La Franco-Camerounaise Nelly Wandji vient d’ouvrir sa galerie à Paris. Bien décidée à y consacrer les créateurs du continent et à séduire le chaland.
Quand Aïssa Dione expose à Paris, difficile de passer outre. En septembre, c’est dans la galerie de Nelly Wandji que la tisserande sénégalaise a présenté ses dernières pièces lors d’une exposition-vente haut de gamme. Pour Nelly Wandji, c’est une consécration.
Son espace a ouvert il y a quelques mois, et voilà que son idole y prend ses quartiers. Le soir du vernissage, ce bout de femme dynamique flottait sur un petit nuage. « Je veux que ma galerie soit un lieu de passage consacré à la créativité africaine à Paris, de la mode au design en passant par l’art, confie-t-elle. Je veux proposer des choses que l’on peut toucher et emporter. »
Elle ne sera satisfaite que lorsque la création africaine pèsera lourd dans l’économie internationale
Ce soir-là, avec Aïssa Dione en maîtresse des lieux, on est tenté de lui rétorquer qu’elle a gagné son pari. Mais cette bûcheuse qui n’a pas froid aux yeux ne sera satisfaite que lorsqu’elle sera à la tête d’un empire au chiffre d’affaires – sur lequel elle ne souhaite pas s’étendre pour le moment – à la hauteur de ses attentes. Et quand la création africaine pèsera lourd dans l’économie internationale. Petite femme, donc, mais très grandes ambitions…
» Je serai douanière »
Nelly Wandji est née et a grandi au Cameroun. Pays qu’elle quitte à l’âge de 18 ans, son bac obtenu, pour poursuivre ses études de commerce international et de marketing du luxe en France à la Paris Graduate School of Management. « Mes parents ont toujours voulu que mon parcours soit structuré et débouche sur quelque chose de concret. »
Au lycée déjà, à Douala, quand ses profs la questionnent sur son futur métier, elle répond sans hésitation : « Je serai douanière, car la douane est la porte d’entrée d’un pays. Je contrôlerai tout ce qui entre et tout ce qui sort. »
Le goût des grandes entreprises
Au sortir de l’école, elle rêve de travailler pour L’Oréal, groupe industriel de produits cosmétiques. Mais c’est Swatch, la plus grande société d’horlogerie du monde, qui lui ouvre ses portes. Elle a 24 ans quand elle démarre comme assistante marketing avant de gravir les échelons. Bientôt, elle accompagne le développement des marques de l’entreprise en France et dans toute l’Europe.
Je me suis attachée à des marques de tout le continent et qui ont leur propre ADN, explique la créatrice
L’aventure dure quatre ans, jusqu’à ce que le besoin de liberté se fasse sentir. Et puis la jeune femme s’interroge. L’équivalent de Dior ou de Chanel pourrait-il exister sur le continent ? « J’étais fascinée par les grandes maisons françaises et par leur aptitude à s’imposer et à cristalliser une certaine adoration, mais je suis africaine avant tout. »
Révélation en Italie
Sa transition professionnelle s’opère peu après un voyage à Milan. Dans la vitrine d’une boutique italienne, elle découvre le travail de la styliste italo-haïtienne Stella Jean : des pièces en tissu wax et faso dan fani. C’est la révélation.
À 28 ans, elle quitte le navire Swatch et se lance dans une étude méticuleuse de l’émergence de la création sur le continent. Puis, en 2013, elle se rend à la Fashion Week d’Accra, au Ghana, alors capitale de la mode africaine, supplantée aujourd’hui par Lagos la nigériane.
La mode du continent
À son retour en France, elle rapporte dans ses valises une flopée de pièces de créateurs des deux pays dans l’optique de faire découvrir « ce fabuleux monde » en racontant d’où viennent les uns et les autres, et quel est le processus de fabrication suivi. Comptant, bien entendu, les proposer à la vente.
