Contexte
De son indépendance en 1960, au retour au multipartisme en 1990, la Côte d’Ivoire connut trois décennies de monopartisme, sous la conduite du Président Houphouët-Boigny. Quoi que certaines personnes en disent aujourd’hui, ce système politique fut un véritable contrat social, qui apporta stabilité politique, paix sociale et développement économique à notre pays. En 1990, à la faveur du vent de démocratie qui balaya l’ensemble du continent africain, notre pays, à l’image de la plupart des pays africains, bascula dans le multipartisme. Le caractère brutal de cette rupture du contrat social existant ne permit pas la gestation apaisée d’un nouveau contrat social. Ainsi, après la disparition du Président Houphouët, notre pays entra dans une longue période de turbulence, marquée par toutes les calamités dont il avait été épargné jusque-là, notamment : coup d’Etat, charnier et guerre. Cette turbulence fut amplifiée par un certain nombre de facteurs : la naissance de partis politiques aux contours quasi-tribaux, à la place du PDCI-RDA ancienne version, jadis creuset de convergence et de stabilité de la Nation; l’apparition de l’ivoirité, présentée comme un concept culturel par ses géniteurs, mais qui s’est rapidement muée en un terrible instrument d’ostracisme et de règlement de compte politique ; l’inefficacité dans le partage des richesses nationales produites, ressentie en premier, via le chômage de masse, par les jeunes, qui constituent pourtant le plus grand segment de la population. La turbulence sociopolitique, générée en 1990 (voire avant, si l’on tient compte des tout premiers frémissements), dopée au fil des successions des locataires du palais présidentiel, pour atteindre son paroxysme avec la crise postélectorale (un euphémisme, pour ne pas dire la guerre postélectorale), correspond à l’inévitable phase transitoire qui est en train de mener notre pays de son premier contrat social, caractérisé par le monopartisme, à son second contrat social, qui sera certainement caractérisé par la naissance de deux grands partis politiques, qui géreront le pays par alternance, probablement avec des périodicités différentes d’un parti à l’autre, dans une atmosphère de stabilité sociopolitique et de progrès économique comme par le passé. En homme d’Etat soucieux de l’avenir de sa Nation et de ce que l’Histoire (avec grand H) retiendra de son parcours politique, toutes choses qui passent par la poursuite de ses grands chantiers de développement, le Président Ouattara s’attèle à abréger la turbulente phase transitoire sociopolitique, en accélérant la création du premier des deux grands partis politiques susmentionnés, appelé RHDP. Quid de la suite du processus de mise en place du RHDP et de la naissance du second grand parti politique ivoirien ? Des éléments de réponse sont proposés dans les lignes qui suivent.
La mise en place du RHDP
Comme annoncé dans ses statuts, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) sera un parti libéral, qui fédérera tous les partis se réclamant de la pensée et de l’action politiques du Président Houphouët, et qui ira du centre à la droite (quoique cette structuration doctrinale soit quelque peu évanescente aujourd’hui, notamment sous nos cieux). Ainsi, le RHDP s’attèlera à appliquer un libéralisme à visage humain, plutôt qu’un libéralisme sauvage. Il s’agira, pour ce parti, de concevoir et d’appliquer une politique de création de richesses, notamment par le canal de l’initiative privée, et d’assistance de l’Etat aux populations vulnérables. Ce parti qui fera siennes les notions de mondialisation, de village planétaire et de globalisation de l’économie, donc d’ouverture sur l’Autre, sera incontournable dans le pays de métissage (entre Ivoiriens de différentes ethnies et entre Ivoiriens et non nationaux, issu d’une immigration forte et ancienne), que constitue la Côte d’Ivoire, surtout que ce double melting-pot ira croissant. Mais la mise en place du RHDP ne sera guère un long fleuve tranquille, tant le choc des intérêts est parfois violent à l’intérieur de cette coalition de partis politiques. Pour mieux comprendre la difficulté de naissance du RHDP, examinons succinctement les stratégies développées par chacun des deux grands leviers de ce rassemblement : le RDR et le PDCI.
