Le pays hôte de la Coupe du monde de football 2022 fait actuellement l’objet d’un boycott de la part de nombreux pays du Golfe. En cause: l’Arabie Saoudite qui soupçonne le Qatar de financer activement des groupes terroristes et condamne ses accointances avec l’Iran et les Frères musulmans. Le 5 juin, Riyad annonçait la rupture de ses relations diplomatiques avec Doha. Le même jour, le Yémen, les Émirats arabes unis, l’Égypte et le Bahreïn ont eux aussi rompu leurs relations avec le Qatar, par effet domino.
Les problématiques soulevées par cette crise ne se limitent pas à la diplomatie. Le Qatar est en effet aujourd’hui très présent dans le monde du sport. Certaines personnalités qataries occupent même des postes stratégiques auprès des grandes instances sportives. L’émir du Qatar, le Cheikh Al Thani, est propriétaire du fonds souverain d’investissement Qatar Sports Investment (QSI), qui a racheté le Paris Saint-Germain en 2012. Il est également membre actif du Comité international olympique (CIO) depuis 2002. Le Qatar occupe donc des postes clés dans l’organisation du sport à l’échelle mondiale.
Quel impact le boycott régional du Qatar aura-t-il sur dans le milieu sportif? Contacté par le HuffPost Maroc, Jean-Baptiste Guégan, géopoliticien et auteur de l’ouvrage « Géopolitique du sport », nous explique les enjeux sportifs de cette crise.
HuffPost Maroc: Dans une interview exclusive donnée au journal suisse Le Matin, le président de la FIFA Gianni Infantino ne prend aucune position, que ce soit pour ou contre le Qatar. A-t-il raison de rester neutre dans cette affaire?
Jean-Baptiste Guégan: D’un côté, il y a ce qu’il dit. De l’autre, il y a la réalité. Ce qu’il prône avant tout, c’est la charte de la FIFA qui incite à rester dans la neutralité politique en tant que fédération internationale. C’est-à-dire que, comme le CIO (Comité international olympique), la FIFA s’oblige à être neutre politiquement. Ça, c’est la position officielle.
La réalité, c’est que la FIFA a toujours eu une influence géopolitique majeure. Tout simplement par le choix des pays organisateurs de la Coupe du monde et par l’importance du football dans le monde. Donc non, la FIFA n’est pas neutre et Infantino fait plus preuve d’esprit de communication que d’autre chose. Il n’a cependant pas fermé la porte au dialogue: plus loin dans cette même interview, il annonce être prêt à servir de médiateur, si le besoin s’en fait ressentir.
Avec l’argent déjà investi et les nombreux stades en construction, est-il plausible que la FIFA cherche un autre pays hôte pour 2022?
Si ça ne se passe pas au Qatar, il faudrait que la FIFA revienne sur ses décisions. Elle ne l’a pas fait pour la Russie, je ne vois pas pourquoi elle le ferait avec le Qatar. Ensuite, si l’on change totalement d’organisation au dernier moment, cela renverrait une très mauvaise image de la FIFA et de sa capacité à organiser les grands évènements mondiaux.
Je pense qu’il s’agit plus d’une crise médiatique qu’autre chose, ça n’ira pas au-delà. Sur le court terme, on risque tout de même de voir émerger des problèmes, par exemple avec le maillot du Barça qui est boycotté aux Émirats arabes unis, ou des ruptures de contrats comme le club saoudien Al Ahli Djeddah qui vient de rompre son contrat avec Qatar Airways.
Mais selon moi, il n’y a pas de danger à moyen ou à long terme sur la pérennité des évènements sportifs. Cette crise sonne plus comme un rappel à l’ordre qu’un coup de massue diplomatique. Sauf cas de force majeure, le Qatar restera donc le pays hôte de la Coupe du monde 2022.
Pourquoi la communauté internationale se terre-t-elle dans le silence?
Avant toute chose, il faut savoir que le Qatar est le premier investisseur, par ordre d’importance, aux États-Unis, en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. Ce qui veut donc dire que tous ces pays profitent de financements qataris, que le Qatar est présent dans les plus grandes entreprises nationales, et qu’ils sont très liés aux autorités politiques locales.
Le Qatar est l’un des trois plus gros acheteurs d’armes sur les deux dernières années, avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. On comprend déjà un peu mieux pourquoi les dirigeants du monde occidental ne se positionnent pas. On n’insulte pas un client, encore moins un investisseur.
La non-condamnation du Qatar par la majeure partie des grands acteurs européens est dû au fait que le Qatar est un investisseur majeur. Si, du jour au lendemain, le Qatar se retire de l’Europe, les économies vont grandement en souffrir.
