Dossier Côte d’Ivoire- Le mercredi 27 septembre, l’AFP nous rapporte que les forces de sécurité ivoirienne ont retrouvé dans un gymnase désaffecté d’Attecoube un véritable arsenal de guerre. Cette découverte inquiétante fait écho à une recommandation du groupe agro-industriel SIFCA à ses employés sur les mesures sécuritaires à suivre dans le pays.
Depuis bientôt plus d’un an, ce pays phare d’Afrique de l’ouest connaît une détérioration inquiétante de son climat sécuritaire. Cette spirale commença par l’attentat terroriste de Grand-Bassam en mars 2016 qui a endeuillé durement plusieurs familles ivoiriennes. S’ensuivra l’apparition en force de « coupeur de route » et des « microbes » (jeune délinquant capable de tuer pour quelques francs CFA). Comme si cela ne suffisait pas, les mutineries de ce début d’année sont parvenues à convaincre les plus sceptiques que tout ceci n’était pas des épiphénomènes.
Miracle sécuritaire ?
À la prise de fonctions du président Ouattara, le pays était au bord du gouffre, dû principalement à la crise postélectorale qui a fait officiellement 3000 morts.
Selon l’ONU, à la fin de la crise postélectorale et l’installation d’Alassane Ouattara (ADO) à la présidence de la République, l’indice sécuritaire était de 3,8. Sous l’égide du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Hamed Bakayoko en collaboration avec Paul Koffi Koffi, ministre délégué à la défense nationale auprès du Premier ministre Guillaume Soro puis rattaché directement au Président ADO un plan ambitieux fut mis en place. En partenariat avec l’ONUCI (Organisation des Nations Unies pour la Côte d’Ivoire).
Ce plan consistait essentiellement à une sécurisation des grandes agglomérations, en mettant en place une unité d’élite composée de policier, gendarme et militaires : Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO). Cette unité spéciale a été dotée d’équipements de dernière génération pour pouvoir lutter efficacement contre la grande délinquance. Une refonte de tout l’appareil sécuritaire fut également conduite afin de doter l’ensemble des forces de sécurité et de défense du matériel adéquat et des conditions de travail optimales pour conduire les missions qui leur étaient assignées. Enfin ce plan avait également souhaité réinsérer les ex-combattants. À cette fin l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration d’anciens combattants (DDR) fut mise en place.
Toutes ces mesures ont très vite porté ses fruits. Ainsi l’indice sécuritaire a très vite entamé une baisse significative. Passant de 3,8 en 2012 à 1,3 deux ans plus tard. Faisant ainsi sortir le pays de la liste rouge américaine, des pays en crise. Mieux, l’ONU décida de mettre fin à sa présence dans le pays, car la situation ne le justifiait plus.
Mirage sécuritaire ?
Cette période d’accalmie prit fin tragiquement par l’attentat de Grand-Bassam évoqué plus haut. L’analyse de cet évènement est riche d’enseignements. Ainsi les forces spéciales ivoiriennes ont réussi seules à venir à bout des membres de Boko Haram sans aide extérieure. Cette précision est importante en analogie avec le Burkina Faso ou le Mali qui dans un contexte similaire, ont eu leur salut à une intervention occidentale.
D’un autre côté, cet attentat terroriste a mis en lumière quelques lacunes au sein des services spéciaux qui sont tous réunis dans un Conseil National de Sécurité (CNS) présidé par Alassane Ouatarra lui-même. Ils ont été pointés du doigt, car l’opinion a eu du mal à accepter que des terroristes aient pu s’infiltrer sur le territoire national, préméditer une attaque sur une plage célèbre située à quelques encablures de la résidence personnelle du chef de l’État.
Ces critiques des services de renseignements ont été accentuées lors des mutineries qui ont secoué le pays. Il était difficilement compréhensible qu’aucune alerte n’ait été émise aux autorités par rapport à la grogne qui couvait dans les rangs des militaires.
La réaction du président de la République à la première mutinerie a surpris. Dans un communiqué, la présidence a fait savoir que le chef de l’État avait relevé de leurs fonctions le chef d’État-Major général des forces armées de Côte d’Ivoire, le général Soumaila Bakayoko, le commandant supérieur de la gendarmerie, Gervais Kouakou Kouassi, et le directeur général de la police, Brindou M’Bia. Beaucoup ont eu l’impression que par ce décret le chef de l’État faisait baisser la fièvre en cassant le thermomètre. Ces mutineries ont mis en lumière un problème profond qui n’avait, jusque là, pas été traité.
En effet, les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont la jonction des Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et des Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) comme le stipulait l’Accord Politique de Ouagadougou. À la fin de la crise postélectorale de 2011, les soldats qui se sont battus la veille ont dû fusionner bon an mal an le lendemain.