Le RDR : Après presque deux décennies de combats acharnés, durant lesquelles ses adversaires, adeptes des coups les plus tordus, ne lui ont pas laissé une seule seconde de répit, le parti républicain est préoccupé par la conservation du pouvoir par le RHDP, afin d’éviter le retour au pouvoir d’une éventuelle coalition adepte de la politique d’ostracisme dont l’ensemble de la Nation, les militants du RDR en premier, a tant souffert. Ainsi, même si cela n’est pas visible à première vue, toutes les actions du parti à la case visent à créer un Ivoirien nouveau, ouvert sur l’Autre, enclin à accorder son suffrage aux femmes et hommes politiques d’envergure, porteurs de projets de société susceptibles d’entraîner le pays vers l’émergence, et non aux professionnels de la démagogie et de la division, deux facteurs du retour immanquable de la nation vers l’obscurantisme. Pour atteindre l’objectif de conservation du pouvoir par le RHDP, le RDR doit dans un premier temps :redynamiser ses propres structures de base, qui constituent une véritable force tranquille ; remobiliser ses propres militants, dont une partie non négligeable se sent lésée dans le partage des fruits de la croissance ; et défendre plus efficacement le bilan du Président Ouattara, que tous les observateurs objectifs jugent globalement positif. La réalisation de ces différents chantiers nécessite la cohésion des cadres du RDR, dont certains se combattent aujourd’hui ouvertement, oubliant que seule la réussite de ces chantiers refera du parti à la case cette force hyper mobilisatrice, que les autres partis du RHDP, par realpolitik, ont été obligés de suivre.
Le PDCI :Le vieux parti est aujourd’hui tiraillé entre deux stratégies diamétralement opposées :
– Aller au RHDP unifié. Les cadres du parti adeptes de cette stratégie sont de deux types : les premiers ont tiré des leçons amères de la division passée des Houphouëtistes, qui a permis au FPI de s’emparer du pouvoir et d’appliquer une politique dont ils ont souffert au même titre qu’une partie de la population ivoirienne. Ne souhaitant pas revivre un tel cauchemar politique et social, ils préfèrent œuvrer pour un RHDP unifié et fort, pour augmentersensiblement les chances de conservation du pouvoir par cette coalition politique en 2020, assurant ainsi leur propre survie politique. Les seconds sont convaincus de la victoire du RHDP unifié en 2020. Ils préfèrent donc miser sur ce cheval gagnant, plutôt que de se lancer dans une aventure aux lendemains incertains. Surtout lorsqu’ils occupent actuellement des postes qui leur procurent une parcelle du pouvoir et une place, parfois de choix, dans le cercle restreint des « partageurs du gâteau Ivoire ». Quelqu’un n’a-t-il pas dit dans un passé relativement récent que le PDCI n’a pas la culture de l’opposition ? ;
– Ressusciter le front patriotique, cette alliance circonstancielle FPI-PDCI, créée sous l’ère Guéi Robert uniquement pour empêcher le RDR d’accéder au pouvoir. Les cadres du vieux parti défenseurs de cette stratégie sont également de deux types : les premiers pensent qu’une alliance avec un FPI affaibli permettra au vieux parti de décrocher la timbale et de jouer les premiers rôles. Ces derniers oublient que le FPI, même affaibli, reste un cheval périlleux à enfourcher. La preuve : les manœuvres (visibles et souterraines) du défunt front patriotique, loin de ramener le PDCI aux affaires, ont plutôt permis aux refondateurs de s’emparer du pouvoir. Et un bon nombre de cadres du PDCI qui ont soutenu à l’époque ce machin de front patriotique, ont été alors royalement ignorés par les refondateurs. Le second groupe de cadres du vieux parti adeptes du front patriotique, appartiennent à la galaxie ivoiritaire. Ceux-là n’ont que faire de la compétence d’un Homme (avec grand H). Pour eux, la valeur d’un Homme ne se mesure pas à sa capacité à faire progresser la société, mais au pourcentage de « sang pur ivoirien » qui coule dans ses veines. Ils évoluent indubitablement dans un monde à part. A ces deux types de cadres, on pourrait ajouter un troisième, volontairement omis dans cette analyse, car minoritaire et éparpillé dans l’ensemble du RHDP voire au-delà : les revanchards, qui se sentent injustement écartés de la gestion de la chose publique. Autant leur réaction est humaine, notamment sous nos tropiques où tout haut poste politique ou administratif est supposé rimer avec pouvoir et argent, autant elle constitue un anti-modèle à ne point montrer aux jeunes cadres désireux de propulser leur pays vers l’émergence.
