Dr Nasser Keïta est un éminent économiste en service à la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG). Cette semaine, il s’est intéressé au financement des infrastructures énergétiques en Afrique.
INTRODUCTION-
L’une des entraves les plus fondamentales à l’innovation est l’énorme déficit en infrastructures. Trente pays africains sont confrontés à des coupures chroniques d’électricité́. Les coûts de transport élevés augmentent de 75 % le prix des biens. Les mauvais systèmes d’eau et d’assainissement coûtent environ 5 % du PIB. Si la pénétration d’Internet augmente rapidement sur le continent, elle est encore très en retard par rapport à d’autres pays en développement. Ces conditions réunies font obstacle à l’adoption de nouvelles technologies et de nouvelles méthodes de production.
Au Ghana, 25 années d’investissement ont porté le taux d’électrification à plus de 70%. Cependant, le déficit en infrastructures est précisément l’un des facteurs qui doit obliger à innover. L’Afrique ne peut se permettre d’attendre vingt ans que ce déficit se comble lentement; elle doit trouver des moyens novateurs de pallier les lacunes et de contourner les obstacles.
L’approvisionnement en électricité́ est une condition préalable évidente à l’adoption de nombreuses technologies nouvelles.
Le taux d’électrification se situe à 42,5% pour l’ensemble de l’Afrique, ce qui signifie que 620 millions de personnes et 10 millions de petites et moyennes entreprises (PME) n’ont pas accès à l’énergie. Ce taux descend à 24 % seulement dans les pays à faibles revenus, contre 77 % dans l’ensemble du monde en développement. Le rythme de l’électrification ne suit pas celui de la croissance démographique.
En Afrique subsaharienne, 145 millions de personnes supplémentaires ont été raccordées au réseau depuis 2000, mais pendant ce temps, le nombre de personnes privées d’électricité́ augmentait de 100 millions.
Cette fracture entre les villes, où l’électrification se situe à 65% en moyenne, et les campagnes, où elle n’est que de 28%, est un puissant facteur d’inégalité́. Et même ceux qui ont accès à l’électricité́ sont confrontés à des coupures fréquentes et à des tarifs trois fois supérieurs en moyenne à ceux de l’Europe ou de l’Amérique du Nord.
Les déperditions sur des réseaux mal entretenus sont deux fois plus importantes que la moyenne mondiale. Cette situation oblige les entreprises à dépendre de groupes électrogènes d’appoint qui fonctionnent au diesel ou à l’essence, pour un coût total en carburant estimé à 5 milliards de dollars en 2012. La pénurie d’électricité́ constitue un obstacle majeur pour les entreprises qui souhaitent investir dans l’achat d’équipements nouveaux.
Toutefois, certains pays montrent, par des exemples de réussites remarquables, ce qu’il est possible de réaliser grâce à un engagement soutenu. Au Ghana, 25 années d’investissement ont porté le taux d’électrification à plus de 70%.
Environ 700 millions d’Africains vivent sans équipements de cuisine non polluants. L’utilisation de la biomasse — qui reste la source d’énergie dominante en Afrique — pose des problèmes à la fois sanitaires et environnementaux. La recherche de combustible, qui incombe surtout aux femmes et aux enfants, prend un temps considérable.
La principale source d’éclairage dans les foyers africains est le pétrole lampant (paraffine), qui coûte 100 dollars aux ménages pauvres pour l’équivalent d’un kilowattheure — soit plus de cent fois le coût de l’éclairage dans les pays riches. On estime que la pollution dégagée par les lampes et les cuisinières rudimentaires provoque 600 000 décès par an en Afrique.
Cependant, les énergies propres commencent déjà̀ à faire la différence. Le recours aux solutions hors réseau ou aux mini-réseaux se développe rapidement. Grâce à des centrales solaires ou à des mini-centrales hydroélectriques, l’Afrique du Sud alimente en électricité́ des régions reculées ; en 2014, ce sont ainsi 700 écoles, 600 établissements de santé et 800 autres bâtiments publics qui ont été alimentés. L’énergie solaire demeure certes relativement couteuse, mais pouvoir échanger une lampe à pétrole inefficace contre un éclairage solaire (capable en outre de recharger un téléphone mobile) est une solution de plus en plus attrayante.
Les derniers chiffres montrent que 5 % environ des Africains non raccordés au réseau utilisent aujourd’hui l’éclairage solaire. L’Afrique bénéficiant de 320 jours ensoleilles par an, le potentiel du soleil, ainsi que celui d’autres sources d’énergie renouvelable, se développera de façon exponentielle avec l’amélioration des technologies et la réduction des coûts.
A fin d’être crédible, tout projet visant à renforcer l’infrastructure en Afrique, doit reposer sur une évaluation approfondie de la manière dont les ressources budgétaires sont allouées et financées. Comme, dans chaque scénario plausible, le secteur public détient la part du lion pour le financement de l’infrastructure et que la participation du secteur privé reste limitée, l’un des principaux objectifs d’une telle évaluation est d’identifier où et comment optimiser (sinon augmenter) les ressources financières, sans compromettre la stabilité́ macroéconomique et budgétaire. Les enjeux sont importants car l’ampleur des besoins en infrastructure de l’Afrique se prête dans les mêmes proportions à une mauvaise utilisation des rares ressources.
La plupart des gouvernements d’Afrique subsaharienne dépensent chaque année prés de 6 à 12 pour cent de leur Produit Intérieur Brut (PIB) pour l’infrastructure et en particulier aux TIC, à l’énergie, aux routes, à l’eau et à l’assainissement.
