A Abidjan, les dix premiers jours du mois de février auront été chauds. Libération conditionnée de Laurent Gbagbo, divorce entre le président Alassane Ouattara et son allié Henri Konan Bedié et, pour ne rien arranger, démission fracassante de Guillaume Soro, 46 ans, de son poste de président de l’Assemblée nationale sous la bannière du Rassemblement des républicains (RDR).
La session extraordinaire du 8 février marque certainement un tournant majeur pour un hémicycle plus que jamais aux couleurs du Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le nouveau parti unifié formé selon les vœux du camp Ouattara mais dont le projet de fusion est vu comme une OPA inamicale par les ténors du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) du président Henri Konan Bédié.
C’est dans ce climat tendu que l’ancien patron des Forces Nouvelles, acteur décisif de l’issue du scrutin de 2010 et de la crise qui s’en est suivie, a jeté l’éponge. «je préfère descendre de mon piédestal, vivre et partager le quotidien de mes semblables, citoyens ordinaires, que de me complaire dans l’aisance de la posture institutionnelle», assène -t-il dans des propos relayés par le site Burkinabé Wakatsera. Et l’ancien dirigeant de la Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire (Fesci) d’ajouter : « Depuis deux ans, depuis mai 2017, je me suis préparé à cette éventualité. Je suis soulagé, parce que vous ne pouvez pas comprendre le poids du fardeau que je ressentais sur mes épaules ».
Au perchoir depuis 2012, Soro quitte le navire au plus fort de la tempête, se donnant le privilège d’annoncer son départ, en coupant l’herbe sous le pied de ceux qui se délectaient de pouvoir le défenestrer par une destitution à but de le neutraliser.
Allié de Ouattara et de Bedié dans le cadre d’une nouvelle recomposition politique dont le schéma avait été conçu durant les mois de confinement à l’hôtel du Golf (de décembre 2010 à avril 2011), Guillaume Soro sort de ce mariage à trois qui consacre une fracture béante en se rappelant sans doute que Ouattara l’avait chaudement dissuadé, au lendemain de la crise post-électorale, de ne pas transformer les Forces Nouvelles en parti politique.
À cet effet Alassane Ouattara, selon nos sources, avait sollicité à l’époque,l’intervention de l’ancien président Burkinabé, Blaise Compaoré, du sénégalais Abdoulaye Wade et du nigérian Goodluck Jonathan afin que Guillaume Soro et ses compagnons puissent rejoindre avec bagages (mais sans armes) le RDR .
En contrepartie, Alassane Ouattara s’engageait à céder à Soro la présidence du RDR. Selon un proche de Compaoré, cet engagement n’a jamais été tenu.
Cet état de faits avait déjà constitué un faux pas dans les engagements politiques qui liaient les deux hommes.
D’autant que le second acte ne manquera pas de suivre. Alassane Ouattara, en
instituant dans la nouvelle constitution la disposition permettant au président de la République de présider un parti politique, venait confirmer le fait que ce dernier ne comptait plus permettre à Soro de diriger le RDR. Cette Constitution taillée sur mesure a donc consacré un poste de vice-président, dauphin du président de la République. De plus, l’ordre protocolaire s’arrête au Premier ministre, qui est le second défunt du tenant de l’Exécutif en cas de vacance du pouvoir. Le président de l’Assemblée nationale passe par pertes et profits.
La création du RHDP unifié vient, en troisième acte, sonner le glas d’une alliance gagnée par l’amnésie et l’unilatéralisme. Conséquence, Guillaume Soro commença depuis 2017 à penser se démarquer des positions partisanes en quittant l’assemblée nationale afin d’ouvrir une ère nouvelle. Bien entendu, souffle un constitutionnaliste, «rien ne pouvait contraindre le président Guillaume Soro à démissionner du perchoir comme l’y exhortaient depuis des mois nombre de cadres RHDP».
Pour autant, rester au perchoir aurait allumé une crise institutionnelle sans précédent entre l’exécutif et le législatif, crise dont, dit-il, il ne voulait pas. Mais l’ancien leader estudiantin a été mis au pied du mur en janvier par Alassane Ouattara, le sommant de se rendre au congrès du RHDP ou de quitter ses fonctions.
Guillaume Soro qui avait déjà mûri sa réflexion a, de façon magnanime selon ses partisans, profité d’une brèche ouverte par le président Ouattara. Ce dernier avait annoncé contre toute attente la démission programmée et actée de celui qu’il nommait autrefois “jeune frère “. « Soro Guillaume démissionnera en février, c’est entendu, c’est réglé », lançait Alassane Ouattara le 28 janvier 2018.
À travers cette annonce du président Ouattara ,l’opinion a très vite perçu que Guillaume Soro a été pressé par le président de libérer “le tabouret “ . De son côté, dans une vidéo diffusée sur sa web Tv, Guillaume Soro ironise: “ je libère le tabouret pour aller chercher le fauteuil, il est plus confortable “ .
Une phrase qui en dit long sur les ambitions de celui qui se considère désormais comme un homme indépendant avec comme leitmotiv et itinéraire la paix et la réconciliation.
Guillaume Soro a pris une décision haute de signification et de sens , il a voulu rester fidèle à ses convictions car disait – Il :” Il croit plus au jugement de l’histoire qu’au jugement des hommes “
Le député de Ferkessedougou a déclaré qu’il continuerait à travailler pour une Côte d’Ivoire qui « repose sur l’Etat de droit et des bases démocratiques fiables », sous-entendu : pas comme aujourd’hui où Alassane Ouattara veut mettre les institutions en coupe réglée comme le stipule le communiqué du Front Populaire Ivoirien (FPI) tendance Affi Nguessan. Il a rendu hommage à l’un de ses compagnons indéfectibles , le député Alain Lobognon, condamné à un an de prison pour un tweet, au terme d’un procès expéditif comme à l’époque de Staline . Autant de critiques à peine voilées du régime de son ex-allié.
Sommes toutes , Guillaume Soro, qui couverait une âme socialiste, se veut au dessus de la mêlée. C’est clair, 2020 n’est plus loin pour celui qui demeure encore le vice-président élu de l’Union parlementaire de la Francophonie et pour les têtes de gondole ivoiriennes. A l’heure où s’écrivaient ces lignes,
Ouattara n’a pas encore dit s’il ne se représentait pas, Henri Konan Bedié n’a pas dévoilé le nom de poulain etLaurent Gbagbo, acquitté de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, en liberté conditionnelle en Belgique, piaffe d’impatience de pouvoir s’offrir un bain de foule sur les bords de la lagune Ebriée.
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