Parce qu’elle s’en moque. Pour la communauté internationale, c’est un non-sujet tant qu’il n’est pas médiatisé. Tant que l’on ne montre pas les morts, les ouvriers pakistanais et bangladais qui meurent et qui travaillent dans des conditions inacceptables, rien n’évoluera. On estime à plusieurs milliers le nombre d’ouvriers qui n’ont pas été payés. À leur arrivée au Qatar, tous les travailleurs étrangers se voient confisquer leur passeport.
Soyons honnêtes: je pense qu’une grande partie de la communauté internationale reste totalement indifférente quant à ces travailleurs pauvres qui viennent sur les chantiers des Coupes du monde, où qu’elles soient.
Vous dites que l’investissement qatari au PSG est l’une des plus grandes réussites sportives du sport contemporain. Est-ce possible que cela se transforme en véritable catastrophe économique?
Les cinq années qui suivent le rachat du Paris Saint-Germain par l’émir du Qatar représentent, selon moi, l’une des plus grandes réussites du sport contemporain. C’est un club qui a été en constant progrès. C’est un club qui n’a pas cessé de progresser, jusqu’au licenciement de Laurent Blanc (coach du PSG de 2013 à 2016, ndlr). C’est une vraie réussite dans le sport car pendant cinq ans, cela a été un véritable modèle. En terme de communication, le PSG était excellent.
Mais il s’agit d’une réussite sportive, pas d’une réussite économique. Parce que pour réussir économiquement, il faut de l’argent, et le problème c’est que le PSG a été financé à fonds perdus par le Qatar. Si on regarde avec les salaires, c’est plus de 1,5 milliards d’euros qui ont été déversés, c’est énorme. Pour l’instant, ils sont vraiment entre deux eaux. Tant que le Qatar reste stable d’un point de vue politique, le PSG ne sera pas mis en péril.
Le Qatar risque-t-il de perdre une partie de ses intérêts dans le football européen? Quel avenir notamment pour Qatar Sports Investment (QSI)?
Pour l’instant, il n’y a pas de risques de voir la politique sportive du Qatar remise en cause. Cela nécessiterait un renversement du gouvernement en place, et ce n’est pas près d’arriver. Ce n’est pas non plus la volonté ni des Émirats arabes unis, ni des États-Unis, ni de l’Arabie saoudite. Donc à ce jour, il n’y a pas de risques avérés pour les investissements de QSI qataris, et pour ceux qui ont noué des partenariats avec eux. Nous sommes plus face à une crise médiatique et passagère qu’à une crise diplomatique et durable.
Et BeIN Sports dans tout ça?
Aujourd’hui, on est dans un moment charnière pour BeIN Sports. D’abord, la chaîne est boycottée dans de nombreux pays qui ont été cités en tête d’article. Les boycotts, c’est bien gentil mais à court terme. De toute façon, si BeIN Sports arrête de mettre de l’argent dans les droits de diffusion, qui va le mettre? Personne n’est en capacité d’investir de telles sommes dans ce domaine. Aujourd’hui, dans la majeure partie des pays du monde, BeIN Sports a les exclusivités.
À l’échelle mondiale, il n’y a pas de risques, c’est l’État qatari qui finance, c’est aussi pour ça que l’Arabie saoudite attaque BeIN Sports et demande à ce que Al Jazeera ferme. Parce que Al Jazeera est un vrai vecteur de communication du Qatar, cela reflète l’image du Qatar dans le monde entier. C’est la voix du Qatar, en quelque sorte.
La compagnie aérienne Qatar Airways sera le partenaire officiel de la FIFA pour les Coupes du monde 2018 et 2022. Peut-on s’attendre à un changement ou un boycott de Qatar Airways de la part de certains pays?
Le contrat a été signé donc il ne sera vraisemblablement pas remis en cause. Il faut savoir que ce sont des contrats pluri-annuels, qui représentent des dizaines de millions d’euros. C’est un des moyens de rémunération de la FIFA. Surtout que la Coupe du monde 2022 aura lieu au Qatar. Cela coûterait extrêmement cher à la FIFA de changer de sponsor officiel. Donc non, le sponsor ne changera sûrement pas, en revanche, nous ne sommes pas à l’abri que certains pays boycottent la compagnie aérienne au moment de la Coupe du monde 2022.
Quel mot vous vient à l’esprit lorsque l’on évoque cette Coupe du monde 2022?
Incroyable. Elle est impossible à croire! Comment un pays de moins de 1,5 millions d’habitants, avec moins de 300.000 nationaux, peut accueillir le plus grand évènement sportif mondial avec les JO? Sachant que le territoire représente moins de 12.000 km carrés. C’est comme si demain, la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima accueillait la Coupe du monde, c’est tout simplement hallucinant.
Avec huffpostmaghreb