Prés de la moitié d’entre eux dépensent plus de 8 pour cent du PIB alors que seul un quart des pays dépense moins de 5 pour cent, niveau généralement observé chez les pays membres de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique. Le Cap Vert, l’Ethiopie et la Namibie dépensent bien plus de 10 pour cent de leur PIB pour l’infrastructure. Dans les quelques pays à revenu moyen de la région pour lesquels on dispose d’informations comparatives, le niveau des dépenses publiques se situe entre 6 et 8 pour cent du PIB.
Exprimés en parts de PIB, ces efforts financiers semblent plus importants que lorsqu’ils s’expriment en dollars EU. La plupart des pays de la région dépensent moins de 600 millions de dollars EU par an pour les services d’infrastructure (soit moins de 50 dollars EU par personne). Pour les pays enclavés dont les besoins en infrastructure ont tendance à être particulièrement élevés, le total annuel est inferieur à 30 dollars par habitant. Ces dépenses annuelles palissent par rapport aux montants nécessaires.
Le budget des investissements qui s’éleve à 100 millions de dollars EU ne couvre qu’environ 100 MW d’électricité́, 100 000 nouveaux raccordements des ménages aux réseaux d’eau et d’égouts ou 300 kilomètres de route à deux voies avec revêtement.
En matière d’électricité́, l’Afrique est le continent des paradoxes : elle est à la fois un géant énergétique par les ressources dont elle dispose, et un nain électrique par les capacités réelles sur lesquelles elle peut s’appuyer aujourd’hui.
En effet, avec 10 % des réserves hydrauliques mondiales économiquement exploitables, avec prés de 10 % des réserves mondiales prouvées de pétrole, 8 % des réserves mondiales de gaz, et 6 % des réserves mondiales de charbon, ce continent offre un gisement considérable de potentiels et de ressources énergétiques. Sans oublier le formidable potentiel solaire, ni les gisements géothermiques de l’est du continent, ou encore les gisements éoliens sur les zones littorales ni, bien sûr, la biomasse — 60 % des terres arables encore non cultivées dans le monde se situant en Afrique subsaharienne.
Autrement dit, la ressource est disponible et diversifiée, tant dans sa répartition géographique que dans sa nature, tandis que les ressources en énergies renouvelables offrent de réelles perspectives pour un développement électrique faiblement carboné.
État actuel des capacités de production et de l’offre quant aux capacités de production, qui ont vocation à alimenter ces réseaux, quelques chiffres résument à eux seuls le retard à rattraper. La capacité́ installée de toute l’Afrique est de 114 GW pour un milliard d’habitants, et équivaut donc approximativement à celle de l’Allemagne qui compte 82 millions d’habitants.
Si l’on considère uniquement l’Afrique subsaharienne, sa capacité́ installée n’est plus que de 74 GW pour 860 millions d’habitants, soit à peu prés celle de l’Espagne avec ses 45 millions d’habitants.
Quant à la capacité́ de l’Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud, elle n’est que de 34 GW pour 810 millions d’habitants, soit l’équivalent de celle de la Pologne avec ses 38 millions d’habitants.
Plus grave, environ un quart de ces capacités de production est hors d’état de fonctionnement.
De plus, la part des capacités de production ayant plus de 40 ans augmentera de 70 % au cours des six prochaines années; l’âge moyen des infrastructures de transport en Afrique australe est actuellement de 44 ans, et certaines ont déjà̀ plus de 60 ans, ce qui explique en partie les déboires et pannes répétitifs et laisse augurer de difficultés probablement croissantes au cours des prochaines années.
Autre constat à faire est que ces capacités se concentrent sur quelques pays : l’Afrique du Sud et l’Egypte représentent à elles deux les deux tiers de la puissance installée de tout le continent (respectivement 43 et 22 % en 2008). Autrement dit, 33 pays sur 48 doivent se contenter de moins de 500 MW de puissance installée l’équivalent d’une centrale charbon de taille moyenne, — et 11 d’entre eux n’atteignent même pas 100 MW chacun.
Face à une croissance annuelle de son PIB qui s’est maintenue, en moyenne, à 5 % par an depuis le début des années 2000, l’Afrique a vu la croissance annuelle de sa capacité́ de production électrique stagner à environ 3 % depuis plusieurs années (soit la moitié de celle des autres régions en développement); or celle-ci devrait croître en moyenne de 10 % pour répondre à la demande.
On ne s’étonnera donc pas que plus de 30 pays africains aient subi de graves crises d’énergie ces dernières années, et que les temps de coupures de courant signalés par les entreprises manufacturières équivalent à 56 jours par an. Ces déficiences coûtent 6 % en moyenne des recettes des entreprises du secteur structuré et jusqu’à 16 % de perte de revenus dans le secteur informel non doté d’équipements de secours la Banque mondiale évalue le poids économique de ces coupures à un à deux points de croissance par an.
Pour remédier au moins partiellement à de telles pénuries, nombreux sont les acteurs qui louent des capacités de secours, dès qu’ils en ont les moyens économiques (entreprises, industriels) ou l’obligation (sécurisation de leur mission de service public ou de leur activité économique). La Banque mondiale évalue ces capacités de secours à 4 000 MW. Très onéreux, ces moyens, qui sont en majorité́ constitues de groupes électrogènes fonctionnant au diesel, représentent un coût pour le PIB des pays variant de 0,5 % (Gabon) à 4,3 % (Sierra Leone).