Dès les premières nominations dans l’armée, on a pu observer un déséquilibre flagrant à l’avantage des anciens FAFN. Ainsi l’ancien chef d’état-major des FAFN est devenu Chef d’État Major Général des FRCI, les anciens ComZone (commandant de zone) tel Issiaka Ouattara dit Wattao, devint le commandant adjoint de la garde républicaine, Ousmane Cherif lui fut nommer Commandant en second du groupement de la sécurité présidentielle ou encore Martin Fofié Kouakou, commandant de la compagnie territoriale Korhogo (nord). C’est à lui que fut confier la sécurité de l’ex-président, Laurent Gbagbo, avant son départ de pour la CPI.
Toutes ces nominations ont été perçues par une partie de l’opinion comme par une partie de la troupe comme une revanche. Ce déséquilibre n’a pas été un gage d’efficacité encore moins de stabilité, mais a plutôt fait germer une animosité certaine.
Quelles solutions ?
La Côte d’Ivoire rejoue son rôle de leader économique de la région. Les investisseurs y voient un marché d’avenir. Ainsi on a pu voir les plus grands groupes mondiaux s’y bousculer. De Carrefour (grande distribution) à Free (télécommunication) en passant à Siemens (transport) ou encore au groupe Casino Barriere. L’attractivité de la Côte d’Ivoire n’est plus à démontrer.
Cependant, tout peut être remis en cause si les pouvoirs publics n’arrivent à juguler durablement l’insécurité ambiante. La lettre du continent dans son édition du 13 septembre 2017, n°760, nous apprend que le SGBCI (filiale de Société Général) sollicité pour le financement d’un projet de centre commercial se donne le temps de la réflexion, car l’emplacement, entre autres, du mall (Yopougon) serait dans une zone difficile à sécuriser.
Dans ce même numéro il est fait état des recommandations du groupe SIFCA dirigé par Jean-Louis Billon, ancien ministre du Commerce, enjoignant tous les employés du groupe à une vigilance accrue. Ces faits résultent de la difficulté qu’a eu l’exécutif à apporter une réponse non seulement adaptée, mais surtout efficace. Si face au terrorisme la Côte d’Ivoire, à l’instar du reste du monde ne peut se prévaloir d’une sécurité infaillible.
Sur d’autres point telle la délinquance ou encore les mutineries, le citoyen ivoirien s’attend à plus d’efficacité. Prenons le cas de la délinquance. Ce phénomène des « microbes » est dû principalement à la pauvreté, à la déscolarisation et à l’oisiveté. Œuvrer pour une école de qualité, accessible à tous et complètement gratuite est un début de solution. Des services sociaux efficaces qui encadreraient les familles en difficulté permettraient d’éviter le plus possible d’atteindre le point de non-retour. Pour ceux qui sont passés à l’acte, une réponse juridique adaptée doit être apportée. Ne pas considérer que la prison est la seule réponse.
De nombreuses études ont démontré que le tout carcéral est contreproductif. Pour ce dernier cas, l’accent doit être mis sur la formation professionnelle et la réinsertion. Ces quelques pistes ne sont pas révolutionnaires. Elles ont porté leurs fruits ailleurs. La Côte d’Ivoire gagnerait à les mettre en application rigoureusement.
Cette jeunesse perdue mériterait un « plan Marshall » dans le but d’apporter une réponse globale et multisectorielle. La première et la plus importante seront la réduction de l’abysse qu’il y a entre l’élite et l’écrasante majorité des Ivoiriens. La délinquance ne sera jamais jugulée efficacement s’il n’y a pas amélioration des conditions de vie.
Quant à l’armée, la nomination d’Hamed Bakayoko fidèle parmi les fidèles du chef de l’État semble être une mission loin d’être de tout repos. Il est impérieux pour ce régime de construire une armée républicaine loin des débats politiques. C’est un vaste chantier qui prendra certainement des décennies, mais des signaux forts doivent être émis. À commencer par l’éloignement des ex-ComZone. Mettre à l’honneur des hauts gradés sortis des meilleures académies militaires et dont la probité morale est indiscutable.
Bien qu’ayant été élus démocratiquement, ce sont ces Com-Zones qui ont favorisé l’accession d’ADO à la présidence. Il est peu vraisemblable que le chef de l’État opte pour la rupture. Certains pourront penser que tout ce qui vient d’être évoqué plus haut est des actes isolés. Les faits étant têtus, regarder la vérité en face permet de solder le passif et construire durablement l’avenir.
Il est indéniable que l’attractivité de la Côte d’Ivoire après la crise postélectorale a étonné plus d’un. De par la rapidité avec laquelle elle s’est remise de ces dix ans de cette crise multiforme. Ne pas mettre tout ceci au crédit du régime actuel serait faire une analyse subjective. Une fois que cela est dit, il faut également ajouter que tout peut s’effondrer également par les actes que ces mêmes poseront.
Avec africapostnews