La mort le 15 décembre de l’influent professeur kényan Calestous Juma, spécialiste des questions progrès technologiques et de développement en Afrique, a suscité de nombreuses réactions à travers le monde, notamment de chefs d’États africains.
« Une autorité internationalement reconnue sur la question de l’utilité de la science et de l’innovation pour le développement durable de pays développés et en développement ». Voilà comment l’université de Harvard résume le personnage de Calestous Juma, professeur du prestigieux établissement, décédé vendredi 15 décembre des suites d’un cancer. Il avait 64 ans.
Collaborateur régulier de publications de renom comme le New-York Times ou le Guardian, auteur prolifique, le chercheur kényan défendait dans ses écrits l’intérêt de l’entrepreneuriat et de l’innovation technologique pour transformer les sociétés africaines, notamment dans le domaine de l’environnement et de l’agriculture.
Genèse d’un engagement
Lorsque Calestuous Juma parlait des origines de son attachement à ces questions de progrès, il utilisait une anecdote bien précise. À 9 ans, son village de Port-Victoria, niché sur les bords du Lac Victoria à la frontière ougandaise, subit des inondations. La plupart des cultures de cet endroit reculé de l’ouest kényan sont détruites et, très rapidement, les rations viennent à manquer.
Les villageois réfléchissent alors à un moyen de replanter les pertes sur un espace plus restreint, mais John Juma, le père de Calestous, charpentier de profession, traverse la frontière ougandaise et revient avec des coupes de maniocs.
Tubercule riche en glucides et résistante aux inondations, le manioc est, à l’époque, assez peu populaire dans cette partie du Kenya. John Juma doit donc s’employer à convaincre de l’utilité de l’introduction de cette plante pour remplacer les cultures détruites, plusieurs villageois craignant qu’elle n’attire les cochons sauvages déplacés par les inondations et que ceux-ci viennent à nouveau détruire les récoltes.
John Juma a finalement obtenu gain de cause. La manioc est aujourd’hui un des aliments de base de la région. Cet épisode laissera le futur chercheur avec la certitude que l’opposition à une innovation ne doit pas nécessairement être un frein au progrès.
Débat sur les OGM
Défenseur de la biotechnologie, moyen selon lui de transformer le potentiel agricole africain en force de développement économique, Calestous Juma s’est aussi attirer les foudres des activistes anti-OGM (organisme génétiquement modifié).
« Les sceptiques de la biotechnologie ont droit de mettre en doute son rôle dans la sécurité alimentaire mondiale. Mais ils ont tort d’ignorer la preuve (voir l’évidence) croissante des contributions potentielles la biotechnologie et les nouveaux défis comme le changement climatique qui exigent des nouvelles réponses technologiques », écrivait-il dans une tribune publiée dans le Guardian en 2014.
De Kenyatta à la fondation Bill and Mélinda Gates
Membre du comité de direction d’organisations prestigieuses comme la Fondation Agha Khan, Calestuous Juma a également coprésidé le Groupe de haut niveau de l’Union africaine sur la science, la technologie et l’innovation.
Il a également fondé le African Centre for Technology Studies, ONG basée à Nairobi et spécialisée dans la recherche technologique et le développement durable.
L’annonce de sa mort a déclenché une vague de réactions d’hommes politiques, d’entrepreneurs ou d’anciens élèves sur les réseaux sociaux. Le président kényan Uhuru Kenyatta ainsi que son rival Raila Odinga ont salué un des « plus éminents savants » kényan. Le président rwandais Paul Kagame a de son côté regretté la perte « d’un de nos esprits les plus brillants dédié à l’innovation, l’éducation et la prospérité de l’Afrique ».
La fondation Bill et Mélinda Gates, qui a financé plusieurs projets du professeur kényan, a remercié « un inépuisable champion du développement économique et social en Afrique ».