Demande, consommation et marchés côté demande, on note le même déséquilibre dans la répartition des marchés et de la consommation. S’agissant des infrastructures et des marchés de l’électricité́, on peut distinguer trois grandes zones:
• l’Afrique du Nord, interconnectée avec l’Europe et les pays du pourtour méditerranéen;
• l’Afrique australe, poumon électrique du continent grâce à l’Afrique du Sud, qui consomme à elle Seule la moitié de l’électricité́ qui y est produite ;
• l’entre-deux, largement déficitaire malgré́ des disparités.
Cette répartition revient à souligner un autre décalage: les principales réserves énergétiques (hydrauliques et pétrolière notamment), largement présentes en Afrique centrale, sont loin des grands centres de consommation (Afrique australe et de l’Ouest, respectivement premier et deuxième pool économique du continent), accentuant le déséquilibre de la répartition entre centres de production et marchés.
Quoi qu’il en soit, ces marchés restent peu développés, comme en témoigne le taux moyen d’électrification global de la population de toute l’Afrique: à peine 40 %, tout en affichant une tendance à la baisse depuis 2001 sous l’effet de la croissance démographique. Mais ce taux varie significativement selon les régions et confirme les disparités géographiques relevées entre les trois grandes zones : supérieur à 90 % dans le Nord, équivalent à 27 % dans le Sud, il ne dépasse pas 18 % en Afrique centrale. Autre constat préoccu- pant, le taux d’électrification rurale du continent est d’à peine 23 % (et de 12 % en Afrique subsaharienne), voire inferieur à 5 % dans au moins 17 pays.
Cette faible densité́ de raccordement se double d’une très faible consommation: un peu plus de 500 TWh en 2008, dont les deux tiers pour l’Afrique subsaharienne. La très faible consommation annuelle d’électricité́ par Africain (490 kWh en moyenne) chute à 305 kWh si l’on exclut l’Afrique du Sud, et à 145 kWh en Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud, c’est-à-dire dans une quarantaine de pays. À titre de comparaison, chaque habitant consomme annuellement 1 900 kWh en Chine, 7 300 kWh en France et 12 200 kWh aux Etats-Unis.
Autre paradoxe: malgré́ ces faibles consommations, les marges de progrès en matière d’efficacité́ énergétique sont importantes. Ainsi, la Banque mondiale évalue à 17 milliards de dollars les économies qui pourraient être réalisées, notamment par une meilleure maintenance des infrastructures ou encore en améliorant l’efficacité́ énergétique des bâtiments et de certaines industries.
Maigre compensation dans cette suite de chiffres, le continent ne représente que 3 % à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, pour 15 % de la population mondiale. Autrement dit, ses émissions sont inferieures à celles du seul Japon et se concentrent logiquement sur l’Afrique du Sud.
Coûts et tarifs autre paradoxe, et non des moindres pour un continent richement doté en matières premières énergétiques: à 0,18 USD/kWh, le coût de production moyen de l’électricité́ reste élevé par rapport aux normes internationales. Il est prés de deux fois supérieur à celui d’autres régions en développement.
L’une des explications tient à la part prépondérante du thermique pétrolier (46 % contre 6 % dans le monde), alors que de nombreux pays africains sont importateurs nets d’hydrocarbures (c’est particulièrement le cas de l’Afrique de l’Ouest). En outre, les capacités hydrauliques sont relativement sous-exploitées.
Enfin, n’oublions pas le coût de revient des groupes électrogènes (diesel) de substitution (0,35 à 0,40 USD/kWh) déjà̀ mentionné et bien sûr, une mauvaise efficacité́ opérationnelle.
On ne s’étonnera donc pas que les prix les plus bas, y compris au niveau mondial, se trouvent dans des pays comme la Zambie ou le Nigeria (environ 0,02 USD/kWh) grâce aux ressources dont ils disposent (respectivement hydrauliques et pétrolière), tandis que les prix les plus élevés (jusqu’à 0,50 USD/kWh) pénalisent des pays isolés du continent (îles), enclavés ou sans ressources propres – bref, fortement importateurs2 (par exemple Madagascar, l’Ouganda, le Niger ou le Kenya).
En conclusion de ce tableau général, on retiendra que la déficience du secteur électrique pèse à hauteur de 30 à 60 % sur la productivité africaine, soit plus que la bureaucratie et la corruption. Autrement dit, le secteur électrique africain «coûte» en moyenne 2,5 % au PIB (plusieurs pays dépassant les 4 %), un chiffre qui est loin d’être anodin quand on sait qu’avec 5 % de croissance de PIB par an le continent ne peut pas remplir les objectifs du Millénaire pour le développement (ODM), qui exigeraient une croissance annuelle de PIB de 7,5 à 8 % pendant 10 ans.
Or les trop faibles investissements actuellement consentis et réalisés dans le secteur creusent le déficit.
Pourquoi un tel décalage ? Quelques explications
Les explications à ces nombreux paradoxes sont bien entendu multiples et varient partiellement selon les pays. Au-delà̀ des aléas plus ou moins récurrents comme la sécheresse (qui affecte les capacités de production hydraulique, comme ce fut le cas ces dernières années au Kenya), les guerres et conflits, la flambée du prix du pétrole et du gaz (qui pénalise lourdement les pays importateurs, comme en 2008), on peut dégager au moins trois grandes familles de causes, qui se retrouvent à des degrés divers selon les économies et les pays, mais dont l’incidence est assez large.
