Dimanche 18 décembre, fin de matinée, au lycée Sainte-Marie de Cocody, commune résidentielle d’Abidjan. Le président, Alassane Ouattara, et son épouse, Dominique, viennent accomplir leur devoir de citoyens.
Le chef de l’État, d’humeur badine, feint de demander au scrutateur qui lui présente le bulletin de vote de ne pas influencer son choix. Tout le monde rit. Devant l’isoloir en carton bringuebalant qui menace de s’écrouler, il plaisante encore : « C’est cela, l’isoloir ? » Puis, en lui passant le relais, toujours sur le même ton, il met en garde la première dame sur la fragilité du dispositif.
La scène peut paraître anodine, mais, dans un pays aussi politisé et aussi croyant que la Côte d’Ivoire, certains observateurs présents y ont inévitablement vu un mauvais présage, et les adeptes de la polémique, tout un symbole. « Cette journée de vote est mal partie… », commentent immédiatement les uns. « C’est un peu à l’image de l’état actuel du pays, en apparence merveilleux, en réalité assez précaire », tranchent les autres.
Pour les premiers, les superstitieux, le soulagement est venu rapidement, au fur et à mesure de la publication des résultats de ce scrutin législatif, durant les deux jours suivants. En effet, pour le camp présidentiel, le Rassemblement des républicains (RDR), et la coalition qu’il forme avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’ex-président Henri Konan Bédié, la victoire est nette : ils remportent 167 sièges sur 254.
Une performance moindre, cependant, que celle de 2011, où le PDCI et le RDR avaient à eux seuls remporté 204 sièges. Même si ce scrutin, le premier de la IIIe République, n’a pas passionné les citoyens (un taux de participation de 34 %), il restera peut-être dans les annales pour avoir été celui d’un tournant, avec l’élection de 75 députés dits indépendants.
Autrement dit, des députés, jeunes pour la plupart, qui, n’ayant pas été investis par la direction de leurs partis respectifs – en particulier le RDR et le PDCI –, ont décidé de concourir seuls – même si certains ont quand même été financés en sous-main par des barons desdits partis – et se sont imposés. Preuve des dissensions internes et des rivalités qui s’accentuent dans chacune des deux grandes familles politiques de la majorité.
Que feront ces députés indépendants de leur mandat ? Pour certains, l’objectif est de créer un groupe parlementaire, indépendant, pour peser dans la vie politique du pays. Pourraient-ils ravir la place de deuxième force politique au principal parti d’opposition, le Front populaire ivoirien, de l’ex-président Gbagbo, qui s’enlise dans sa propre crise entre l’aile de ceux qui ont purement et simplement boycotté le scrutin et celle, conduite par Pascal Affi N’Guessan, qui s’est effondrée dans les urnes en ne remportant que 3 sièges ?
Rien n’est moins sûr. Certains parmi ces nouveaux députés indépendants ont déjà annoncé, en coulisses, qu’ils rejoindront tranquillement les rangs de leurs partis respectifs. Sur une scène politique dominée depuis deux décennies par trois grands partis – PDCI, RDR, FPI –, difficile de faire bouger les lignes.
Mais revenons à l’isoloir de guingois et à ces analystes pour lesquels la Côte d’Ivoire ne se développerait qu’en façade, dans les médias, à travers les campagnes de communication destinées aux étrangers et dans les quartiers chics de la capitale économique. La critique est en fait récurrente. Et ce ne sont pas ces diplomates étrangers venus observer les législatives du 18 décembre à Abidjan, restés bouche bée devant l’état de nombreuses écoles (où se déroulait le vote) des communes populaires d’Abobo ou de Yopougon, qui diront le contraire. Pourtant, à l’inverse, force est de constater que le pays avance dans de nombreux secteurs : infrastructures, transports, agriculture, santé, sécurité, etc.
Les mues sont nombreuses, belles. Elles sont aussi, souvent, longues, tortueuses, fractionnées… Elles font cette Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, cette Côte d’Ivoire réelle, celle que Jeune Afrique a voulu présenter dans des domaines aussi variés que la politique, les médias, les transports, la finance, les mines, le tourisme ou l’agriculture. Rien n’y est totalement blanc ou noir. Une Côte d’Ivoire ni en dentelle ni en carton.
Avec Jeune Afrique