La naissance du second grand parti politique ivoirien
Face au RHDP, un autre grand parti politique verra le jour, plus tard. Ce second grand parti sera hybride, car constitué de vrais femmes et hommes de gauche, croyant sincèrement à l’efficacité de l’Etat dans les processus de production et de répartition des richesses, et d’ivoiritaires convertis aux thèses ultra nationalistes d’extrême droite. Ce parti, qui aura pour noyau le FPI, sera le contrepoids du RHDP, mais traînera, tel un boulet de forçat, une faiblesse congénitale liée à trois facteurs : les contradictions internes de l’alliance contre-nature gauche-extrême droite qui constitue le socle du parti ; les limites de la politique de distribution des richesses produites essentiellement par les forces de droite, majoritairement militantes du RHDP ; l’anachronisme des thèses ivoiritaires dans le pays fortement métissé qu’est la Côte d’Ivoire. La difficulté de naissance de ce second grand parti est liée aux limites de la stratégie de reconquête du pouvoir de son principal levier, le FPI. En effet, privé du pouvoir d’Etat et de son leader charismatique, Laurent Gbagbo, le FPI est divisé, affaibli, voire déboussolé. Malgré cela, le parti à la rose ne rêve qu’à son retour aux affaires. Quant à la stratégie à adopter pour permettre ce retour, deux grandes écoles se côtoient et semblentse compléter au sein du parti. La première, qui ne croit guère à une victoire du FPI dans les urnes, ne jure que par les coups d’Etat. Les adeptes de cette école bénissent, pour ne pas dire plus, les attaques armées sanglantes qui ont secoué le pays par intermittence, au début de l’ère Ouattara. Quant à la deuxième école, elle est animée par des cadres qui doutent de la faisabilité d’un pronunciamiento contre le régime Ouattara, défendu par des forces armées rompues aux combats militaires. Ces cadres misent plutôt sur l’ébullition du front social, l’échec du Président Ouattara, l’explosion du RHDP, la renaissance du front patriotique et la résurrection de l’ivoirité, le seul schéma susceptible à leurs yeux de ramener leur parti au pouvoir. Pour cela, ils poussent les syndicats proches du FPI à réclamer l’impossible au Gouvernement, minimisent systématiquement les grands travaux abattus par le Gouvernement Ouattara (à défaut d’attribuer leur paternité à l’ex-Président Gbagbo ou de nier carrément leur réalité, pourtant visible et palpable – quelle hérésie !), font une cour assidue au PDCI et remettent au goût du jour le plus grand commun diviseur des Ivoiriens : l’utilisation de la nationalité comme une arme politique et non une notion juridique.Outre ces deux grandes tendances, le FPI est traversé par un courant minoritaire qui ne croit pas à l’efficacité des différentes stratégies susmentionnées, qu’il trouve plutôt suicidaires pour le parti frontiste. Ayant tiré les leçons des erreurs, parfois monumentales, commises par leur parti lors de son passage décennal au pouvoir, les animateurs de ce courant pensent que le FPI doit s’inscrire dans un schéma d’opposition civilisée, démocrate et intelligente, pour devenir une alternative crédible au pouvoir RHDP. Vivement que ce courant grandisse à l’intérieur du parti à la rose, pour le bonheur de la Côte d’Ivoire. Pour ne pas générer une polémique inutile, qui n’est absolument pas le but de la présente analyse, il est hors de question d’indiquer ici les écoles d’appartenance des deux FPI : les tendances Sangaré et Affi. Tout comme il n’en a pas été le cas pour le PDCI. Les Ivoiriens sont suffisamment intelligents pour faire cette classification, qui sans nul doute guidera leur choix en 2020.
Conclusion
Comme indiqué plus haut, la période de mise en place des deux grands partis politiques présentés ci-dessus, que nous vivons actuellement, correspond à une phase transitoire dans l’évolution du microcosme politique ivoirien. Et comme nous le constatons au quotidien, cette phase transitoire est caractérisée par des soubresauts, parfois violents. Heureusement, la douloureuse phase transitoire, telle une oscillation amortie, va décroître en amplitude jusqu’à ce que le microcosme politique ivoirien atteigne sa nouvelle position d’équilibre, marquée par la naissance des deux grands partis politiques présentés ci-dessus. L’Histoire retiendra alors que les bâtisseurs du RHDP, le Président Ouattara en tête, auront eu tôt raison.
Par Prof Diawara Adama
Maître de Conférences à l’Université Félix Houphouët-Boigny (Cocody)
Laboratoire de Physique de l’Atmosphère et de Mécanique des Fluides
Président de la Cellule Politique de la Section des Universitaires du RDR