Des marchés trop étroits, portés par des économies trop fragiles au-delà̀ des raisons historiques, une explication essentielle de l’absence d’investissements qui explique les retards actuels tient à la taille insuffisante des marchés et à la faiblesse des économies de la plupart des pays.
En effet, cette faiblesse économique a, pendant de nombreuses années et encore à ce jour, empêché l’Afrique subsaharienne de dédier au financement de ses infrastructures les investissements nécessaires. Or, les infrastructures électriques sont particulièrement exigeantes en capitaux. En effet, l’«unité́ de compte » pour un parc de production associé aux réseaux adéquats s’évalue couramment en centaines de millions d’euros, sur des durées allant jusqu’à une dizaine d’années, voire davantage.
Cette charge est d’autant plus insupportable que la plupart des marchés sont trop étroits et leur capacité́ de consommation trop modeste pour faire espérer des retours sur investissement rapides et attractifs. Alors que les ménages représentent une large majorité́ (parfois jusqu’à 95 %) de la clientèle des compagnies d’électricité́, auxquelles elles assurent 50 % de leurs recettes, et sachant que leur pouvoir d’achat et leur consommation restent très modestes (voir les chiffres cités précédemment), cette base de clientèle ne constitue pas un socle suffisant de développement pour des compagnies qui ont ainsi du mal à constituer des réserves financières indispensables à leurs investissements.
Cette structure de clientèle trop modeste n’est en outre pas compensée par des échanges transfrontaliers, faute d’infrastructures de transport suffisamment développées, même si de nouvelles interconnexions se mettent petit à petit en place, et faute de marchés régionaux dûment constitués. On constate que, même si des pools électriques régionaux ont été instaures, ils sont encore loin d’être tous opérationnels.
Des défaillances politiques et économiques si la faiblesse économique des Etats ne leur permet le plus souvent pas d’assurer eux-mêmes les investissements nécessaires ni de couvrir les risques liés à des investissements élevés, force est de reconnaitre que l’insuffisance de l’environnement institutionnel, législatif et réglementaire dissuade bon nombre d’investisseurs privés de pallier le manque de capacité́ financière des État.
Pourtant, dans les années 1990, suite aux propositions issues du consensus de Washington qui conditionnaient leur aide à la libéralisation des marchés des pays demandeurs, bon nombre de pays ont commencé à ouvrir leur secteur électrique aux financements privés. Le bilan, quelques années plus tard, est décevant : hors IPP3, prés d’un tiers des contrats conclus sous forme de concession, de contrats d’affermage ou de management par des operateurs privés pour exploiter ou redresser le système électrique subsaharien se sont soldes par un échec (contrats en difficulté́, interrompus ou annulés) (Banque mondiale, 2008).
Les raisons le plus souvent invoquées pour expliquer ces échecs sont: le manque de viabilité́ financière de ces projets, faute de solvabilité́ des compagnies (elles pratiquent des tarifs trop bas que l’État ne peut pas compenser); la mauvaise gouvernance des compagnies qui se trouvent pénalisées par des résultats insuffisants (70 % des compagnies africaines d’électricité́ déclarent 20 % de perte de système, la plupart d’entre elles ne dépassent pas 90 % de recouvrement des recettes4). En outre, depuis 2008, la crise et la difficulté́ d’accès aux crédits et financements n’ont certes pas aidé au retour des investisseurs.
Mais au-delà̀ des raisons conjoncturelles, des motifs structurels plus profonds empêchent la mobilisation en faveur de nouvelles réalisations. L’absence de cadre réglementaire et institutionnel, l’absence d’un régulateur compétent, expérimenté́ et independant, l’absence de processus d’appels d’offres rigoureux et transparents, d’acheteurs financièrement viables et de contrats d’achat d’électricité́ solides sont autant de handicaps persistants qui dissuadent ou freinent encore bon nombre d’acteurs investisseurs potentiels dans les infrastructures ou dans le marché électriques subsahariens. Ces obstacles sont tout à la fois de nature politique, institutionnelle et administrative ; commerciale et économique ; et, enfin, technique.
De plus, l’ensemble des acteurs du secteur électrique subit directement les conséquences du manque de planification globale dans un secteur industriel où il est particulièrement nécessaire de définir une politique sur le long terme.
Toute l’économie électrique s’en ressent, qu’il s’agisse:
• des équipements vieillissants, mal entretenus, inefficients, coûteux;
• de sous-investissements chroniques;
• de l’inadéquation entre prix et tarifs qui profitent aux consommateurs les plus gros (industriels) et les plus riches (urbains);
• des pertes non techniques (fraudes et branchements illégaux);
• des déficits en formation professionnelle;
• de l’absence de normalisation, standardisation, coordination.
On voit toute la lourdeur et la complexité́ de l’équation à résoudre. La Banque mondiale évalue à 40 mil liards d’euros par an pendant 10 ans le montant des investissements à mobiliser pour rattraper le retard et accompagner la croissance de la demande — or seuls 11 milliards sont investis actuellement.
Pour rendre plus tangible cette difficulté́ à mobiliser les investisseurs, on reprendra ici un chiffre cité par l’UEMOA : entre 1990 et 2006, la zone UEMOA n’a attiré que 0,4 % des investissements privés du secteur électrique dans le monde6 soit 989 millions de dollars. Encore faut-il préciser que ces investissements se sont concentrés sur une courte période de 1999 à 2000 et sur la seule Côte d’Ivoire.
Comment instaurer un essor durable du secteur électrique africain ?
