis nous, car mon staff et moi sommes en regroupement avec le Maroc. Et nous sommes cinq à l’avoir connu sous les couleurs de la Côte d’Ivoire », explique le sélectionneur des Lions de l’Atlas, qui avait plusieurs fois confié avoir apprécié de travailler avec un défenseur « bon techniquement, rigoureux, et qui était un homme très agréable. »
Fousseny Coulibaly, qui a croisé plusieurs fois Tioté chez les Éléphants, avait fait de lui un exemple. « Il avait trois ans de plus que moi, c’était un grand frère. Il me donnait des conseils. Sa parole était rare, et quand il disait quelque chose, je l’écoutais. Il m’impressionnait par son professionnalisme. Il bossait beaucoup et ne supportait pas la défaite », intervient le défenseur de l’Espérance Tunis. De son côté, Emmanuel Eboué (79 sélections) n’arrive toujours pas à croire au décès de son ancien coéquipier. « Je savais qu’il avait eu un problème au genou. Mais le cœur… Je suis abattu, car c’était quelqu’un de bien, qui était respectueux de son métier, de ceux avec qui il travaillait », explique l’ancien joueur d’Arsenal et de Galatasaray. « Cheick, il était timide en dehors du terrain. Je me rappelle d’un match Arsenal-Newcastle. On menait 4-0 à la mi-temps et ils reviennent à 4-4. C’est lui qui avait égalisé. Il était fou de joie. Son seul but avec Newcastle… Il nous arrivait de nous voir à Londres. Et je sais que je ne le reverrai plus… »
Sékou Cissé : « J’ai perdu mon ami »
Et puis, il a son ami d’enfance, Sékou Cissé (GFC Ajaccio), lui aussi formé au CF Bibo, et qui avait parlé à Tioté il y a une dizaine de jours. « Je venais d’arriver à Abidjan pour les vacances. Il m’avait appelé pour me demander si le voyage s’était bien passé… Cheick, je le connaissais depuis qu’on avait 7 ou 8 ans. J’étais le premier à avoir quitté le centre pour l’Europe. J’avais signé à Roda, aux Pays-Bas. Cheick était arrivé un an plus tard à Anderlecht. Mais lors des deux premières années en Belgique, son temps de jeu était réduit. J’avais parlé de lui à mes dirigeants à Roda et il était venu en prêt une saison (2007-2008). »
Les deux hommes, devenus internationaux à un an d’intervalle (en 2008 pour Cissé, en 2009 pour Tioté), avaient toujours conservé une vraie proximité. « Il était aussi discret dans la vie que battant sur le terrain. Sur la pelouse, c’était un dur. Cheick était aussi un musulman pratiquant. Nous avions le projet d’aller à La Mecque d’ici un an. » À Abidjan, Sékou Cissé va désormais passer beaucoup de temps avec la femme de Tioté, qui doit donner naissance au quatrième enfant du couple dans quelques jours. « Elle va avoir besoin de notre soutien. C’est vraiment une terrible nouvelle. Je suis bouleversé. J’ai perdu mon ami. » Les obsèques de Cheick Tioté auront lieu prochainement, probablement à Yamoussoukro, sa ville natale.
Avec Jeuneafrique