C’est ainsi que naît le concept de la plateforme digitale MoonLook, que Nelly Wandji, désormais entrepreneuse, ouvre en 2014. Très vite, ce site de vente en ligne à visées économiques et pédagogiques séduit les créateurs avec lesquels elle s’associe, comme la communauté de clients dont elle s’entoure. « Je me suis attachée à des marques de tout le continent et qui ont leur propre ADN. »
Exposer ses propres créations
Vient alors l’heure de dépasser les frontières du virtuel. D’où les « Escales africaines », ces boutiques éphémères qu’elle ouvre successivement en 2014 et en 2015. L’opération est un succès. Pour la première édition, 600 pièces sont vendues en moins d’un mois. « C’est là que j’ai compris que j’aurais dû ouvrir mon propre espace dès le début ! Il ne s’agissait plus seulement de mettre la mode à l’honneur, mais d’exprimer ce qui me tenait à cœur. »
Je ne suis pas une fille à papa friquée. Je bosse, je me lève à 5 heures du matin et me couche à minuit.
Nelly Wandji a choisi de s’installer au 93, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Quoi de mieux que d’être entourée par les plus grandes galeries et maisons de vente aux enchères ? En janvier 2017, avec deux associés, elle obtient les clefs de l’espace qui deviendra la Galerie-Boutique Nelly Wandji. En mars, le chaland passe une porte que poussent aussi des journalistes de tout bord.
« Cette couverture médiatique était une aubaine, mais je suis bien loin d’avoir atteint mon objectif, prévient-elle. Je ne suis pas une fille à papa friquée. Je bosse, je me lève à 5 heures du matin et me couche à minuit. » Rien ne saurait l’arrêter.
D’ailleurs, place aux choses sérieuses cette rentrée. De mi-octobre à courant novembre, carte blanche a été donnée au plasticien camerounais Barthélémy Toguo dans une exposition intitulée « Fragile Beauty ». Récemment, l’un de ses vases en céramique s’est vendu 35 000 euros.
Insatiable et déterminée
Nelly Wandji a aussi pu s’enorgueillir du passage de la célébrité de la télé sud-africaine Bonang Matheba, venue dédicacer sa biographie. La prochaine expo-vente consacrera le designer et décorateur sénégalais Ousmane Mbaye. Entre-temps, Nelly Wandji accueillera les créations de la joaillière kényane Adèle Dejak, la maroquinerie de luxe d’Aprelle Duany, une Africaine-Américaine installée au Kenya, des pièces du styliste sud-africain Laduma Ngxokolo.
Et organisera, ce mois-ci, une rencontre publique avec la créatrice sénégalaise Selly Raby Kane. Preuve que la Camerounaise veut faire de sa galerie une adresse de référence avec une programmation éclectique. « L’espace met en avant la sélection d’une Africaine qui sait où elle met les pieds et a la capacité de flairer les tendances. »
Du design à la musique
La créatrice accueille de nombreux artistes et stylistes dans sa galerie, venus de tout horizons.
L’espace Nelly Wandji se décline en trois dimensions. La galerie, à l’entrée, s’ouvre sur un « cabinet de curiosités » où l’on trouve des bijoux, des sacs, des magazines et quelques vêtements. Au sous-sol, place à un petit salon cosy dévolu à la lecture de revues de mode ou de lifestyle.
Plusieurs créateurs africains, stylistes ou designers, ont droit de cité : le Cameroun avec Imane Ayissi, le Sénégal avec Selly Raby Kane, le Ghana via les designers AAKS et Christie Brown, mais aussi le Maroc à travers les pièces en raphia de Palm Style et la maroquinerie de Mykilimshop, le Burkina Faso avec la griffe pour hommes De La Sébure et le design de Tissetik, l’Afrique du Sud grâce au mobilier de Saks Corner et enfin la RD Congo avec le prêt-à-porter Uchawi.
Nelly Wandji propose également des œuvres d’art et envisage d’ouvrir son espace à des sessions musicales.
Avec jeuneafrique