Les applications des technologies de l’information et de la communication (TIC) touchent de plus en plus à tous les domaines. Des experts kényans élaborent un système pour détecter la violence liée aux élections et cartographier ainsi les incidents en temps réel.
Au Nigeria, le site Web yourbudgIT.com explique au public les complexités du budget fédéral du pays. Au Ghana, Slice Biz est une plate-forme de micro-investissement en crowdsourcing, qui fournit des fonds de démarrage pour des start-up et des entreprises sociales. Le téléphone mobile est utilisé dans divers pays pour suivre les épidémies et les déplacements de population à la suite des sécheresses. Avec l’émergence de nouvelles plateformes panafricaines de médias sociaux qui font concurrence aux géants mondiaux comme Twitter et Facebook, les applications potentielles des innovations à base de TIC vont se multiplier de façon exponentielle.
L’approvisionnement électrique est un obstacle majeur au développement des nouvelles technologies en Afrique, mais l’innovation peut aider à contourner le problème. Les solutions simples, hors réseau, se répandent rapidement, c’est le cas par exemple des chargeurs solaires pour téléphones mobiles.
L’avenir de l’agriculture africaine est fortement tributaire de l’innovation. À des décennies d’une productivité agricole stagnante vient s’ajouter aujourd’hui la menace du changement climatique.
Il importe donc d’innover dans les biotechnologies et les méthodes agricoles pour faire face aux maladies, aux nuisibles et aux sécheresses, et pour améliorer le contenu nutritionnel des aliments de base. L’adaptation au changement climatique est un processus nécessitant beaucoup de connaissances, car l’innovation doit s’appuyer sur une bonne compréhension des mutations complexes auxquelles nous assistons. Cela nécessite aussi de nouvelles formes de collaboration à de multiples niveaux — gouvernements, universités, entreprises, société́ civile et communautés agricoles —, et ce sur l’ensemble de l’Afrique.
L’Afrique est-elle suffisamment armée pour promouvoir l’innovation ? La plupart des pays africains ont un ministère des sciences et de la technologie qui soutient le renforcement des capacités et l’acquisition de compétences dans les administrations publiques et les entreprises, et propose des incitations à la recherche-développement (R-D). Certains pays, toujours plus nombreux, disposent aussi de pôles technologiques qui font office de catalyseurs de l’innovation et de 17 l’entreprenariat.
En 2005, le Conseil ministériel africain sur la science et la technologie est convenu d’un Plan d’action consolidé qui prévoit notamment de promouvoir de nouvelles dispositions politiques et institutionnelles, de renforcer les moyens de R-D et d’investir dans l’éducation de scientifiques, de techniciens et d’ingénieurs. L’Union africaine a fixé comme objectif de consacrer 1 % du PIB à la R-D, mais la plupart des pays en sont encore loin.
Le besoin d’innovation est donc bien compris, mais, pour pouvoir exploiter pleinement son énergie et sa créativité́, l’Afrique doit surmonter quelques obstacles. Le premier d’entre eux est l’énorme déficit en infrastructures de base, qu’il s’agisse d’énergie, de transport ou de TIC. Or, l’infrastructure est le socle de l’innovation sous ses multiples dimensions. Le rythme du changement structurel de l’économie sera fonction des liens que tisseront entre eux les Africains grâce aux infrastructures.
Mais l’Afrique doit aussi faire preuve d’innovation dans la manière dont elle va développer ses infrastructures, depuis les systèmes d’alimentation électrique hors réseau jusqu’à l’exploitation du vaste potentiel hydroélectrique du continent et à la mise en place des réseaux nécessaires pour ses villes en croissance rapide.
Un deuxième frein est le capital humain. L’Afrique a beaucoup développé́ l’enseignement primaire au point d’en avoir généralisé l’accès à peu prés partout. Ce n’est pas un mince exploit, mais le niveau des compétences acquises reste bien en deçà̀ de ce qui est nécessaire pour assurer la transformation économique. L’Afrique a besoin de centres d’excellence pour la formation d’une nouvelle génération de leaders pour les organes politiques, l’administration publique, les entreprises et la société́ civile. Elle a besoin aussi de constituer une masse critique en science et en technologie pour permettre aux entreprises de mieux s’implanter dans les secteurs nécessitant de grandes connaissances.
Un troisième frein est la fragmentation de l’Afrique en petits marchés nationaux, qui ne permet pas les économies d’échelle nécessaires pour proposer des produits et services innovants à prix compétitifs. Les innovateurs de tout le continent doivent pouvoir échanger entre eux et avec leurs homologues du monde entier. Les investissements transnationaux contribuent à répandre la technologie et les approches novatrices, ainsi que la libre circulation de la main-d’œuvre qualifiée. Dans le monde entier, la croissance rapide et soutenue des économies convergentes n’a été possible que grâce à une ouverture sur le monde et à une intégration mondiale, qui favorisent le transfert rapide des idées, des technologies et des savoir-faire.
Dans la décennie 2010, l’Angola a enregistré une croissance moyenne de 11,1 %, se classant parmi les dix économies du monde à la croissance la plus rapide autrement dit, si l’innovation est le fait de tous les secteurs de la société—individus, entreprises, agriculteurs, communautés locales, universités et organisations de la société́ civile elle ne peut prendre racine et prospérer que si l’État lui offre un environnement propice. Intelligemment mises en œuvre, les politiques d’innovation permettront de créer des emplois et d’encourager une croissance économique inclusive.
