En visite à Moscou, l’émir du Qatar Tamim ben Hamab al-Thani a évoqué de nombreuses questions avec le président russe Vladimir Poutine, notamment le rapprochement des positions sur le Yémen et la Syrie, la coordination dans le secteur gazier et les investissements dans l’économie russe.
Le déplacement de l’émir du Qatar à Moscou intervient à un moment difficile pour la monarchie arabe: le Conseil de coopération du Golfe (CCG), très puissant groupe régional économique, financier et politique regroupant six monarchies productrices de pétrole (Arabie saoudite, Koweït, Émirats arabes unis (EAU), Qatar, Oman et le Bahreïn) traverse une profonde crise, écrit jeudi 29 mars le quotidien Nezavissimaïa gazeta.
Les relations entre le Qatar et le bloc des pays arabes menés par l’Arabie saoudite se sont significativement dégradées. Le «quartet arabe» (Arabie saoudite, Égypte, Bahreïn, EAU) a décrété des sanctions contre l’émirat et a décrété un blocus des transports. Le «quartet» a annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar, l’accusant de déstabiliser la région. Le 22 juin 2017, il a fixé un ultimatum en 13 points à Doha, demandant la fermeture de la chaîne Al Jazeera, la diminution du niveau des relations diplomatiques avec l’Iran et la rupture totale des liens avec l’organisation islamiste Frères musulmans. Cette liste, transmise aux autorités qataries via le Koweït qui a immédiatement accepté de devenir médiateur sur cette question, exigeait également de retirer la présence militaire qatarie en Turquie. Doha a balayé cet ultimatum.
Cette démarche douloureuse a résulté d’une publication sur le Twitter officiel de l’émirat appelant ses voisins «à améliorer les relations avec Téhéran». Le gouvernement qatari a immédiatement démenti cet appel et après une investigation rigoureuse, la chaîne CNN a confirmé qu’il s’agissait d’un fake.
Des politiciens et des hommes d’affaires malhonnêtes ont profité de la crise du Golfe. L’entrepreneur américain George Nader et le grand donateur du parti républicain Elliott Broidy, profitant de leur amitié avec Donald Trump, lui ont soufflé l’idée de renvoyer Rex Tillerson du poste de secrétaire d’État et de mener une politique étrangère dans l’intérêt de l’Arabie saoudite et des EAU. C’est ce qu’a récemment rapporté le New York Times, se référant aux copies de centaines de documents de Nader et de Broidy.
Ces derniers ont poussé Trump à adopter une posture de confrontation à l’égard de l’Iran et du Qatar, ce qui a été suivi par des sanctions économiques et un blocus des transports contre l’émirat. Alors qu’il était à la tête de la diplomatie américaine, Rex Tillerson menait une politique plus retenue vis-à-vis du Qatar — ce que n’appréciait pas Riyad. Les copies des documents ont été transmises au NYT par des sources anonymes opposées aux efforts de Broidy pour changer la stratégie des USA au Moyen-Orient.
Mais laissons cette sale histoire sur la conscience de ses auteurs et revenons au Qatar. Ce dernier a réussi à minimiser les pertes entraînées par le blocus. «La situation liée au conflit n’a aucunement influencé la coopération dans le domaine énergétique dans la région. On espère qu’il sera bientôt réglé», a déclaré le ministre koweïtien du Pétrole Bkhit al-Rachidi. Et d’ajouter: «Les discussions ne s’arrêtent pas. Nous espérons que cette question sera rapidement réglée».
Selon le ministre qatari de l’Économie et du Commerce Ahmed ben Jassem ben Mohamed al-Thani, cette année la croissance du PIB atteindra 2,6% contre 2% en 2017. La Qatar produit 77 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an, et selon les prévisions ce chiffre augmentera de 30% d’ici 2024. En pleine crise, le Qatar s’est attiré le soutien de grandes compagnies énergétiques. Les patrons d’Exxon Mobil, de Total et de Shell ont rencontré les autorités du pays, ont soutenu les projets d’augmentation de la production du gaz naturel liquéfié (GNL) et ont promis d’en acheter au Qatar.
En automne, le sommet du Conseil de coopération du Golfe s’est tout de même déroulé au Koweït, même si seulement le Qatar et le Koweït étaient représentés au plus haut niveau. Les intérêts économiques et politiques communs étaient trop importants. Les six pays prônent des relations équilibrées et de partenariat entre les producteurs et les consommateurs de pétrole et de gaz, et jouent un rôle important dans l’accord crucial Opep+.
Ces derniers temps, l’intégration économique et politique des pays du Golfe progresse clairement. Selon les analystes, les monarchies ne peuvent plus avancer vers leur objectif — le Marché commun — à pas de tortue. Ils cherchent à éviter les troubles inattendus provoqués par les fluctuations des prix du baril. L’un des principaux résultats de l’intégration a été la création d’un système commun d’alimentation en électricité. Les six membres investissent des pétrodollars dans les communications et les technologies de pointe. La coopération militaire est un domaine dans lequel le rôle de l’Arabie saoudite se ressent tout particulièrement. Le poing militaire commun fonctionne avec succès dans le cadre du programme «Bouclier du Golfe».
Le prochain sommet arabe annuel se tiendra à Riyad en mai et devrait être, comme à l’habitude, très chaleureux. Toutes les questions, même les plus épineuses, y sont réglées calmement et à l’amiable. Tout prête donc à penser que le conflit du Golfe pourrait être réglé en mai. Les six membres sont prêts à parer les défis du millénaire et se fixent des objectifs stratégiques allant bien au-delà de la production d’hydrocarbures.
Avec sputnik