Inclusion économique : réduire la pauvreté́ et les inégalités de revenus l’histoire du dynamisme économique récent de l’Afrique est aujourd’hui bien connue, le continent connaissant la plus forte croissance au mode puis 40 ans. Après 2000, la plupart des pays africains ont maintenu les taux de croissance moyens supérieurs à 5% par an, en dépit d’un climat mondial assez défavorable, et quelques- uns se distinguent par leurs performances exceptionnelles. Entre 2000 et 2010, la croissance moyenne a été de 11,1% en Angola, 8,9% au Nigeria, 8,4% en Éthiopie, 7,9% au Mozambique et au Tchad, et 7,6% au Rwanda, ce qui place ces pays parmi les 10 économies les plus dynamiques au monde.
D’autres se rapprochent des 7% de croissance nécessaires pour qu’une économie double tous les dix ans. En 2014, les pays africains à faible revenu tournaient autour du chiffre de 5,8%. La croissance du PIB et les perspectives de croissance augurent bien pour cette décennie et les suivantes.
Cette belle performance a plusieurs explications. Les prix élevés des produits de base y ont certainement contribué ; s’y ajoutent la découverte de nouvelles ressources naturelles et le renforcement des échanges commerciaux et des relations d’investissement avec la Chine et d’autres économies émergentes. Cependant, au-delà̀ de l’essor des ressources naturelles, cette forte croissance s’explique aussi par une nette amélioration de la gestion économique et du climat des affaires. Des facteurs à long terme comme la forte démographie, l’urbanisation, l’émergence d’une classe moyenne africaine et le développement des TIC ont également joué un rôle.
Si, globalement, cette histoire est un succès, la performance dans le domaine de l’inclusion économique est moins brillante. Concentrée dans un nombre limité de secteurs économiques et géographiques, la croissance ne se traduit pas encore en nouvelles opportunités d’emploi et de moyens de subsistance pour la majorité́ des Africains. Au Nigeria, par exemple, la décennie de croissance rapide s’est accompagnée d’une importante augmentation du chômage, passé de 14,8 % en 2003 à 24 % en 2011. Plus des trois quarts des Africains travaillent à leur compte ou dans des entreprises familiales, notamment dans l’agriculture ou le micro commerce, deux secteurs qui offrent peu de marges de progression.
En l’absence de création d’emplois en grand nombre, les taux de pauvreté́ n’ont baissé que relativement lentement. La proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté́ atteignait 42,3% sur l’ensemble de l’Afrique en 2014 soit une amélioration de 0,1 % seulement depuis 2010. La réduction de la pauvreté́ connait des taux légèrement supérieurs dans les pays à faibles revenus, mais il est clair que la croissance ne profite pas également à tout le monde. Les inégalités de revenus, mesurées par l’Indice de Gini2, se sont légèrement réduites sur l’ensemble de l’Afrique, mais la situation a empiré dans les pays à faibles revenus.
Six des dix pays au monde ayant le plus mauvais indice se trouvent en Afrique.
L’une des tendances les plus prometteuses pour l’économie africaine est l’augmentation de la classe moyenne. En 2011, nous avons calculé (en utilisant le seuil de 2 dollars des Etats-Unis de revenu par jour) que 313 millions d’Africains appartenaient à la classe moyenne. En 2030, ce chiffre devrait atteindre le demi-milliard, soit prés d’un tiers de la population. L’émergence de cette classe moyenne regroupée dans les centres urbains en croissance rapide et surtout composée de jeunes ouverts sur le monde et prompts à adopter les nouvelles technologies pourrait changer la donne pour l’économie africaine. Elle crée en effet un marché de plus en plus attractif pour les biens et les services, pour les investisseurs nationaux aussi bien qu’étrangers.
Cependant, la classe moyenne se développe à peine plus vite que l’ensemble de la population. Le nombre de personnes appartenant à la tranche supérieure de la classe moyenne (10–20 dollars
par jour) n’a augmenté que de 2 % en dix ans, malgré́ des taux de croissance économique de 5 à 6 %. En conséquence, l’essor des dépenses de consommation reste limité à quelques pays. Globalement, les ménages africains dépensent encore 80 % de leurs revenus en nourriture. À court et à moyen terme, les innovations requises pour assurer le succès commercial d’un produit sur le marché africain viseront à produire des versions peu coûteuses des biens de consommation usuels et à les vendre dans de petits conditionnements, accessibles aux populations pauvres.
En 2030, la classe moyenne africaine devrait atteindre le demi-milliard, créant un marché attractif dominé par des jeunes ouverts sur le monde les progrès relativement lents accomplis en Afrique dans la lutte contre la faiblesse des revenus sont le signe de défaillances dans la transformation structurelle de l’Afrique. Les immenses progrès réalisés par l’Asie dans ce domaine s’expliquent par la création massive d’emplois peu qualifiés, qui fait d’elle le premier atelier du monde. Cette mutation n’a pas encore eu lieu en Afrique. Quelques pays l’île Maurice, l’Afrique du Sud, l’Ouganda ont réussi leur transition d’une agriculture traditionnelle à faible valeur ajoutée à une industrie de transformation plus productive et à un secteur de services.
La Côte d’Ivoire, qui est le premier producteur au monde de fèves de cacao, a commencé à valorisé ses exportations en développant ses capacités de production de chocolat. Dans sa volonté de capter une part du marché mondial de la confiserie, estimé à 84 milliards de dollars, le pays a réussi à attirer trois multinationales.
Dans l’ensemble, on observe une faible diversification des économies africaines, qui restent centrées sur des produits de base non transformés. De fait, au niveau mondial, la part de l’Afrique subsaharienne dans les industries de transformation décline depuis quelques années. Le niveau de l’innovation dans l’économie africaine—l’abandon créatif de moyens de production inefficients en faveur de méthodes nouvelles et plus productives reste beaucoup trop faible.
Les enquêtes réalisées sur les entreprises africaines proposent toutes sortes d’explications à ce manque d’innovation : alimentation électrique peu fiable, mauvaises liaisons de transport, lourdeur des réglementations, insuffisance des financements, main-d’œuvre insuffisamment qualifiée. Tant que les conditions favorables à l’innovation ne seront pas réunies, la croissance de l’Afrique ne sera pas assez inclusive pour permettre une percée dans la lutte contre la pauvreté́, même avec une forte demande en produits miniers.
Face aux constats plutôt sombres qui se dégagent aujourd’hui du secteur électrique africain, les remèdes sont désormais bien identifiés par la plupart des acteurs et commencent même à être mis en oeuvre dans un nombre croissant de pays. On en citera cinq, qui ne sont certes pas exhaustifs mais qui paraissent incontournables.
Le premier signal attendu pour rassurer — et donc attirer — les investisseurs passe par des mesures politiques fortes qui engagent les pays et relèvent de la responsabilité́ des États: cela va de l’instauration de cadres réglementaires, législatifs et institutionnels propres à donner une visibilité́ à long terme et une transparence sur les conditions d’investissement jusqu’à la bonne gouvernance indispensable à la fiabilité́ du développement industriel et commercial du secteur.
Aucun développement significatif ne sera par ailleurs économiquement possible ni durable sans la construction de marchés et donc de projets à des mailles régionales, puis interrégionales. De telles intégrations régionales sont indispensables à la fois pour mutualiser les investissements, pour augmenter la taille des marchés potentiels, rationaliser le déploiement des infrastructures, optimiser leur maintenance et sécuriser leur gestion à travers des standards communs. Jouer la carte de la régionalisation permettrait de dégager chaque année deux milliards de dollars d’économie, selon la Banque mondiale.
Alors que le décollage économique de l’Afrique semble bel et bien se confirmer, il faut plus que jamais le conforter et le pérenniser en l’adossant à des infrastructures fiables et suffisantes. Nul doute que cette consolidation passe par le traitement prioritaire des grandes infrastructures électriques. L’Europe à partir de la fin du XIXe siècle et jusqu’à la période de l’après-guerre, plus récemment la Chine et l’Inde, n’ont pas procèdé autrement en commençant par asseoir un système électrique centralisé techniquement performant et économiquement compétitif, capable de générer de nouvelles richesses, de nouvelles capacités d’investissement, lesquelles irriguent progressivement les différents secteurs économiques et toutes les couches sociales pour finir par atteindre les plus démunies.
Pour autant, il n’est pas envisageable de laisser les quelque 500 millions d’Africains — majoritairement ruraux — sans accès à l’électricité́ ou autre forme moderne d’énergie. Il y a donc urgence à travailler en parallèle sur de nouveaux modèles socio- économiques à leur attention, en mettant chaque fois que possible l’accent sur la création de richesse économique, en plus du bien-être et de la qualité́ de vie.
Autre point de passage obligé, encore insuffisamment traité: l’investissement doit aussi se porter massivement sur la formation des personnels et sur les transferts de compétences dans l’ensemble des classes de métiers, depuis les décideurs charges des politiques énergétiques et de tarification, jusqu’aux techniciens des compagnies d’électricité́. Ces besoins affectent la quasi totalité́ des compagnies nationales, et concernent au premier chef les nouveaux métiers liés aux programmes d’électrification rurale pour lesquels tout reste à faire.
La pérennité́ des efforts financiers et techniques qui seront consentis ces pro- chaines années en faveur de l’électrification ne sera garantie qu’au prix d’un engagement équivalent sur les compétences humaines.
Enfin, il reste à mener une réflexion sur les choix technologiques, car ils joueront un rôle clé́ dans les évolutions du secteur électrique africain. Face à certains raisonnements parfois idéalistes ou trop théoriques (l’énergie solaire vue comme la panacée, le lancement à court terme de grands programmes nucléaires, l’électrification de toute l’Afrique à partir du site hydroélectrique d’INGA en République démocratique du Congo…), il parait urgent de remettre au cœur des discussions des raisonnements pragmatiques et réalistes qui s’appuient sur la performance économique des systèmes envisagés, leur adaptabilité́ technique à un contexte donné (quelles sont les ressources localement disponibles? quels sont les besoins en consommation aujourd’hui, demain?), sans oublier bien sur l’acceptabilité́ sociale, environnementale et climatique.
Conclusion
Fondamentalement, se développer c’est faire les choses différemment. Le développement est donc un processus dynamique qui consiste à remplacer des façons de travailler peu efficaces par des approches nouvelles et plus productives, que ce soit au niveau d’un ménage, d’une entreprise ou de la communauté́ dans son ensemble.
L’Afrique d’aujourd’hui change vite. Sa démographie est très dynamique sa population se rapproche en effet des deux milliards d’habitants prévus en 2050, dont deux tiers vivront dans des villes. Les découvertes de ressources naturelles offrent de nouvelles sources de richesses mais soulèvent aussi des questions complexes de gestion et de partage des recettes générées. La place de l’Afrique dans un monde multipolaire ne cesse d’évoluer, avec l’apparition de nouveaux liens commerciaux et de nouvelles sources d’investissement. Le développement rapide de la téléphonie mobile ouvre l’accès des populations à l’information et à des services nouveaux.
Dans ces conditions, l’innovation est une nécessité́. Innover, en bref, c’est penser autrement les questions économiques et sociales, et c’est accomplir une mutation technologique. Dans ce domaine, l’Afrique s’apprête à faire un bond de géant et à entrer dans la course aux technologies. Mais l’innovation, ce n’est pas seulement cela.
C’est aussi adapter les produits, les services et les business models aux conditions particulières de l’Afrique, ce qui veut dire inventer de nouvelles manières d’organiser les institutions publiques et les services publics, et de nouveaux modes d’organisation collective, du niveau local jusqu’au niveau intergouvernemental et transfrontalier. Pour réussir sa transformation économique, l’Afrique doit innover à tous les niveaux et enrichir régulièrement son capital humain, social et intellectuel.
L’Afrique, en effet, n’a plus besoin d’adopter passivement les innovations développées sur d’autres continents. Dans de nombreux secteurs, c’est elle qui mène le mouvement. L’exemple le plus connu est peut-être celui des services par la téléphonie mobile. Ainsi, en Afrique de l’Est, le célèbre système M-Pesa de transfert d’argent stimule le développement de nouveaux services de micro finance rapides et bon marché. Du fait de l’absence d’infrastructure bancaire sur une grande partie du continent, la technologie permet des prêts de pair à pair et supprime le recours au modèle bancaire traditionnel. En Éthiopie, un système pionnier de bourse de commerce permet aux agriculteurs d’accéder en temps réel au cours des produits sur le marché et de prendre des décisions éclairées pour vendre leur production au meilleur prix.
Le secteur électrique a besoin de temps pour se construire; l’échelle des prises de décisions et des réalisations technologiques s’inscrit dans le long terme, rarement moins de cinq ans.
Or l’exaspération est croissante au sein des populations lassées par des délestages à répétition et des coupures aussi inopinées que durables. En outre, le décollage économique semble se confirmer pour la plupart des pays, en partie porté par une croissance démographique et une urbanisation soutenues.
L’ensemble de ces facteurs impliquent que le continent s’équipe de façon urgente en infrastructures électriques essentielles à la satisfaction des besoins et à la pérennisation de cette croissance.
Les États ont bien conscience qu’ils n’ont plus devant eux les 10 ou 15 ans nécessaires pour rattraper le retard accumulé et préparer l’avenir. Il leur faut tout à la fois définir rapidement des politiques énergétiques, attirer les investisseurs, préparer le renforcement et la relève des compétences. Il s’agit donc de conjuguer actions à court terme et mesures de long terme. De la bonne résolution de cet exercice difficile, mais incontournable, dépend le succès du décollage de tout un continent.
Bibliographie
(1) Banque mondiale — octobre 2009 — Stratégie énergétique du Groupe de la Banque Mondiale — Synthèse sectorielle — Réseau du développement durable.
(2) Banque mondiale — mai 2008 — Africa Infrastructure Country Diagnostic (AICD) — Underpowered: The state of the power sector in Sub-Saharan Africa — Background paper 6.
(3) Banque mondiale — Policy Research Working Paper — Vivien Foster, Jevgenijs Steinbuks — April 2009 — Paying the price for Unreliable Power Supplies; In-house generation of Electricity by firms in Africa – The World Bank Africa Region – African Sustainable Development Front Office.
(4) Gratwick K.N. & Eberhard A. — 2008 — «An analysis of independant Power Projects in Africa: Understan- ding Development and Investment Outcomes ». Development policy review 26 (3).
(5) Eberhard A., et al. — 2008 — in Stratégie énergétique du Groupe de la Banque Mondiale Synthèse sectorielle – Octobre 2009.
(6) FMI Afrique subsaharienne — avril 2008 — Perspectives économiques régionales.
Heuraux C. — juin 2010 — L’électricité́ au cœur des défis africains – Manuel sur l’électrification en
(7) Afrique — Éditions Khartala.
ICA — mars 2008 — Point sur la production de l’énergie électrique en Afrique
(8) La Banque mondiale évalue le coût de cette inefficacité́ à 3,3 milliards de dollars chaque année.
(9) À titre indicatif, on rappellera que le prix moyen de l’électricité́ en France pour un ménage de quatre personnes est de 0,09 €/kWh HT et de 0,14 €/kWh HT en Grande-Bretagne.
(10) IPP : independant power producer.
(11) Le taux de recouvrement est avoisine en fait plutôt 70 %, l’État et les administrations étant souvent les plus mauvais payeurs, ce qui rend les recours difficiles.
(12) Union économique et monétaire ouest-africaine. Elle regroupe les huit pays suivants : Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
(13) L’Afrique subsaharienne dans son ensemble totalisant quant à elle 2,1 %, à comparer aux 41,3 % destinés à la zone Amérique Latine et Caraïbes et aux 31,5 % vers la zone Asie de l’Est et Pacifique.
(14) Hors Afrique du Sud, seul pays à exploiter à ce jour cette forme d’énergie, les pays candidats devront encore franchir de nombreuses étapes avant de rendre leurs projets opérationnels.
(15) www.ifri.org – www.connaissancedesenergies.org
Nasser KEITA, PhD
Directeur du Laboratoire de Recherche Économique et Conseils (LAB-REC)
www.lab-rec.org
SOURCE: http://conakrytime.com/magr1.php?langue=fr&type=rub17&code=calb14488